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Alors, euh, voilà, on va parler d'un truc… comment dire… un peu dingue, hein. On est dans les années 40, aux États-Unis, à l'Université de Chicago. Il y a un étudiant, un certain Clair Patterson – un nom américain, hein, mais c'était un gamin de la campagne, de l'Iowa à la base. Et ce mec, il est en train de faire des recherches, super pointues, pour déterminer l'âge exact de la Terre, tu vois ? Il utilise une nouvelle méthode, avec des isotopes de plomb, un truc hyper technique.
Seulement, voilà, galère, hein ! Ses échantillons sont… contaminés ! Mais pas qu'un peu ! Genre, 200 fois la concentration normale de plomb. C'est énorme. Il mettra des années à comprendre d'où vient le problème. Et le coupable, c'est un certain… Thomas Midgley Junior.
Midgley, c'était un ingénieur, à la base. Et, franchement, si il était resté ingénieur, le monde se porterait peut-être mieux, hein. Mais il s'est intéressé aux applications industrielles de la chimie. Et, en 1921, alors qu'il travaillait pour General Motors, il a découvert un composé, le tétraéthylplomb, qui réduisait énormément les vibrations, ce qu'on appelle le cliquetis du moteur.
Faut savoir qu'au début du 20ème siècle, tout le monde savait que le plomb c'était dangereux, hein. Mais on en trouvait partout ! Des conserves soudées au plomb, l'eau stockée dans des réservoirs en plomb, des insecticides à base d'arséniate de plomb pour les fruits… même les tubes de dentifrice ! Bref, à chaque produit, on s'en prenait une dose, tu vois. Mais le plus gros contact, c'était l'essence au plomb.
Le plomb, c'est un neurotoxique, hein. Une trop forte concentration dans le corps, et c'est le cerveau et le système nerveux central qui en prennent un coup, irrémédiablement. Ça peut provoquer plein de trucs horribles : perte de la vue, insomnie, insuffisance rénale, surdité, cancer, paralysie, convulsions… Dans les cas aigus, tu peux avoir des hallucinations, des crises de panique… Et ça peut finir par le coma, ou la mort. Bref, personne n'a envie d'ingérer trop de plomb.
Mais bon, le plomb, c'est facile à extraire et à produire à grande échelle. Et le tétraéthylplomb, ça marche super bien pour éviter le cliquetis des moteurs. Alors, en 1923, les trois plus grosses boîtes américaines – General Motors, DuPont, et Standard Oil du New Jersey – créent une entreprise commune : la Ethyl Gasoline Corporation. Ils en produisent autant que le monde en veut, du tétraéthylplomb. Et le monde en voulait beaucoup ! Ils ont choisi le nom "Ethyl" parce que ça sonnait mieux que "plomb", qui faisait trop "poison".
Et le 1er février 1923, ils lancent leur produit, en toute connaissance de cause, hein !
Très vite, les ouvriers qui travaillent à la production commencent à avoir des problèmes, des troubles de l'équilibre, des confusions… les premiers signes d'empoisonnement. Et Ethyl met en place une politique de déni total, hein. Ils font comme si de rien n'était, et ça marche pendant des décennies. Comme l'explique Sharon Bertsch McGrayne dans son livre sur l'histoire de la chimie industrielle, si un employé devenait fou, le porte-parole de l'entreprise disait aux journalistes, sans sourciller : "C'est probablement parce qu'ils travaillent trop dur." Au début de la production d'essence au plomb, au moins 15 ouvriers sont morts, et un nombre incalculable sont tombés malades, souvent gravement. Les chiffres exacts, on ne les connaîtra jamais, parce que l'entreprise étouffait tout. Mais parfois, c'était impossible de cacher les choses. En 1924, par exemple, dans un seul atelier mal ventilé, cinq ouvriers sont morts en quelques jours, et 35 autres sont devenus handicapés à vie.
