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Alors, euh, voilà, on arrive, disons, à la fin de ce... de ce chemin qu'on a parcouru ensemble, hein. On a entrevu un monde qui est, euh, franchement, différent de ce que notre intuition nous dit, de ce que, comment dire, la sagesse populaire nous rabâche, et de ce qu'on essaie de nous forcer à penser avec des modèles un peu rigides, quoi. Ce nouveau monde, bon, il peut nous désorienter, hein, c'est sûr. Mais au moins, il est plus proche de la réalité, de la vérité, quoi. Nos idées un peu simplistes sur pourquoi les choses arrivent, c'est... c'est un peu des mensonges, hein. Nos perceptions, elles ont évolué pour nous tromper, en fait. La réalité, elle est complètement interconnectée, en constante évolution, toujours influencée même par les trucs les plus petits, les plus minuscules.
Ça veut dire que, euh, nos parcours, hein, quand on avance dans ce monde un peu comme un fleuve, bah, ils dépendent d'un nombre quasi infini de facteurs. Si on change quoi que ce soit, on change tout, quoi. Et ces vérités, elles mènent inexorablement à une révélation un peu mystifiante: le monde est incertain, inexpliquable, et incontrôlable. Voilà.
Mais alors, qu'est-ce qu'on fait de ça, hein? Comment on vit avec ça?
Comme le dit, je crois que c'est l'essayiste Maria Popova, je crois, un truc comme ça, "Vivre émerveillé par la réalité, c'est la plus belle façon de vivre". Mais combien d'entre nous, euh, piégés dans la routine de la vie moderne, on a perdu cet émerveillement, hein? Il est temps de lâcher ces faux dieux de la maîtrise et du contrôle, et de s'émerveiller devant la beauté qui se cache dans l'incertitude, si on sait où regarder, bien sûr.
Peut-être que ce malaise qu'on ressent souvent, il vient de cette obsession qu'on a d'essayer de contrôler un monde qui est incontrôlable, quoi. C'est une extension d'une vision du monde un peu fausse qui nous enferme dans une quête impossible de certitude. Et cette quête, elle se termine toujours par une déception. La façon dont on vit maintenant, elle est liée à la façon dont on comprend mal le monde, quoi. On considère les bizarreries inévitables d'un monde interconnecté comme de simples curiosités ou des coïncidences, au lieu de les voir comme les premiers signes d'un jardin élégant et complexe qui montre sa majesté insaisissable. Quand nos modèles économiques et politiques de la réalité réduisent un monde à couper le souffle, plein de la richesse des fractales et des spirales de Fibonacci, à des équations linéaires stériles et fixes qu'on peut résoudre avec une poignée de variables faciles à mesurer, bah, notre vision de nous-mêmes et de ce qui nous entoure, elle devient plus terne, quoi. La vie elle-même, dans cette envie futile de contrôle, elle peut se transformer en une espèce de galère où on essaie de résoudre une équation, où on a l'impression qu'il nous manque juste un truc, un produit ou une promotion, pour avoir ce qu'on veut vraiment, et quand on l'achète ou qu'on l'atteint, bah, c'est encore une illusion décevante, quoi.
Et pourtant, on continue à prier à l'autel du progrès, dans l'église du contrôle, quoi. La plupart de nos vies, quand on est éveillé, elles sont consacrées à atteindre une espèce de progrès humain indéfinissable... "Est-ce qu'on va atteindre l'objectif du troisième trimestre?", ce genre de choses... Ce qui va nous permettre de maîtriser une portion de plus en plus grande du monde. Mais quand on essaie de transformer chaque effort en une lutte pour l'optimisation à tout prix, bah, c'est l'essence même de l'être humain qui disparaît, quoi. Il ne reste plus qu'un résidu de vide intérieur un peu mécanique, un peu atomisé. On trime dans une espèce de frénésie un peu illusoire pour extraire la dernière goutte froide d'efficacité des stratégies d'entreprise, des astuces de vie, des listes de choses à faire, une espèce de stratégie "drive-thru" pour vivre, quoi. On essaie d'en faire plus, même si on apprécie moins chaque chose. Les victoires de la vie sont devenues, pour beaucoup, éliminer les moments de contemplation calme et lente, et les remplacer par un multitâche hyperproductif, pendant qu'on court après des objectifs un peu comme Sisyphe, qui ne nous satisferont jamais. Pour beaucoup d'entre nous, on a l'impression de vivre une vie de checklist, quoi. Mais nos plus beaux moments, c'est souvent les moins efficaces, ces expériences fugaces où on met de côté nos désirs d'accomplissement, et où le prix, c'est juste un moment d'être extatique, quoi.
