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Ah, alors là, on va parler d'une époque... disons... houleuse de la science, hein. On va faire un saut dans le passé, genre en 1787, si je me souviens bien. Figurez-vous qu'il y a un type... enfin, on ne sait plus trop qui c'était, hein, les détails se perdent avec le temps... qui trouve un énorme fémur dans un cours d'eau dans le New Jersey. Un truc vraiment balèze !
Bon, cette os, c'était clair que ça n'appartenait à aucune créature vivant dans le coin, ni même à aucun animal connu, quoi. Avec le recul, on pense que c'était un fémur d'hadrosaure, une espèce de dinosaure à bec de canard. Sauf qu'à l'époque, les dinosaures... bah, on ne savait même pas que ça existait, quoi !
Du coup, l'os est envoyé à un certain Docteur Caspar Wistar, un anatomiste américain super respecté. Et en automne de la même année, il en parle lors d'une réunion de l'American Philosophical Society, à Philadelphie. Mais voilà, Wistar, il n'a pas vraiment saisi l'importance de la découverte. Il s'est contenté de dire que c'était "très gros", un truc du genre, quoi. Et paf ! Il a raté une occasion de devenir le découvreur des dinosaures, avec une avance de cinquante ans, quoi ! L'os n'a pas vraiment fait sensation, il a fini dans un débarras, et puis... disparu. Comme ça, la première trace de dinosaure découverte... et perdue ! La loose, quoi !
C'est un peu bizarre que cet os n'ait pas fait plus de bruit, parce que, à ce moment-là, les Américains étaient à fond sur les vestiges d'animaux anciens. Il y avait même un comte français, Buffon, dont on a parlé dans le chapitre précédent, qui disait que les animaux du Nouveau Monde étaient inférieurs à ceux de l'Ancien Monde. Une théorie bizarre, hein ?
Buffon, il disait, dans un livre très connu, que l'Amérique c'était nul : l'eau était dégueu, la terre ne donnait rien, les animaux étaient petits, faibles, et que même les Indiens étaient infertiles, quoi ! Il allait même jusqu'à dire, en aparté, hein, que les Indiens n'avaient pas de barbe ni de poils, et que les femmes n'avaient aucune passion ! Des propos complètement dingues !
Et le pire, c'est que d'autres écrivains, surtout ceux qui ne connaissaient pas l'Amérique, étaient d'accord avec lui ! Un Néerlandais, Corneille de Pauw, a même écrit un truc où il disait que les hommes américains étaient tellement peu virils que leurs seins donnaient du lait ! N'importe quoi, quoi ! Et cette idée a persisté pendant longtemps dans la littérature européenne.
Bien sûr, aux États-Unis, ces calomnies étaient très mal vues. Thomas Jefferson, le futur président, a écrit un bouquin, "Notes sur la Virginie", pour contredire Buffon. Il a même demandé à un ami du New Hampshire d'envoyer un élan à Buffon pour prouver que les animaux américains étaient grands et forts ! Il a fallu deux semaines pour trouver la bête, mais, malheureusement, elle n'avait pas les bois magnifiques décrits par Jefferson. Qu'à cela ne tienne, l'ami de Jefferson a rajouté une paire de bois de cerf. En France, qui allait le savoir, hein ?
Pendant ce temps, à Philadelphie, les naturalistes essayaient d'assembler les os d'un animal géant, un peu comme un éléphant. Au début, ils l'appelaient "le grand animal américain inconnu". Les premiers os ont été trouvés dans un endroit appelé Big Bone Lick, au Kentucky, mais on en a vite trouvé partout. On dirait qu'il y avait de gros animaux en Amérique à une époque, et ça prouvait que Buffon disait n'importe quoi !
Et là, les naturalistes se sont un peu emballés, hein. Ils ont agrandi l'animal de six fois sa taille réelle et ils lui ont rajouté des griffes terribles ! En réalité, c'étaient des griffes de paresseux géant, un animal qui vivait dans le coin. Et ils disaient que cette créature était "agile et féroce comme un tigre" ! Ils l'ont même dessinée cachée derrière des rochers, prête à attaquer. Quand ils ont trouvé des défenses, ils les ont mises n'importe comment sur sa tête. Un type les a même vissées à l'envers, comme des canines de tigre à dents de sabre ! Un autre les a courbées vers l'arrière, en disant que l'animal était aquatique et qu'il utilisait ses dents pour s'accrocher aux arbres quand il dormait ! N'importe quoi, hein ? Le plus probable, c'était que cet animal était éteint. Et Buffon s'est empressé de dire que c'était la preuve que les animaux américains étaient en déclin.
