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Alors, euh... parlons un peu de l'importance du timing, hein ? C'est fou comme un timing précis, vraiment à la seconde près, peut avoir des conséquences énormes sur le monde.
On prend l'exemple de Joseph Lott. Il est vivant, eh bien, parce qu'il a choisi le bon jour pour porter une chemise verte, vous voyez ? Et Elaine Greenberg, la femme qui lui a sauvé la vie, elle, est décédée parce qu'elle a pris ses vacances une semaine trop tôt. C'est dingue, non ? Si la nécessité est la mère de l'invention, alors on pourrait dire que le timing, c'est la mère de l'imprévu.
Les mouches, par exemple, elles bourdonnent constamment sur les routes, la plupart du temps sans faire de mal, hein ? Mais parfois, de temps en temps, une mouche se prend dans l'œil d'un motard et ça cause un accident. Deux trajectoires complètement indépendantes qui se croisent de manière... arbitraire, on dirait même aléatoire, à cause de ce truc impénétrable qu'est le temps. On appelle ça une "contingence de Cournot", deux chemins qui n'ont rien à voir qui convergent à un endroit précis, à un moment précis. Et ça peut causer la mort en quelques millisecondes ! On est vraiment à la merci du temps.
Figurez-vous qu'en automne, il y a quelques années, Elaine Greenberg est partie en vacances à Tanglewood, dans le Massachusetts. Là-bas, elle a vu une cravate qui, elle le savait, plairait énormément à son collègue, Joseph Lott. Une cravate avec "Sunset at Lavacourt" de Monet. Joe Lott, il était connu pour porter des cravates avec des peintures dessus, et les impressionnistes, c'était son dada. Donc, elle achète la cravate, se disant que c'est une petite attention sympa pour Joe, qui devait partir à New York la semaine suivante pour une conférence.
Le lundi avant la conférence, Lott prend l'avion. Sauf que, avec les orages, hein, la météo... le vol qui devait durer quelques heures en a duré quatorze ! Imaginez un peu ! Il est arrivé à Manhattan complètement lessivé, bien après minuit. Il devait dîner avec Greenberg pour revoir la présentation ensemble, mais il a dû annuler, hein, vu son état. Ils ont convenu de prendre un petit-déjeuner tôt à la place. Avant de s'effondrer sur son lit d'hôtel, il a préparé ses affaires pour le lendemain. Et là, horreur, il se rend compte que sa belle chemise blanche qu'il voulait porter pour la conférence était toute froissée.
Le lendemain matin, il se réveille, il regarde sa chemise blanche, et il est bien content d'avoir apporté une chemise de rechange, une chemise vert pastel, quoi. À 7h20, il arrive dans la salle de petit-déjeuner de l'hôtel, où Greenberg l'aide à revoir la présentation. Vers 8h15, à la fin du petit-déjeuner, elle lui offre son cadeau, la cravate de Monet, avec les bleus chatoyants de la Seine et le ciel rouge orangé au coucher du soleil. Lott est super touché. Il la remercie chaleureusement et, pour lui montrer qu'il est sincère, il lui dit : "Elaine, je vais mettre cette cravate et la porter aujourd'hui, pour me porter chance !" Elle lui répond du tac au tac : "Surtout pas avec cette chemise, hein !" Lott rigole, mais il est d'accord. Même lui, il savait que la cravate ne s'accorderait pas du tout avec le vert pastel. Il décide de retourner dans sa chambre pour changer de chemise, quitte à être un peu en retard. "À tout de suite," lui dit-il. Greenberg lui fait un signe de la main et monte au lieu de la conférence, au 106e étage de la Tour 1 du World Trade Center.
Lott retourne dans sa chambre et commence à repasser sa chemise blanche. Ça lui prend environ quinze minutes, suffisamment longtemps pour qu'il soit encore en train de se préparer quand le premier avion percute la tour à 8h46.
Lott a survécu. Greenberg est décédée. Lott ne porte plus que des cravates artistiques maintenant, un hommage discret à son amie disparue et à ce petit bout de tissu, un cadeau réfléchi arrivé juste à temps pour lui sauver la vie.
On a tous lu des histoires qui nous laissent bouche bée, devant la chance incroyable de certaines personnes ou le malheur horrible des autres. Ces histoires, elles semblent tellement improbables, tellement incroyables qu'elles sortent du lot. Mais en fait, elles ne sont pas si exceptionnelles que ça. La contingence du timing, elle détermine et dévie nos vies constamment, même si certaines déviations ont des conséquences plus importantes que d'autres, évidemment. La cause immédiate de la chance de Lott et du malheur de Greenberg, c'était peut-être un orage, un vol retardé et un cadeau offert au bon moment, mais tout ça, c'est le résultat du timing. On vit dans une chaîne infinie de causes imbriquées les unes dans les autres, qui remontent loin dans le passé, chaque maillon forgé par les caprices du temps.