C'est ça, le paradoxe de la vie au XXIe siècle: une prospérité incroyable semble être liée à des taux croissants d'aliénation, de désespoir et de précarité existentielle, hein. Les humains ont construit les civilisations les plus sophistiquées qui aient jamais existé sur la planète, mais des millions de personnes ont besoin de se médicamenter pour supporter de vivre dedans, quoi. On peut contrôler plus de choses que les anciens n'auraient jamais pu l'imaginer, extraire des minéraux de la terre, les alimenter avec un flux d'électrons qu'on peut diriger ou interrompre, créer des images sur nos écrans de magiciens, d'extraterrestres et de super-héros qui n'existaient que dans notre imagination, quoi. Maintenant, on commence même à pouvoir inventer d'autres esprits, capables de produire leur propre art et leur propre littérature. Et ça nous a menés où? Sur tous les plans, on est mieux lotis qu'avant, mais beaucoup d'entre nous se sentent plus mal, quoi.
Selon le sociologue allemand Hartmut Rosa, c'est un désespoir qu'on a créé nous-mêmes, pas à cause de la technologie, mais à cause de cette envie vaine de rendre le monde contrôlable, quoi. L'impératif catégorique de la modernité tardive, il écrit, est simple mais sombre: "Agis toujours de manière à augmenter ta part du monde". Les relations deviennent un moyen d'arriver à ses fins, réduisant une existence connectée de manière magique à un simple "networking", quoi. L'écrivaine et ancienne religieuse Karen Armstrong, elle partage ce malaise, en remarquant que, quand les gens visitent les musées, ils n'absorbent plus simplement le fait d'être à côté d'un objet avec des implications historiques mondiales. Non, ils prennent une photo avec leur téléphone et passent à autre chose, en cherchant à "le posséder d'une certaine manière, comme si ça ne devenait réel pour eux que lorsqu'ils en ont une copie virtuelle". Mais cette aspiration au contrôle, elle est malavisée, selon Rosa, parce que "ce n'est qu'en rencontrant l'incontrôlable qu'on fait vraiment l'expérience du monde. C'est seulement là qu'on se sent touché, ému, vivant". Même dans les célébrations planifiées de la vie, on se souvient surtout des moments imprévus, quoi.
Malgré tout, on avale les mensonges des charlatans qui nous disent que le vrai contrôle, il est juste à un livre de développement personnel de nous, quoi. Non seulement la version de l'histoire qu'on nous raconte est réelle, ils insistent, mais vous êtes le personnage principal dedans, quoi. Vous, seul, vous pouvez façonner l'intrigue... si vous puisiez dans une source magique de pensées positives.
Prenez, par exemple, le livre *Le Secret* de Rhonda Byrne. Il s'est vendu à 30 millions d'exemplaires et a été traduit dans plus de cinquante langues. Byrne, elle insiste sur le fait que le malheur d'avoir peu de possessions et d'être pauvre, c'est un état mental, qui attend d'être vaincu par le penseur éclairé, quoi. "La seule raison pour laquelle une personne n'a pas assez d'argent, c'est parce qu'elle bloque l'argent en l'empêchant de venir à elle avec ses pensées", elle affirme. Le X de la pensée positive cause le Y de la richesse. Si seulement toutes les masses pauvres, recroquevillées de Nancys négatives et de Debbie Downers, pouvaient s'offrir son livre! S'ils le pouvaient, ils apprendraient des leçons étonnantes, y compris l'idée que "les pensées envoient ce signal magnétique qui attire le parallèle vers vous". (Peu importe que les aimants attirent leur opposé, pas leur parallèle.) Quel dommage que les esclaves d'il y a deux siècles n'aient pas simplement imaginé qu'ils étaient différents! Leurs chaînes n'étaient que des menottes dans leur esprit. Dans le charabia de Byrne, les victimes de terribles malheurs n'ont qu'à s'en prendre à elles-mêmes.