Alors, les rumeurs commencent à circuler sur la dangerosité du nouveau produit. Pour rassurer le public, Thomas Midgley, l'inventeur du tétraéthylplomb, décide de faire une démonstration en direct devant des journalistes. Il explique à quel point l'entreprise est soucieuse de la sécurité, puis il se verse de l'essence au plomb sur les mains, et il respire les vapeurs pendant une minute, en disant qu'il pourrait faire ça tous les jours sans aucun problème. En réalité, Midgley connaissait très bien les dangers du plomb. Il avait lui-même été gravement malade quelques mois plus tôt, à cause d'une trop forte exposition. Et depuis, il évitait de s'approcher de ce truc, sauf devant les caméras, évidemment.
L'essence au plomb est un succès, et Midgley se penche alors sur un autre problème technique de l'époque : les réfrigérateurs. Dans les années 20, ils utilisaient des gaz toxiques et dangereux, qui fuyaient souvent. En 1929, une fuite dans un hôpital de Cleveland, dans l'Ohio, a causé la mort de plus de 100 personnes. Midgley se met alors en tête d'inventer un gaz stable, ininflammable, non corrosif, et sûr à respirer. Et là, sans hésiter, il invente les chlorofluorocarbones, les fameux CFC.
Rarement un produit industriel aura connu un succès aussi rapide et aussi désastreux. Dès le début des années 30, les CFC sont produits en masse et utilisés dans un millier d'applications, des climatiseurs de voiture aux déodorants en spray. Mais cinquante ans plus tard, on s'est rendu compte que ce truc était en train de détruire la couche d'ozone dans la stratosphère. Et, croyez-moi, ce n'est pas une bonne chose.
L'ozone, c'est une forme d'oxygène, avec trois atomes au lieu de deux. C'est un peu bizarre : au niveau du sol, c'est un polluant, mais dans la stratosphère, c'est super utile, parce qu'il absorbe les rayons ultraviolets dangereux. Bon, il n'y en a pas beaucoup, de l'ozone. Si on le répartissait uniformément dans la stratosphère, ça ferait une couche de deux millimètres d'épaisseur. C'est pour ça que c'est si fragile.
Les CFC ne sont pas présents en grande quantité non plus – environ une partie par milliard dans l'atmosphère – mais ils sont hyper destructeurs. Un kilo de CFC peut capturer et détruire 70 000 kilos d'ozone dans l'atmosphère. Et ils restent très longtemps dans l'air – environ un siècle en moyenne – à faire des dégâts. Ils absorbent aussi beaucoup de chaleur. Une molécule de CFC a un pouvoir de réchauffement climatique 10 000 fois supérieur à celui d'une molécule de dioxyde de carbone – qui est déjà pas mal, hein. Bref, les CFC pourraient bien être l'une des pires inventions du 20ème siècle.
Midgley, lui, n'aura jamais su ça. Il est mort avant qu'on ne réalise les dégâts causés par les CFC.
Et sa mort est assez… particulière, hein. Atteint de poliomyélite, il était devenu handicapé. Il avait inventé un système de poulies motorisées pour l'aider à se lever et à se retourner dans son lit. En 1944, il s'est retrouvé coincé dans les cordes de son invention, et il est mort étouffé. Tragique, hein?
Euh… Si vous vous intéressez à dater des trucs, l'Université de Chicago dans les années 40, c'était *the place to be*. Willard Libby était sur le point d'inventer la datation au carbone 14, une méthode qui permet aux scientifiques de déterminer l'âge précis des os et d'autres restes organiques. Jusqu'à présent, on ne pouvait remonter qu'à la première dynastie égyptienne, environ 3000 ans avant notre ère. On ne savait pas, par exemple, quand exactement les dernières calottes glaciaires avaient reculé, ou quand les Cro-Magnons avaient décoré la grotte de Lascaux.