Buffon est mort en 1788, mais la polémique a continué. En 1795, des os triés sur le volet sont arrivés à Paris et ont été examinés par une nouvelle star de la paléontologie : Georges Cuvier, un jeune noble très ambitieux. Cuvier était super doué pour reconstituer des squelettes à partir de morceaux d'os. On disait qu'il pouvait décrire un animal juste en regardant une dent ou un bout de mâchoire, et même dire de quelle espèce et de quel genre il était ! Cuvier a réalisé que personne en Amérique n'avait pensé à écrire un livre pour décrire ce grand animal, alors il l'a fait lui-même. Et c'est lui qui a trouvé le nom : "mastodonte", qui signifie "éléphant à dents en forme de mamelle". Assez bizarre, mais ça ressemblait bien à ça, quoi.
En s'inspirant de cette polémique, Cuvier a écrit un article super important en 1796, "Note sur les espèces d'éléphants vivants et fossiles". Et dans cet article, il a proposé pour la première fois la théorie de l'extinction des espèces. Il pensait que la Terre avait connu des catastrophes qui avaient fait disparaître des espèces entières. C'était une idée choquante, même pour Cuvier, qui était croyant. Ça voulait dire que Dieu n'était pas très fiable, qu'il créait des espèces et qu'il les détruisait. Ça allait à l'encontre de l'idée que le monde était bien organisé, que chaque espèce avait sa place et son utilité, et qu'il en avait toujours été ainsi. Jefferson n'acceptait pas cette idée que des espèces puissent disparaître. C'est pour ça que quand on lui a demandé si ça valait le coup d'envoyer une expédition dans l'ouest américain, il a dit oui tout de suite. Il espérait que les explorateurs trouveraient des troupeaux de mastodontes en pleine forme dans les plaines. Il a choisi son secrétaire personnel, Meriwether Lewis, et William Clark pour mener l'expédition, et il en a fait le chef naturaliste. Et pour lui dire quoi chercher, il a choisi... Caspar Wistar, le même qui n'avait pas reconnu l'os de dinosaure ! La boucle est bouclée !
La même année, en Angleterre, un certain William Smith, un géomètre sur les chantiers de canaux, a eu une idée qui allait aussi avoir un impact énorme. Il s'est rendu compte que les roches étaient organisées en couches, et que chaque couche contenait des fossiles différents. Et qu'en trouvant quelles espèces étaient présentes dans chaque couche, on pouvait dater les roches, où qu'elles soient. Avec ses connaissances de géomètre, Smith a commencé à cartographier les couches géologiques de l'Angleterre. Ces cartes ont été publiées en 1815 et sont devenues les bases de la géologie moderne.
Malheureusement, Smith ne s'intéressait pas à la raison pour laquelle les roches étaient organisées de cette façon. Il se contentait de constater les faits. Il disait que ce n'était pas le travail d'un géomètre. C'est dommage, hein ?
La découverte de Smith a encore compliqué les choses pour la théorie de l'extinction. Elle prouvait que Dieu avait détruit des espèces à plusieurs reprises, et pas seulement lors du Déluge, comme on le pensait. On dirait que Dieu était plus destructeur que maladroit. Et il fallait expliquer pourquoi certaines espèces avaient disparu alors que d'autres avaient survécu.