C'est n'importe quoi. Les gens à Hiroshima n'ont pas choisi d'être vaporisés avec une nouvelle arme dont ils ignoraient l'existence, et personne à Kyoto n'a choisi d'être sauvé par la sentimentalité d'un touriste oublié depuis longtemps. Henry Stimson n'a pas décidé de naître en sachant qu'un jour il jouerait à Dieu au Japon. Claude Monet n'a pas peint pour sauver la vie d'un homme avec une cravate inspirée par l'œuvre de Monet pendant une journée fatidique de septembre, soixante-quinze ans après sa mort. Et Joseph Lott n'a pas décidé de survivre avec une affirmation de contrôle quand il a reçu le cadeau d'une cravate Monet. Lott, comme nous tous qui sommes vivants aujourd'hui, se trouvait juste au bon endroit au bon moment. Ce ne sont pas des moments bizarres d'impuissance inhabituelle où des gens malchanceux sont devenus le jouet du destin, mais plutôt des aperçus de la façon dont le monde fonctionne vraiment. D'innombrables décisions lointaines, des accidents - heureux et malheureux - séparés par l'espace et le temps, se rejoignent de manière qu'on n'aurait jamais pu anticiper, et nos vies changent à cause d'eux. Ça peut être réconfortant d'accepter ce qu'on est vraiment: un hasard cosmique, des atomes en réseau infusés de conscience, dérivant sur une mer d'incertitude.
On n'a pas besoin de tout contrôler. C'est pas grave, quoi.
Le problème, c'est pas seulement que Byrne et ses comparses opportunistes vendent des conneries pseudo-scientifiques comme *Le Secret*, mais qu'ils vendent une feuille de route vers l'impossible, un guide pour apprivoiser un univers qui ne peut pas être apprivoisé, quoi. Ça renforce aussi cette idée corrosive que tout désespoir que tu rencontres peut être résolu avec plus d'argent, plus de contrôle, plus d'action individuelle. Les mensonges de Byrne effacent la nature interconnectée de la réalité, en suggérant que vous seul déterminez votre destin. La seule raison de regarder à l'intérieur, c'est pour pouvoir conquérir plus du monde extérieur, en l'acquérant comme la photo de musée. Les pires excès de l'industrie du développement personnel, en particulier avec des livres comme *Le Secret*, c'est trop souvent le guide de l'univers pour narcissiques égocentriques, où tout ce qui existe peut être attiré vers vous si vous utilisez juste les bons mots ou les bonnes pensées pour l'appeler à votre service. Même si le monde fonctionnait comme ça (ce n'est pas le cas), la recherche a établi que les humains ont tendance à rester coincés sur un tapis roulant hédoniste, où on court de plus en plus vite vers les choses qui, selon nous, vont nous rendre heureux, généralement des trucs et du statut, mais au final, on se retrouve au même endroit, là où on a commencé, quoi.
Ça veut pas dire qu'il faut être des stoïques qui récitent constamment la Prière de la Sérénité, en se retirant des injustices du monde, ou en acceptant le malheur sans essayer de changer notre sort. Lutter, ça fait partie de ce que ça veut dire être humain. Au lieu de ça, c'est simplement insister sur le fait que la façon dont on voit le monde, ça compte, et que trop d'entre nous se sont fait vendre un mensonge. On ne peut pas contrôler le monde en récitant des incantations ou en invoquant des richesses avec nos pensées. Mettre sa foi dans des faux oracles, ça va mener à une déception constante.
Mais c'est pas juste que le culte à l'intérieur de l'église du contrôle nous rend malheureux, hein. Paradoxalement, les tentatives malavisées d'affirmer le contrôle rendent le monde moins contrôlable - et de manière dangereuse. La campagne désastreuse des Quatre Fléaux de Mao en Chine - où le dictateur a essayé de dompter la nature selon ses caprices et a anéanti des millions de personnes à cause de la famine - n'est qu'un exemple de l'orgueil qui s'est retourné contre nous. La science de la complexité, comme on l'a vu, établit les risques de vivre sur le "bord du chaos", où un système vacille au bord d'un point de bascule, le moment où les Cygnes Noirs sont le plus susceptibles de nous prendre au dépourvu. Et pourtant, qu'est-ce qu'on fait? On court vers le bord, en espérant éliminer le moindre relâchement dans nos systèmes sociaux, en se prosternant devant le Dieu de l'Efficacité. Ces dernières années, on est tombé de la falaise à plusieurs reprises avec des calamités créées par l'homme, amplifiées par des systèmes entièrement optimisés sans marge d'erreur, mais on s'accroche au même évangile, quel que soit le prix, quoi.