La méthode de Libby est tellement révolutionnaire qu'elle lui vaut le prix Nobel en 1960. Elle repose sur le principe que tous les organismes vivants contiennent un isotope du carbone, le carbone 14, qui se désintègre à une vitesse mesurable après la mort. La demi-vie du carbone 14 est d'environ 5600 ans – c'est-à-dire le temps qu'il faut pour que la moitié d'un échantillon disparaisse. En mesurant le niveau de désintégration, Libby peut donc dater un objet avec une certaine précision, enfin, dans certaines limites. Après huit demi-vies, il ne reste plus que 0,39 % du carbone radioactif initial, ce qui est trop peu pour faire une mesure fiable. La datation au carbone 14 ne fonctionne donc que pour les objets vieux de moins de 40 000 ans environ.
Mais au fur et à mesure que la technique se répand, certains défauts commencent à apparaître. Déjà, on s'est rendu compte qu'il y avait une erreur de 3 % dans la constante de désintégration, un élément fondamental de la formule de Libby. Mais à ce moment-là, des milliers de calculs avaient déjà été effectués dans le monde entier. Au lieu de corriger chaque résultat, les scientifiques ont décidé de conserver cette constante inexacte. "Comme ça," dit Tim Flannery, "il suffit de soustraire environ 3 % à toutes les dates obtenues par datation au carbone 14." Le problème n'est pas complètement résolu. On s'est aussi rendu compte que les échantillons de carbone 14 pouvaient facilement être contaminés par du carbone provenant d'ailleurs, par exemple, une petite plante prélevée en même temps que l'échantillon, sans qu'on s'en aperçoive. Pour les échantillons récents – moins de 20 000 ans environ – une petite contamination n'est pas toujours grave. Mais pour les échantillons plus anciens, ça peut poser un problème sérieux, parce qu'il reste très peu d'atomes à compter. Pour reprendre les mots de Flannery, dans le premier cas, c'est comme perdre un dollar sur 1000. Dans le second cas, c'est comme perdre un dollar sur les 2 seuls dollars que vous avez.
De plus, la méthode de Libby repose sur l'hypothèse que la quantité de carbone 14 dans l'atmosphère, et la vitesse à laquelle les organismes absorbent cette substance, sont restées constantes au cours de l'histoire. Ce qui n'est pas le cas. On sait maintenant que la quantité de carbone 14 dans l'atmosphère varie en fonction de la capacité du champ magnétique terrestre à dévier les rayons cosmiques. Et ces variations peuvent être importantes sur de longues périodes. Ce qui signifie que certaines dates obtenues par datation au carbone 14 sont moins fiables que d'autres. Parmi les dates les moins fiables, il y a celles qui concernent la période autour de l'arrivée des premiers hommes en Amérique. C'est l'une des raisons pour lesquelles la question est si controversée.
Enfin, et c'est peut-être le plus surprenant, les résultats peuvent être complètement faussés par des facteurs extérieurs apparemment sans rapport, comme le régime alimentaire des animaux. Récemment, un cas a suscité une vive polémique : l'origine de la syphilis. Est-elle apparue en Amérique ou en Europe ? Des archéologues ont trouvé des squelettes de moines atteints de syphilis dans un cimetière de Hull. La conclusion initiale était que les moines avaient la syphilis avant l'arrivée de Christophe Colomb. Mais cette conclusion a été remise en question, parce qu'on s'est rendu compte qu'ils mangeaient beaucoup de poisson, ce qui pouvait fausser la datation de leurs os. Les moines avaient peut-être la syphilis, mais on ne sait toujours pas comment ni quand ils l'ont contractée.
Bref, les inconvénients de la datation au carbone 14 sont nombreux. Les scientifiques ont donc inventé d'autres méthodes pour dater les matières anciennes, comme la thermoluminescence ou la résonance paramagnétique électronique. La première sert à mesurer le nombre d'électrons piégés dans le sol. La seconde consiste à bombarder un échantillon avec des ondes électromagnétiques pour mesurer les vibrations des électrons. Mais même avec les meilleures méthodes, on ne peut pas dater des objets vieux de plus de 200 000 ans, ni dater des matières inorganiques comme les roches. Or, c'est indispensable pour déterminer l'âge de notre planète.
Le problème de la datation des roches, c'est que presque tout le monde avait abandonné l'espoir de le résoudre. Sans un professeur britannique, Arthur Holmes, qui était très déterminé, cette quête se serait probablement arrêtée là.