Du coup, au début du 19ème siècle, les fossiles sont devenus super importants. Et Wistar est passé à côté de la plaque en ne voyant pas l'importance de l'os de dinosaure. Et pourtant, on en trouvait partout dans le monde. Il y a eu plusieurs occasions pour les Américains de découvrir les dinosaures, mais ils les ont ratées. En 1806, l'expédition de Lewis et Clark est passée dans une région du Montana où les os de dinosaures étaient partout, mais ils n'y ont pas fait attention. En Nouvelle-Angleterre, un garçon, Pliny Moody, a trouvé des empreintes de pas fossilisées dans le Connecticut. Et on a même trouvé des os de dinosaures, au moins une partie, hein – notamment un os d'anchisaurus – qui sont aujourd'hui conservés au Peabody Museum de Yale. Ces os ont été découverts en 1818, mais personne ne s'en est rendu compte avant 1855, l'année où Caspar Wistar est mort. Mais bon, Wistar a quand même eu une forme d'immortalité : un botaniste, Thomas Nuttall, a donné son nom à une plante grimpante, la "Wisteria".
À ce moment-là, la passion pour la paléontologie s'est déplacée en Angleterre. En 1812, dans le Dorset, une jeune fille extraordinaire, Mary Anning, a trouvé un fossile de reptile marin de cinq mètres de long, coincé dans une falaise. C'était un ichtyosaure.
Et c'est comme ça qu'a commencé la vie incroyable de Mary Anning. Pendant 35 ans, elle a collecté des fossiles et les a vendus aux touristes. On dit que c'est elle qui a inspiré la célèbre comptine "She sells sea shells by the sea shore". Elle a aussi découvert le premier squelette de plésiosaure, un autre reptile marin, et l'un des premiers et des meilleurs fossiles de ptérodactyle. Ce n'étaient pas des dinosaures à proprement parler, mais ça n'avait pas d'importance, parce que personne ne savait ce que c'était, un dinosaure. L'important, c'était de savoir qu'il avait existé des animaux complètement différents de ceux qu'on connaissait.
Anning n'était pas seulement douée pour trouver des fossiles. Elle était aussi très habile pour les extraire avec soin et sans les abîmer. Si vous avez l'occasion d'aller au Musée d'Histoire Naturelle de Londres, je vous conseille d'aller voir la galerie des reptiles marins anciens. Vous pourrez admirer le travail incroyable de cette jeune femme, qui a utilisé des outils simples dans des conditions très difficiles, et pratiquement toute seule. Il lui a fallu dix ans de patience pour dégager le fossile de plésiosaure ! Anning n'avait pas de formation scientifique, mais elle était capable de faire des dessins et des descriptions de qualité pour les chercheurs. Malgré son talent, elle a vécu dans la pauvreté pendant la majeure partie de sa vie.
Il est difficile de trouver quelqu'un de plus méconnu que Mary Anning dans l'histoire de la paléontologie. Mais il y en a un autre : Gideon Algernon Mantell, un médecin de campagne dans le Sussex.
Mantell avait plein de défauts : il était vaniteux, égocentrique, prétentieux, et il ne s'occupait pas de sa famille. Mais on ne trouvera pas quelqu'un de plus passionné par la paléontologie que lui. Il a eu aussi beaucoup de chance d'avoir une femme attentive et observatrice. En 1822, alors qu'il était en tournée dans la campagne du Sussex, Madame Mantell se promenait le long d'une route et elle a trouvé un truc bizarre dans un tas de cailloux : un morceau d'os brun en forme d'arc, de la taille d'une noix. Elle a pensé que c'était un fossile. Elle savait que son mari s'intéressait aux fossiles, alors elle lui a donné. Mantell a tout de suite compris que c'était une dent fossilisée. Après quelques recherches, il a conclu que c'était la dent d'un animal qui avait vécu au Crétacé, qui était herbivore, reptile et gigantesque : des dizaines de mètres de long ! Il avait raison, mais il était très audacieux, parce que personne n'avait jamais imaginé une créature pareille.
Mantell a réalisé que sa découverte allait bouleverser la connaissance du passé. William Buckland, un scientifique qui aimait les expériences, lui a conseillé d'être prudent. Mantell a donc passé trois ans à chercher des preuves pour étayer sa théorie. Il a envoyé la dent à Cuvier, à Paris, pour avoir son avis, mais le grand scientifique français a répondu que c'était une dent d'hippopotame ! (Cuvier s'est excusé plus tard pour cette erreur, ce qui est rare chez lui). Un jour, Mantell était au Hunterian Museum de Londres et il a discuté avec un collègue. Ce collègue lui a dit que ça ressemblait beaucoup aux dents d'un animal qu'il étudiait : l'iguane d'Amérique du Sud. Ils ont comparé les dents et ils ont confirmé la ressemblance. Du coup, l'animal de Mantell a été baptisé "Iguanodon", d'après le nom d'un lézard tropical qui aime le soleil.