Du coup, le monde - qui était déjà une espèce de joyeux bordel d'accidents et de hasards - est devenu encore plus incertain. Ce genre d'incertitude, où des vies et des moyens de subsistance sont en équilibre sur le fil du rasoir de nos propres créations, insère un risque catastrophique dans nos sociétés. On devrait tirer des leçons, intégrer plus de mou dans nos systèmes, et échanger une efficacité parfaite contre une meilleure résilience. C'est une meilleure façon de vivre, plus solide.
Mais aussi étrange que ça puisse paraître, il y a des bonnes sortes d'incertitude, et elles nous rendent humains. Pensez-y: Si vous pouviez savoir, avec une certitude absolue, tout ce qui allait arriver dans votre vie, d'une feuille de calcul des peines de cœur imminentes à un calendrier qui marquerait le moment précis de votre fin terrestre, est-ce que cette connaissance vous attirerait?
Un monde sans mystère vécu serait un monde froid, désincarné, où on dériverait dans la vie sans jamais être surpris, sans jamais s'arrêter pour contempler comment la nature nous a tissés dans sa toile infiniment complexe, sans jamais être submergés par un sentiment existentiel d'admiration. On serait des zombies vivants, avec des cerveaux engourdis, coincés dans un monde de vide vaste et calculable. La modernité est une mission collective pour détruire l'inconnu, mais on serait perdus sans lui.
En tant qu'espèce, on se trompe quand on imagine qu'on préférerait un monde certain qu'on pourrait entièrement contrôler. En vérité, on a besoin d'un équilibre sain entre l'ordre et le désordre, satisfait par notre monde de convergence contingente. Le physicien Alan Lightman note: "On aime la structure de la musique classique occidentale, ainsi que les passages improvisés ou les rythmes improvisés du jazz. On est attirés par la symétrie d'un flocon de neige, mais on se délecte aussi de la forme amorphe d'un nuage haut perché... On peut respecter ceux qui réussissent à vivre de manière sensée et à mener une vie droite. Mais on estime aussi les originaux qui brisent le moule, et on célèbre le sauvage, le débridé et l'imprévisible en nous". La vie serait ennuyeuse et monotone si tout était structuré et ordonné, mais le désordre pur nous détruirait.
Nietzsche a écrit que cette tension vient des impulsions humaines à la fois pour l'Apollinien et le Dionysiaque. Les deux étaient des fils de Zeus, mais Apollon représentait l'ordre, la logique et la raison, tandis que Dionysos est considéré comme un agent irrationnel du chaos qui aime faire la fête et danser. Pour vivre pleinement, on a besoin des deux.
Beaucoup d'entre nous ont l'impression qu'on a trop peu de Dionysiaque, alors on essaie d'en caser un peu plus dans nos vies. Trop souvent, c'est aussi futile que l'insomniaque qui essaie de se forcer à s'endormir. Dans la mentalité malavisée de l'église du contrôle, les moments dionysiaques doivent être conçus, pas découverts. Tout, même la joie, peut être transformé en une métrique. Est-ce que vous avez vraiment fait cette promenade dans la nature sauvage si votre Fitbit n'a pas enregistré votre nombre de pas? Combien d'entre vous regardent ces mots parce que vous avez mis "lire *Fluke*" sur votre liste de choses à faire? Mais si chaque objectif mène à un autre, et que celui-là mène à un autre, est-ce qu'on ne cherche pas toujours une perspective inatteignable qui n'arrive jamais? Combien d'actions on fait dans la vie moderne qui ne sont pas pour autre chose?
Embrasser la beauté de l'incertitude, ça veut dire mettre un peu moins l'accent sur la façon dont votre action individuelle dans le présent peut produire un avenir optimisé, et un peu plus l'accent sur la célébration du présent qui a été créé pour vous, la symphonie de nos vies qui est jouée par un orchestre de billions d'êtres individuels frappant leurs notes respectives à travers des milliards d'années, culminant dans ce moment contingent et absolument unique.