Quand Lott a pris sa retraite des Marines, il s'est mis à voyager plus pour le travail et il est passé devant un musée d'art. Il avait du temps à tuer, alors il y est entré. S'il avait été pressé ce jour-là, il ne l'aurait peut-être pas fait, il n'aurait peut-être pas découvert sa passion pour la peinture impressionniste, il n'aurait jamais porté de cravate artistique et Greenberg n'aurait jamais acheté "Sunset at Lavacourt". Quand on pense à tout ce qui a dû se passer pour que ce petit-déjeuner se déroule exactement comme il s'est déroulé, il y a un nombre quasi infini d'imprévus. Si des moments, même triviaux, avaient été accélérés ou retardés de quelques secondes, même dans un passé lointain, ce petit-déjeuner ne se serait pas passé comme ça. Tout, jusqu'à ce moment-là, devait être exactement comme c'était pour que Joe Lott reçoive cette cravate précisément au moment où il l'a reçue, le 11 septembre. Et même si des histoires incroyables comme la survie de Lott lèvent le voile et nous permettent de voir la fragilité incroyable de nos trajectoires de vie, ces contingences du timing nous façonnent constamment. On ne s'en rend pas compte jusqu'à ce que, comme Lott, il devienne impossible de les ignorer dans un moment crucial où on s'arrête pour penser à ce qui aurait pu être. Aurait-on pu prendre un chemin différent ?
Il faut se dire que chaque instant de nos vies est une bifurcation, avec un nombre quasi infini de chemins possibles. Ce qu'on fait à chaque instant affecte le chemin sur lequel on est, ainsi que les bifurcations auxquelles on sera confronté ensuite. C'est constant, implacable, ça bifurque à l'infini. Là, tout de suite, en écoutant ça, plutôt que de faire autre chose, votre chemin est en train de bifurquer. C'est fou non ?
Et c'est pas que les humains qui dévient votre chemin avec le timing. Le 11 septembre, les tempêtes qui ont retardé le vol de Lott s'étaient dissipées, laissant un ciel d'un bleu éclatant. Aucun des avions détournés n'a décollé en retard ou n'a eu du mal à trouver ses cibles à cause de la couverture nuageuse.
Quand des mutations se produisent chez les organismes, certains chemins deviennent possibles alors qu'ils ne l'étaient pas avant, tandis que d'autres se ferment. Et là encore, le timing compte. On se rend compte que "l'ordre mutationnel" est super important, ça joue même un rôle dans la façon dont les cancers se développent et pourquoi ils se développent. Ce qui compte, c'est pas seulement quelles sont les mutations aléatoires, mais quand elles se produisent et dans quel ordre elles se produisent les unes par rapport aux autres. Chaque chemin qu'on prend, moment après moment, rend certains mondes possibles, d'autres impossibles.
Le temps, c'est la variable invisible de la vie. C'est impossible d'imaginer un monde sans temps parce qu'on ne peut vivre qu'au présent. Mais quand on regarde de plus près la nature du temps, le monde du contrôle humain apparent qui est intégré dans les horloges, les calendriers, ça commence à s'effondrer.
Un physicien a même écrit : "Le temps passe plus vite en montagne qu'au niveau de la mer." C'est pas une image poétique, c'est une réalité vérifiée. La gravité d'une masse, comme la Terre, déforme le temps, elle le fait passer plus lentement près de la masse. Avec des horloges atomiques très précises, on a pu vérifier ça. Même des variations minuscules comptent.
Le truc c'est qu'il n'y a pas de temps objectif. Le temps existe de manière relationnelle. Et l'expérience qu'on en a peut aussi être déformée par les décisions humaines. Nos ancêtres ont choisi de diviser le temps en morceaux distincts qu'on utilise encore aujourd'hui pour organiser nos vies. C'est donc pas seulement que chaque instant compte, mais aussi que notre division du temps est arbitraire. Quand on pense à la façon dont notre vie interagit avec le temps, on se rend compte que notre emploi du temps est déterminé par des gens qui sont morts depuis longtemps.