En réalité, il n'y avait aucun lien entre les deux animaux !
Mantell a écrit un article pour la Royal Society. Malheureusement, un autre os de dinosaure a été découvert dans une carrière dans l'Oxfordshire, et il venait d'être décrit par... William Buckland, celui qui avait dit à Mantell de ne pas se précipiter ! Il a été baptisé "Megalosaurus". C'est un ami de Buckland, le Docteur James Parkinson, celui qui a donné son nom à la maladie de Parkinson, qui avait suggéré le nom. Parkinson était géologue au début de sa carrière, et son étude du Megalosaurus a montré son talent dans ce domaine. Dans son rapport pour la Geological Society of London, il avait remarqué que les dents de l'animal n'étaient pas fixées directement à la mâchoire, comme les lézards, mais qu'elles étaient plantées dans des alvéoles, comme les crocodiles. Mais Buckland s'est arrêté là, il n'a pas compris l'importance de cette découverte : que le Megalosaurus était un animal complètement nouveau. Malgré son manque de perspicacité, son rapport a été le premier à décrire le Megalosaurus. Du coup, c'est Buckland, et pas Mantell, qui a été crédité de la découverte de cet animal préhistorique.
Mantell, qui ne savait pas que le malheur allait le suivre toute sa vie, a continué à chercher des fossiles. Il a découvert un autre géant, l'Hylaeosaurus, en 1833. Et il a acheté d'autres fossiles à des ouvriers de carrières et à des fermiers. Il est devenu l'un des plus grands collectionneurs de fossiles d'Angleterre. Mantell était un excellent médecin, mais il était aussi très doué pour collectionner les os. Il ne pouvait pas faire les deux en même temps. Plus il s'intéressait à la collection, plus il négligeait sa profession de médecin. En peu de temps, sa maison de Brighton était remplie de fossiles, et il dépensait la plupart de ses revenus pour ça. Le reste de son argent servait à payer la publication de ses livres, qui se vendaient très mal. "Géologie du Sussex", publié en 1827, ne s'est vendu qu'à 50 exemplaires, et lui a coûté 300 livres, une somme importante à l'époque.
Désespéré, Mantell a eu l'idée de transformer sa maison en musée et de faire payer l'entrée. Mais il a vite réalisé que ce commerce allait nuire à son statut de gentleman, sans parler de son statut de scientifique. Il a donc laissé les gens visiter gratuitement son musée familial. Des centaines de personnes sont venues chaque semaine, ce qui a interrompu son travail de médecin et a perturbé sa vie de famille. Finalement, pour payer ses dettes, il a dû vendre la plupart de sa collection. Peu de temps après, sa femme l'a quitté avec ses quatre enfants.
Et le pire, c'est que ses problèmes ne faisaient que commencer !
À Sydenham, au sud de Londres, il y a un endroit appelé le Crystal Palace Park. On y trouve des merveilles oubliées : les premières statues de dinosaures grandeur nature au monde. Il y a peu de visiteurs aujourd'hui, mais à une époque, c'était l'un des endroits les plus visités de Londres. En fait, c'était le premier parc à thème du monde. Les statues ne sont pas très fidèles à la réalité. L'Iguanodon a un pouce pointu sur le nez, transformé en corne. Il a quatre pattes massives et il ressemble à un chien obèse et disproportionné. En réalité, l'Iguanodon ne marchait pas à quatre pattes, c'était un bipède. Quand on les regarde aujourd'hui, on a du mal à imaginer que ces animaux bizarres et lents ont pu susciter autant de haine et de rancœur. Mais c'est le cas. Il n'y a peut-être jamais eu d'animaux préhistoriques qui aient été au centre d'une haine aussi forte et durable que les dinosaures.