C'est un peu une leçon d'humilité de reconnaître qu'on n'est pas le chef d'orchestre de la symphonie, mais plutôt une corde vibrante à l'intérieur. Cette vérité nous situe dans quelque chose de vaste et d'inconnu. On ne peut pas savoir où on va, ni pourquoi on est ici (s'il y a une raison). Ça mène à trois des mots les plus importants qui existent: Je ne sais pas. Wislawa Szymborska, la poétesse et écrivaine lauréate du prix Nobel, chérit cette phrase. "C'est petit", dit-elle, "mais ça vole sur des ailes puissantes... Si Isaac Newton ne s'était jamais dit: 'Je ne sais pas', les pommes dans son petit verger seraient peut-être tombées par terre comme des grêlons et, au mieux, il se serait penché pour les ramasser et les dévorer avec gourmandise".
La bonne société, c'est celle où on accepte l'incertain et où on embrasse l'inconnu. Pour ce faire, il faut s'assurer que nos vies quotidiennes soient remplies d'exploration, de plaisirs simples, de surprises agréables - de hasards - et de moments où les futurs anxieux intégrés dans les listes de choses à faire sont effacés de notre esprit, au moins pour un temps, par un sentiment de joie dans le moment présent. Aristote n'a pas écrit sur le bonheur fugace, mais sur l'eudaimonia durable, ou l'épanouissement. Pour ériger le cadre de l'épanouissement, on a besoin d'une superstructure fiable qui subvienne à nos besoins fondamentaux, un rempart contre un sentiment de survie précaire. Ce dont on n'a pas besoin, c'est d'une société qui est régulièrement bouleversée par des chocs majeurs à l'échelle du système qui nous tirent dans des directions indésirables, nous arrachant au présent pour nous inquiéter de notre avenir existentiel. On a créé une société qui est, à bien des égards, l'opposé de cette bonne société, où la vie de tous les jours est sur-optimisée, sur-programmée et sur-planifiée, tandis que la société elle-même est plus sujette aux surprises indésirables, aux bouleversements catastrophiques et au désordre destructeur. On a inventé un monde à l'envers où Starbucks restera immuable, tandis que les rivières s'assèchent et que les démocraties s'effondrent. On serait mieux avec de la sérendipité quotidienne, mais des structures stables.
Mais si on peut ramener nos sociétés du bord du chaos, comment peut-on mieux vivre nos vies individuelles à l'intérieur? Quelles leçons peut-on tirer de notre nouvelle vision du monde, un peu déroutante? Encore une fois, l'évolution peut nous apprendre quelque chose: que l'expérimentation va nous rapprocher de l'eudaimonia d'Aristote.
Pour beaucoup, le désespoir dans la modernité découle d'un sentiment d'impuissance, voire d'un sentiment paralysant d'inutilité. Si vous êtes un employé d'entrepôt qui voit la perspective d'être remplacé par un bras robotique et que vos pauses toilettes sont suivies par une surveillance numérique, c'est difficile d'être submergé par un sentiment de sens cosmique. "Je n'ai aucun effet sur le monde!" ou "Rien de tout ça n'a d'importance!", ce sont les refrains de la misère moderne. Pourtant, l'une des belles implications de l'acceptation de la façon dont le monde fonctionne vraiment, de manière interconnectée et contingente, c'est que tout le monde - et tout ce que cette personne fait dans une vie - compte. Beaucoup de nos effets d'entraînement vont nous être cachés, comme avec les vacances des Stimson en 1926. La vérité de cette nouvelle vision du monde fournit un message plus puissant que n'importe quel livre de développement personnel ne peut l'imaginer: on ne contrôle peut-être rien, mais on influence tout.
On compte tous, bien que certains d'entre nous vont influencer les événements de notre vie de manière plus ou moins profonde et visible. Mais si on veut maximiser la chance que nos actions comptent encore plus, alors le meilleur chemin vient de l'une des plus belles innovations que notre espèce ait jamais développées: la coopération. Les humains qui travaillent ensemble créent le changement ensemble.