Nos calendriers, c'est le résultat de décisions prises par des petits groupes de personnes il y a des milliers d'années. Les mois, qui tirent leur nom de la lune, étaient à l'origine liés aux cycles lunaires. Dans les premiers temps de Rome, on suivait un calendrier de dix mois, soit 304 jours, et le reste des jours de l'année était regroupé dans une période hivernale de longueur variable. Plus tard, on a ajouté deux mois, janvier et février, mais le système de numérotation d'origine est resté. C'est pour ça que septembre, octobre, novembre et décembre font référence aux nombres sept, huit, neuf et dix, même si ce sont maintenant les neuvième, dixième, onzième et douzième mois.
Ensuite, il y a les jours de la semaine. Les noms viennent des divinités nordiques. Tiw, le dieu nordique de la guerre, est devenu mardi. Le jour de Woden suit, du dieu qui supervise le Valhalla. Puis, le jour de Thor, suivi du jour de Frige, en l'honneur de la déesse de l'amour, qui était mariée à Woden. On prononce leurs noms sans réfléchir à leurs origines. Mais pourquoi on rythme nos vies avec des semaines ? Qui a décrété que tout devait suivre un cycle de sept jours ?
Contrairement à d'autres mesures du temps, la semaine n'a rien à voir avec les cycles de la nature. On trouve la première trace de division du temps en blocs de sept jours dans un décret d'environ 2300 avant J.-C., pris par le roi Sargon Ier d'Akkad, qui considérait le nombre sept comme sacré. Une semaine de sept jours est apparue plus tard dans la Bible hébraïque.
Au premier siècle avant J.-C., la semaine planétaire, elle aussi de sept jours, est apparue à Rome. Elle n'avait rien à voir avec le repos ou le travail, mais plutôt avec la croyance que certaines planètes régissaient le destin des humains à des moments précis, une forme ancienne d'astrologie. Pourquoi sept jours dans le calendrier planétaire ? Parce que cinq planètes étaient visibles à l'œil nu (Saturne, Mars, Mercure, Jupiter et Vénus), et avec le soleil et la lune, ça fait sept. Et si les Romains avaient eu des télescopes et qu'ils avaient pu voir d'autres corps célestes, on diviserait peut-être nos vies par neuf au lieu de sept. Ou si les Romains s'étaient contentés des planètes sans ajouter le soleil et la lune, on aurait peut-être des semaines de cinq jours. Il y a toujours eu d'autres options. Les anciens Chinois et les anciens Égyptiens organisaient leurs vies en semaines de dix jours. Comme nos vies seraient différentes ! Et tout ça découle d'un mélange d'histoire, de vision, de technologie et d'astronomie au sein d'un petit groupe d'humains qui ont existé pendant une petite période de temps il y a très longtemps. On synchronise nos vies avec des rythmes produits par des accidents de l'histoire. Le temps, divisé de manière arbitraire, rôde en arrière-plan de tous les événements majeurs de l'histoire humaine moderne et de nos propres vies. Et on l'ignore le plus souvent.
On est aussi influencés par la façon dont notre horloge biologique interagit avec ces divisions arbitraires du temps. Les chercheurs ont constaté une tendance diurne constante dans l'humeur : les gens expriment plus de sentiments d'optimisme ou de pensées positives le matin, suivis d'un coup de mou l'après-midi, avec un regain d'humeur le soir.
Quand les entreprises cotées en bourse annoncent leurs résultats trimestriels, par exemple, elles sont tenues de présenter fidèlement leur profil économique en se basant sur les chiffres. L'humeur ne devrait pas compter, car les entreprises communiquent des chiffres bruts. Pourtant, des chercheurs ont découvert que les appels du matin étaient systématiquement plus optimistes et positifs que les appels concernant des données similaires qui étaient annoncés l'après-midi. Ces différences étaient si frappantes que les actions étaient temporairement mal évaluées en fonction du ton des appels par rapport aux chiffres réels. Il n'y a pas de timing neutre.
Quand on étudie les sociétés, on oublie souvent qu'un même facteur peut avoir un effet différent à différents moments. C'est comme si on donnait la même chose à quelqu'un un jour, et que ça n'ait pas du tout le même impact le lendemain. Ce n'est pas comme donner une cravate de Monet à Joe Lott qui va toujours produire un moment de vie ou de mort.
Même quand on repère des schémas et des régularités apparemment stables, il est toujours possible que les mêmes causes fassent tomber un gouvernement ou s'effondrer une économie un jour, mais n'aient aucun effet, ou un effet différent, le lendemain. La contingence, encore et toujours, s'accumule sur les bizarreries précaires des horloges et des calendriers.
Pourtant, c'est pas non plus un chaos total. On peut ignorer le "bruit", les hasards, l'incertitude due à nos croyances, où quelque chose se produit, qui est impliqué ou quand ça se passe. Même les experts se trompent souvent.