Quand les statues ont été construites, Sydenham était à la périphérie de Londres, et le grand parc était considéré comme l'endroit idéal pour reconstruire le célèbre Crystal Palace, une structure de verre et de fonte qui avait été le point central de l'Exposition Universelle de 1851. Le nouveau parc a été naturellement nommé Crystal Palace Park. Les statues de dinosaures en béton étaient une attraction à faible coût. La veille du Nouvel An 1853, 21 scientifiques ont participé à un célèbre dîner à l'intérieur de la statue d'Iguanodon, qui n'était pas encore achevée. Gideon Mantell, celui qui avait découvert et identifié l'Iguanodon, n'était pas parmi eux. À la table, il y avait le plus grand nom de la paléontologie de cette époque : Richard Owen. À ce moment-là, il avait passé plusieurs années à travailler et à faire en sorte que la vie de Gideon Mantell soit très difficile.
Owen a grandi dans le nord de l'Angleterre et a été formé pour devenir médecin. C'était un anatomiste né, il se consacrait à ses recherches. Il lui arrivait de subtiliser illégalement des membres, des organes et d'autres parties de cadavres pour les disséquer chez lui. Une fois, il a ramené la tête d'un marin africain dans un sac. Il a glissé sur des pierres mouillées et il a vu la tête rouler dans la rue et entrer dans une maison. On peut imaginer ce que les propriétaires ont dit en voyant une tête rouler à leurs pieds ! On raconte qu'avant qu'ils aient compris ce qui se passait, un jeune homme a couru pour récupérer la tête et il est reparti.
En 1825, à 21 ans, Owen a déménagé à Londres et il a été engagé par le Royal College of Surgeons pour aider à organiser une collection de spécimens médicaux et anatomiques laissés par John Hunter, un chirurgien exceptionnel.
Owen s'est vite fait remarquer grâce à ses compétences d'organisation et d'interprétation. Il était un anatomiste hors pair, capable de reconstituer des créatures presque aussi bien que Cuvier à Paris. Il est devenu un expert en dissection d'animaux, et il avait la priorité sur tous les animaux qui mouraient au zoo de Londres. Il est devenu un expert en animaux de toutes sortes, vivants ou éteints. En 1861, il a découvert l'Archaeopteryx en Bavière, il a été le premier à le décrire. Il a écrit environ 600 articles sur l'anatomie. C'est énorme !
Mais c'est grâce à son travail sur les dinosaures qu'Owen est resté dans les mémoires. C'est lui qui a inventé le mot "dinosaure" en 1841. Ça veut dire "lézard terrible", ce qui n'est pas un nom très approprié. On sait aujourd'hui que les dinosaures n'étaient pas terribles : certains étaient plus petits qu'un lapin et étaient probablement solitaires. Et ce n'étaient pas des lézards. En réalité, les dinosaures appartenaient à une famille beaucoup plus ancienne. Owen savait qu'ils étaient des reptiles, et il existait déjà un mot grec pour désigner les reptiles, mais il ne voulait pas l'utiliser. Il a aussi fait une autre erreur, plus excusable : il n'a pas remarqué que les dinosaures n'étaient pas un seul type de reptile, mais deux : les ornithischiens, dont les hanches ressemblaient à celles des oiseaux, et les saurischiens, dont les hanches ressemblaient à celles des lézards.
Owen n'était pas un homme très charmant, ni physiquement, ni mentalement. Sur une photo de lui, on le voit maigre et sournois, avec des cheveux longs et raides, et des yeux globuleux. C'était un homme froid et arrogant, prêt à tout pour réussir. On raconte que Charles Darwin était la seule personne qu'il détestait. Même le fils d'Owen a parlé du "cœur froid et lamentable" de son père.
Son talent d'anatomiste était incontestable, ce qui lui permettait de faire des choses malhonnêtes sans être inquiété. En 1857, le naturaliste T.H. Huxley a été surpris de voir qu'Owen était listé comme professeur d'anatomie comparée et de physiologie au Royal School of Mines dans une nouvelle édition du "Churchill's Medical Directory", parce que c'était le poste qu'occupait Darwin. Quand il a demandé pourquoi ce guide avait fait une erreur aussi grossière, on lui a dit que l'information avait été donnée par Owen lui-même. On l'a aussi accusé de s'approprier les découvertes des autres. Owen a même eu une dispute avec le dentiste de la Reine au sujet d'une théorie sur la physiologie des dents.