Comment doit-on vivre dans ce monde d'influence puissante? Les humains, comme toutes les créatures, font face à un compromis entre deux stratégies d'interaction avec le monde: explorer contre exploiter. Explorer, c'est par définition errer, ne pas savoir où on va. Exploiter, c'est courir vers une destination connue. Le compromis entre les deux a été un domaine de recherche intense en mathématiques, en particulier en ce qui concerne un puzzle hypothétique connu sous le nom de problème du bandit manchot à plusieurs bras. L'idée de base, cependant, ne nécessite pas de chiffres. Essayer un nouveau restaurant où vous n'êtes jamais allé après être tombé dessus, c'est une stratégie d'exploration. Aller au même restaurant où vous êtes allé cent fois parce que vous savez que c'est votre préféré, c'est un exemple de stratégie d'exploitation.
Ces idées sont liées à ce qu'on appelle un maximum local contre un maximum global. Imaginez que vous êtes un alpiniste, et que votre plus grand objectif dans la vie est d'atteindre l'altitude la plus élevée possible. Vous êtes basé dans les Alpes, alors vous vous promenez un peu, vous choisissez le plus haut sommet et vous l'escaladez avec un sentiment de satisfaction suffisant. Travail terminé, vous vous dites. Puis, vous rencontrez un autre alpiniste basé dans les Alpes, qui vous dit qu'il a escaladé beaucoup plus haut. Car quand il a atteint le plus haut sommet des Alpes, il a continué à explorer, errant jusqu'à ce qu'il arrive dans l'Himalaya, où il a escaladé l'Everest. L'alpiniste des Alpes a atteint le maximum local, ignorant qu'un maximum global attendait d'être conquis. La leçon, c'est qu'exploiter trop tôt - avant d'avoir exploré suffisamment - signifie que vous restez toujours coincé à escalader le maximum local, ignorant de meilleures possibilités.
De cette façon de penser, atteindre le maximum global est toujours le mieux. Mais ce n'est pas toujours vrai. Peut-être que les Alpes sont assez bien. Parfois, tout ce dont on a besoin, c'est du maximum local. (Si ça marche, pourquoi réparer?) À moins que vous ne soyez un fin gourmet, explorer constamment de nouveaux restaurants pourrait vous laisser perpétuellement insatisfait, aspirant à ce plat que vous savez déjà que vous aimez. D'autres fois, si le système lui-même est incertain, essayer d'atteindre le point le plus élevé peut être une erreur, en particulier quand il est près d'une falaise. Quand le paysage peut changer en un instant, à cause d'un hasard ou d'un Cygne Noir, alors la logique des maxima locaux et globaux se retrouve sur un terrain instable. Dans un terrain en constante évolution, il est parfois utile de se tourner vers la sagesse de l'expérimentation aléatoire.
Grâce à des bricolages aléatoires, l'évolution a forgé des solutions ingénieuses à des problèmes complexes, qui sont bien meilleures que ce que nous, en tant qu'êtres auto-réflexifs, intentionnels et intelligents, pourrions jamais inventer. En biologie, c'est ce qu'on appelle la deuxième règle d'Orgel: l'évolution est plus intelligente que vous ne l'êtes. Si la vie n'avait pas été construite sur l'exploration construite sur la mutation, la sélection et la dérive génétique, alors on serait encore coincés en tant qu'archéobactéries 3,7 milliards d'années plus tard. Le moteur irréfléchi et implacable d'expérimentation inhérent à la vie a donné naissance à la diversité la plus étonnante de plans corporels, de stratégies de survie, et même de conscience, sculptée par des essais et des erreurs. Explorer, puis exploiter, puis explorer, puis exploiter. Pour explorer efficacement, il faut parfois embrasser pleinement l'incertitude. Plutôt que d'essayer de concevoir de meilleures solutions délibérément, la sagesse de l'évolution est libérée en se tournant vers des solutions aléatoires pour s'attaquer à des problèmes qui ne peuvent pas être résolus par une "pensée plus intelligente".
Un exemple intrigant vient du peuple Kantu, qui vit dans les forêts tropicales de l'île de Bornéo. Les Kantu cultivent le riz et le caoutchouc. Les cultures sont complètement différentes. La culture du riz est capricieuse. Parce que les Kantu la cultivent dans des zones où le sol est pauvre, des fluctuations mineures - parasites, eau de pluie, inondations ou sécheresse - peuvent faire qu'un même champ soit abondant une année et stérile l'année suivante. À cause de cette sensibilité, le "meilleur" endroit pour cultiver le riz ne peut pas être prédit. En revanche, le caoutchouc est une valeur sûre. Tant que les Kantu suivent de bonnes techniques agricoles, la culture du caoutchouc sera abondante, année après année. Pour les Kantu, le caoutchouc suit des schémas bien définis, se répétant d'une année à l'autre. En revanche, la culture du riz est fondamentalement incertaine et ne peut pas être contrôlée par les Kantu. Mais malgré cette incertitude irréductible, les Kantu doivent quand même décider où ils doivent planter le riz.
Ils ont développé une stratégie inhabituelle: chercher des signes divins dans le mouvement des oiseaux sacrés. Sur des centaines d'oiseaux à Bornéo, les Kantu déterminent où planter le riz en se basant sur les mouvements et les chants de sept espèces: le shama à croupion blanc, le piculet roux, le trogon à croupion écarlate, le trogon de Diard, le martin-pêcheur à bandes, le pic marron et le geai huppé. Les Kantu croient que les oiseaux peuvent les guider. L'interprétation des présages des oiseaux est un art, dépendant de l'ordre dans lequel ils apparaissent, des chants qu'ils font et de la position de l'observateur humain par rapport aux oiseaux. C'est si complexe que c'en est effectivement aléatoire. À première vue, l'aléatoire semble être une mauvaise stratégie pour décider où planter la nourriture dont vous avez besoin pour survivre.
Mais quand les chercheurs ont étudié les Kantu, ils ont trouvé quelque chose d'étonnant: leurs échecs de récolte étaient sensiblement moins fréquents que ceux des autres communautés. La raison était simple: dans un environnement incertain et en constante évolution, mettre tous vos œufs dans un panier que vous pensez comprendre est une mauvaise idée, même si ce panier a toujours été un endroit sûr pour vos œufs dans le passé. D'autres communautés qui ont essayé de contrôler l'environnement en optimisant en se basant exclusivement sur les résultats passés ont courtisé le désastre. Des fluctuations mineures ont changé l'environnement de croissance et ont fait que toutes leurs cultures ont échoué de la même manière. Pendant ce temps, les Kantu avaient trouvé, par accident superstitieux, un moyen très efficace de diversifier leur portefeuille agricole. Ils l'ont fait non pas en essayant d'extraire la dernière goutte d'efficacité de l'agriculture en se basant sur une théorie imparfaite qui leur accorderait un contrôle absolu, mais plutôt en randomisant le processus comme moyen de faire face à une incertitude inévitable. (Les Kantu incarnent le sage conseil que mon grand-père m'a un jour donné sur la façon d'avoir une vie réussie: "Éviter la catastrophe.")
Dans notre monde, certains des défis auxquels on fait face sont des "problèmes de caoutchouc" et d'autres sont des "problèmes de riz". Certains systèmes fermés sont remarquablement stables - les problèmes de caoutchouc - où la meilleure stratégie est de s'améliorer de plus en plus, en optimisant à la limite, parce que le maximum global est fixe et qu'il faut juste l'escalader. Mais quand vous vous heurtez à un système ouvert et complexe, plein de boucles de rétroaction, de points de bascule et d'incertitude irréductible - les problèmes de riz - eh bien, vous feriez mieux de vous assurer que vous expérimentez constamment parce que sinon la ruine pourrait vous trouver. Pour les problèmes de riz, il est facile de se laisser séduire en pensant qu'on a trouvé le maximum global, seulement pour tomber d'une falaise ensuite. Une fois qu'on tient compte de cette incertitude cataclysmique dans l'équation, la solution optimale au fil du temps peut être un peu plus bas sur la montagne, où c'est encore assez haut, mais pas tout à fait aussi précaire.
On délimite rarement les problèmes de caoutchouc des problèmes de riz. Prenez, par exemple, la façon dont l'analyse des données a été utilisée pour révolutionner le baseball, le soi-disant "moneyballing" du jeu (le nom fait référence au livre Moneyball de Michael Lewis, qui a ensuite été adapté au cinéma avec Brad Pitt). Il détaille comment l'analyse des données a transformé le baseball professionnel, remplaçant les intuitions et les superstitions populaires par des calculs rigoureux et axés sur les données. Dans les systèmes fermés et non complexes (comme une compétition sportive fortement réglementée), ces calculs sont extrêmement efficaces pour prédire les résultats. Au baseball, la seule métrique qui compte, c'est de gagner. Le moneyballing a aidé les équipes à gagner. Les nerds des données ont pris le contrôle des bureaux d'angle. Le baseball, traité comme un problème de caoutchouc, est devenu beaucoup plus optimisé.