Il n'hésitait pas à persécuter ceux qu'il n'aimait pas. Au début de sa carrière, il a utilisé son influence à la Geological Society pour empêcher un jeune homme, Robert Grant, de devenir anatomiste.
Incapable de faire son travail, Grant s'est découragé et a disparu de la scène scientifique.
Owen a été impitoyable, mais celui qui a le plus souffert de ses actions a été Gideon Mantell. Après avoir perdu sa femme, ses enfants, sa profession de médecin et la plupart de sa collection de fossiles, Mantell a déménagé à Londres. En 1841, Owen a été reconnu comme celui qui avait nommé et découvert les dinosaures. Et Mantell a eu un terrible accident. Alors que sa calèche traversait Clapham Common, il est tombé du siège, s'est emmêlé dans les rênes et a été traîné par les chevaux sur le sol. Cet accident l'a laissé bossu, boiteux, souffrant de douleurs chroniques et d'une colonne vertébrale endommagée. Il ne s'en est jamais remis.
Owen a profité de la faiblesse de Mantell pour effacer systématiquement ses contributions, renommer les espèces qu'il avait nommées des années auparavant et s'approprier ses découvertes. Mantell voulait faire des recherches, mais Owen a utilisé son influence à la Royal Society pour s'assurer que la plupart des articles de Mantell soient rejetés. En 1852, Mantell, incapable de supporter la douleur ou la persécution, s'est suicidé. Sa colonne vertébrale déformée a été prélevée et envoyée au Royal College of Surgeons, où elle a été conservée par Richard Owen, le conservateur du Hunterian Museum. C'est ironique !
Mais l'humiliation n'était pas terminée. Peu de temps après la mort de Mantell, la revue "Literary Gazette" a publié une nécrologie impitoyable. Mantell y était décrit comme un anatomiste de second ordre, dont les contributions à la paléontologie étaient limitées par son "manque de connaissances". La nécrologie lui enlevait même le mérite d'avoir découvert l'Iguanodon, et attribuait cette découverte à Cuvier et à Owen. La nécrologie n'était pas signée, mais tout le monde dans la communauté scientifique savait qui l'avait écrite.
Mais à ce moment-là, Owen était allé trop loin. Sa chute était proche. Une commission de la Royal Society, dont Owen était le président, a décidé de lui accorder la plus haute distinction : la Royal Medal, pour un article qu'il avait écrit sur une espèce éteinte de mollusque appelée bélemnite. Mais il s'est avéré que les bélemnites avaient été découvertes quatre ans auparavant par un naturaliste amateur, Channing Pearce, et que cette découverte avait déjà été présentée lors d'une réunion de la Geological Society. Owen était présent lors de cette réunion, mais il n'en avait pas parlé dans son rapport à la Royal Society. Dans ce rapport, il avait renommé l'animal "Owenia" en son honneur. Bien qu'Owen ait été autorisé à conserver la Royal Medal, cet incident l'a discrédité pour toujours, même auprès de ses rares partisans.
Finalement, Huxley a rendu la pareille : il a fait en sorte qu'Owen soit évincé de plusieurs commissions de la Zoological Society et de la Royal Society. Huxley est devenu le nouveau professeur au Hunterian Museum du Royal College of Surgeons, mettant fin à la punition d'Owen.
Owen n'a plus jamais fait de recherches importantes, mais il s'est consacré à une chose extraordinaire, pour laquelle nous devons lui être reconnaissants. En 1856, il est devenu le directeur du département d'histoire naturelle du British Museum, et il a été à l'origine de la création du Musée d'Histoire Naturelle de Londres. Ce magnifique bâtiment gothique de South Kensington a ouvert ses portes au public en 1880, et il est en grande partie le fruit de sa vision.
Avant Owen, les musées étaient principalement destinés à une élite, et même eux avaient du mal à y entrer. Au début du British Museum, les personnes qui voulaient visiter devaient écrire une lettre de candidature et passer un entretien pour déterminer s'ils étaient aptes à entrer. Ensuite, ils devaient revenir chercher leur billet, et revenir une troisième fois pour voir les trésors du musée. Même à ce moment-là, ils ne pouvaient visiter qu'en groupe, et ils étaient pressés d'avancer. Owen voulait que tout le monde soit le bienvenu, il encourageait même les ouvriers à visiter le musée le soir. Il a utilisé la majeure partie du musée pour exposer des objets au public. Il a même proposé de mettre des panneaux explicatifs pour chaque objet exposé. T.H. Huxley s'est opposé à cette idée, ce qui est surprenant. Huxley pensait que les musées devaient surtout être des centres de recherche. En faisant du Musée d'Histoire Naturelle un lieu accessible à tous, Owen a changé la vocation des musées.
Mais son esprit d'ouverture ne lui a pas fait oublier ses adversaires. L'un de ses derniers actes a été de faire campagne contre une proposition visant à ériger une statue de Charles Darwin. Il n'a pas réussi, mais il a obtenu une petite victoire, plus tard. Aujourd'hui, sa propre statue surplombe l'entrée du Musée d'Histoire Naturelle, tandis que les statues de Darwin et de Huxley sont discrètement placées dans le café du musée, observant les visiteurs boire leur thé et manger des beignets.
On pourrait penser que les mesquineries de Richard Owen ont marqué un point bas dans la géologie du 19ème siècle, mais un autre conflit, encore plus grave, a éclaté, cette fois-ci à l'étranger. Dans les dernières décennies du siècle, les États-Unis ont connu un conflit beaucoup plus violent, entre Edward Drinker Cope et Othniel Charles Marsh.
Ils avaient beaucoup de points communs. Ils étaient tous les deux gâtés, impatients, égocentriques, querelleurs, jaloux, méfiants et grincheux. Ensemble, ils ont changé la paléontologie.
Au début, ils étaient amis et s'admiraient mutuellement. Ils ont même donné le nom de l'autre à des espèces fossilisées. En 1868, ils ont travaillé ensemble pendant une semaine. Puis, quelque chose s'est mal passé, et leur relation s'est transformée en hostilité. Au cours des 30 années suivantes, cette hostilité s'est transformée en haine. Il est certain que personne ne s'est jamais méprisé autant que ces deux hommes.
Marsh était huit ans plus âgé que Cope. C'était un intello solitaire, bien habillé, avec une barbe soignée. Il sortait rarement sur le terrain, et quand il sortait, il n'était pas très doué pour trouver des choses. Une fois, il est allé visiter le célèbre site de dinosaures de Como Bluff, dans le Wyoming, et il n'a pas remarqué que les os de dinosaures étaient "éparpillés comme du bois", selon un historien. Mais il avait de l'argent, et il pouvait acheter ce qu'il voulait. Bien qu'il vienne d'une famille modeste, son oncle était le richissime financier George Peabody. Quand Marsh a montré de l'intérêt pour l'histoire naturelle, Peabody lui a construit un musée à Yale et lui a donné suffisamment d'argent pour le remplir avec tout ce qu'il voulait.
Cope était né dans une famille privilégiée, son père était un riche homme d'affaires de Philadelphie. Il était plus aventureux que Marsh. À l'été 1876, alors que George Armstrong Custer et ses troupes étaient massacrés à Little Bighorn, Cope cherchait des os à proximité, dans le Montana. On lui a fait remarquer qu'il était imprudent de chercher des trésors en territoire indien à ce moment-là. Il a réfléchi un instant, puis il a décidé de continuer. Il a fait de belles découvertes. Une fois, il a rencontré un groupe d'Indiens Crow méfiants, mais il a gagné leur confiance en enlevant et en remettant sans cesse son dentier.
Pendant une dizaine d'années, la rivalité entre Marsh et Cope est restée discrète. Mais en 1877, elle s'est soudainement transformée en conflit ouvert. Cette année-là, un instituteur du Colorado, Arthur Lakes, et un ami ont trouvé des os près de Morrison. Lakes a pensé que les os appartenaient à un "lézard géant". Il a eu la bonne idée d'envoyer des échantillons à Marsh et à Cope. Cope était ravi et a envoyé 100 dollars à Lakes en échange de son silence, surtout envers Marsh. Lakes a demandé à Marsh de transmettre les os à Cope. Marsh l'a fait, mais il a subi une humiliation qu'il n'a jamais oubliée.