Mais il y avait un problème. L'analyse était si efficace que le jeu est devenu ennuyeux. Les lanceurs savaient exactement où lancer la balle pour minimiser la chance qu'un frappeur établisse un contact. Les retraits sur prise - qui sont ennuyeux à regarder et tuent la perspective d'un ralliement excitant - ont augmenté. Le baseball est devenu plus comme deux feuilles de calcul de probabilités convergentes qui s'affrontent sur un diamant. Le sport s'optimisait pour la mauvaise chose. Les sports sont intéressants précisément parce qu'ils sont une incertitude pleine d'action. Au lieu de ça, l'action est devenue plus lente, plus méthodique, stérile. La base de fans du baseball a diminué. La Major League Baseball a finalement inversé le cours des choses et a changé les règles pour la saison 2023 afin de "dé-moneyballer" le jeu, dans le but de générer plus d'action sur le terrain. Les costumes avaient résolu le problème de caoutchouc. Mais les fans voulaient que le baseball soit plus un problème de riz, influencé par un peu plus d'aléatoire, la superstition des casquettes de ralliement, pas les données froides des simulations de Monte Carlo.
Cette saga n'était qu'une question de préférence sportive, donc les conséquences de cette erreur de calcul n'étaient guère désastreuses. Mais on se fait berner vers le désastre - à la fois en tant qu'individu et en tant que société - si on confond les problèmes de riz avec les problèmes de caoutchouc, en faisant du moneyballing de tout, seulement pour être anéanti par un événement incertain qu'on n'aurait jamais pu anticiper. Une plus grande partie de notre monde est régie par des problèmes de riz qu'on ne le croit, et ça veut dire que la meilleure solution se trouve souvent grâce à une bonne dose d'expérimentation aléatoire produisant des solutions diverses, avec du mou intégré, avant de passer en mode exploitation.
Beaucoup de nos homologues animaux apparemment moins intelligents vivent déjà selon ces principes. Il y a un peu plus de dix ans, des chercheurs ont attaché des dispositifs de suivi à une série de poissons, de requins et d'autres créatures marines pour voir comment ils se déplaçaient dans la mer. En utilisant plus de 13 millions de points de données, ils ont commencé à cartographier où les créatures allaient et à comparer ces mouvements à des formules mathématiques. Étonnamment, leurs chemins des mers peu profondes aux océans profonds suivaient deux équations pour le mouvement aléatoire: les marches de Lévy et le mouvement brownien. Une marche de Lévy est caractérisée par beaucoup de petits mouvements dans diverses directions, suivis, de temps en temps, par un grand mouvement dans une direction. Le mouvement brownien, en revanche, n'est qu'une série de petits mouvements dans la même zone. Quand les requins ne savaient pas où trouver leur prochain repas, ils entraient en mode exploration - les marches de Lévy. Mais quand ils tombaient sur un banc de poissons savoureux, ils passaient au mouvement brownien, exploitant l'approvisionnement de nourriture à proximité.
Ce n'est pas une bonne stratégie pour faire l'épicerie. Alors, comment cette approche pourrait-elle aider dans la société humaine? Pensez à la façon dont on alloue le financement de la recherche. Il est impossible de savoir où la recherche va mener quand elle commence, et il est aussi impossible d'anticiper quels problèmes futurs devront être résolus. La recherche est, par nature, une tâche d'exploration. La destination est inconnue. Mais les organisations qui offrent des bourses de recherche veulent souvent voir des preuves d'exploitation: "Dites-nous la destination si vous voulez l'argent!" Des études ont montré que les propositions de bourses de recherche qui promettent la lune - une découverte tangible, avec un impact évident et immédiat - sont plus susceptibles d'obtenir un financement. Elles ne produisent pas nécessairement cet impact plus souvent. Et on est souvent sauvés par l'exploration sans application évidente.
Au milieu des années 1990, Katalin Karikó croyait que son travail était prometteur, alors elle a postulé, encore et encore,