Cet événement a marqué le début d'une rivalité qui est devenue de plus en plus intense, sale et ridicule. Il est arrivé que les équipes d'excavation des deux hommes se lancent des pierres. On a découvert Cope en train de fouiller dans les caisses de Marsh. Ils se sont insultés dans les journaux, dénigrant les réalisations de l'autre. La science a souvent progressé grâce à la rivalité. Au cours des années suivantes, grâce à l'effort combiné des deux hommes, le nombre d'espèces de dinosaures connues aux États-Unis est passé de 9 à près de 150. Presque tous les dinosaures que les gens connaissent, le Stegosaurus, l'Apatosaurus, le Diplodocus, le Triceratops, ont été découverts par l'un ou l'autre de ces hommes. Malheureusement, ils ont travaillé trop vite, trop négligemment, et ils ont souvent considéré des choses déjà connues comme de nouvelles découvertes. Ils ont "découvert" une espèce appelée "Uintatherium" pas moins de 22 fois. Leur classification était tellement chaotique qu'il a fallu des années pour la remettre en ordre, et certaines choses ne sont toujours pas claires.
Cope a fait beaucoup plus de découvertes scientifiques que Marsh. Au cours de sa vie, il a écrit environ 1 400 articles scientifiques et décrit près de 1 300 nouvelles espèces de fossiles. Mais Cope a connu une descente aux enfers dans ses dernières années. Il a hérité d'une fortune en 1875, mais il l'a investie dans le secteur financier et il a tout perdu. Il a fini par vivre dans une chambre individuelle dans une pension de Philadelphie, entouré de livres, de documents et d'os. Marsh a passé ses dernières années dans une maison luxueuse à New Haven. Cope est mort en 1897, et Marsh est mort deux ans plus tard.
Dans ses dernières années, Cope a eu une autre idée intéressante. Il voulait qu'on le déclare "spécimen type" de l'espèce humaine. En général, le spécimen type d'une espèce est le premier squelette découvert, mais comme le premier squelette humain n'existe pas, il y avait un vide. Cope voulait combler ce vide.
Pour cela, Cope a légué ses os au Wistar Institute de Philadelphie, un organisme scientifique fondé par un descendant de Caspar Wistar. Malheureusement, après avoir été traités et assemblés, ses os ont révélé des signes de syphilis précoce, et personne ne voulait conserver cette caractéristique sur le spécimen type de l'humanité. La demande de Cope n'a pas été honorée. À ce jour, l'espèce humaine n'a toujours pas de spécimen type.
Quant aux autres protagonistes de cette histoire, Owen est mort en 1892. Buckland a sombré dans la folie et a passé ses dernières années dans un asile psychiatrique à Clapham, non loin de l'endroit où Mantell avait eu son accident. La colonne vertébrale déformée de Mantell a été exposée au Hunterian Museum pendant près d'un siècle, avant d'être détruite par une bombe lors du Blitz à Londres, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après la mort de Mantell, le reste de sa collection a été hérité par ses enfants. Une grande partie de cette collection a été emmenée en Nouvelle-Zélande par son fils Walter, qui avait émigré dans ce pays en 1840. Walter est devenu un Néo-Zélandais éminent, et il a fini par devenir ministre des Affaires indigènes. En 1865, il a fait don des principaux spécimens de la collection de son père, y compris la fameuse dent d'Iguanodon, au Colonial Museum de Wellington, qui est aujourd'hui le Musée de Nouvelle-Zélande, où elle est toujours conservée. Mais la dent d'Iguanodon qui a tout déclenché, sans doute la dent la plus importante de la paléontologie, n'est plus exposée au public.
Bien sûr, la recherche de dinosaures ne s'est pas arrêtée avec la mort des grands chasseurs de dinosaures du 19ème siècle. En réalité, dans une certaine mesure, elle ne faisait que commencer. En 1898, à l'année même de la mort de Cope et de Marsh, un trésor extraordinaire a été découvert dans la "Bone Cabin Quarry", à quelques kilomètres de l'endroit où Marsh avait fait ses principales découvertes, à Como Bluff, dans le Wyoming. Des centaines de foss