Holmes est un personnage héroïque, tant par les difficultés qu'il a surmontées que par les résultats qu'il a obtenus. Dans les années 20, alors que sa carrière était à son apogée, la géologie n'était plus à la mode. La physique était la science en vogue, et les financements étaient rares, surtout dans son berceau spirituel, l'Angleterre. Pendant des années, il a été le seul membre du département de géologie de l'université de Durham. Pour mener ses recherches sur la datation des roches, il devait souvent emprunter ou bricoler du matériel. Une fois, il a dû attendre un an que l'université lui fournisse une simple machine à additionner, ce qui a retardé ses calculs. Parfois, il devait complètement interrompre son travail universitaire pour gagner sa vie, en tenant une boutique d'antiquités à Newcastle. Il lui arrivait de ne pas pouvoir payer sa cotisation annuelle de 5 livres à la Geological Society.
La méthode utilisée par Holmes, en théorie, n'était pas très compliquée. Elle découlait directement de la découverte d'Ernest Rutherford en 1904, selon laquelle certains atomes se désintègrent en d'autres éléments à un rythme prévisible. Ce processus pouvait donc servir d'horloge. Si vous savez combien de temps il faut au potassium 40 pour se transformer en argon 40, et que vous mesurez la quantité de ces deux éléments dans un échantillon, vous pouvez déterminer l'âge de cette substance. La contribution de Holmes a été d'utiliser le taux de désintégration de l'uranium en plomb pour dater les roches, et ainsi – espérait-il – déterminer l'âge de la Terre.
Mais il y avait de nombreux obstacles techniques à surmonter. Holmes avait besoin – ou du moins aurait été heureux d'avoir – un instrument de pointe capable de mesurer avec précision de petits échantillons. Or, on l'a vu, il n'avait qu'une simple machine à additionner. Malgré tout, en 1946, il a pu affirmer avec une certaine assurance que la Terre existait depuis au moins 3 milliards d'années, et probablement plus. C'était un exploit remarquable. Malheureusement, il s'est heurté à un nouvel obstacle : le scepticisme de ses collègues scientifiques. Beaucoup étaient prêts à reconnaître la valeur de sa méthode, mais ils pensaient qu'il n'avait pas déterminé l'âge de la Terre, mais seulement l'âge des matériaux qui la composent.
C'est à ce moment-là qu'Harrison Brown, de l'Université de Chicago, a inventé une nouvelle méthode pour analyser les isotopes du plomb dans les roches ignées, celles qui se sont formées par la chaleur, et non par la sédimentation. Il s'est rendu compte que ce travail était assez fastidieux, et il l'a confié à un jeune étudiant, Clair Patterson, comme projet de thèse. Il lui a assuré que déterminer l'âge de la Terre avec sa nouvelle méthode serait "un jeu d'enfant". En réalité, ça a pris des années.
Patterson s'est lancé dans le projet en 1948. Comparé aux contributions spectaculaires et parfois désastreuses de Thomas Midgley, le travail de Patterson pour déterminer l'âge de la Terre est un peu… terne, hein. Pendant sept ans, d'abord à l'Université de Chicago, puis au California Institute of Technology – où il a déménagé en 1952 – il a travaillé d'arrache-pied dans un laboratoire stérile, à sélectionner avec soin des échantillons de roches anciennes, et à mesurer avec précision les proportions de plomb et d'uranium qu'elles contenaient.
Le problème, c'est qu'il fallait des roches extrêmement anciennes, avec des cristaux de plomb et d'uranium presque aussi vieux que la planète. Sinon, on obtiendrait des dates plus récentes, et on arriverait à une conclusion erronée. Or, les roches vraiment anciennes sont très difficiles à trouver sur Terre. Dans les années 40, personne ne savait pourquoi. Il faudra attendre l'ère spatiale pour avoir une explication plausible de la disparition des roches anciennes sur Terre. (La réponse, c'est la tectonique des plaques, et on en parlera, bien sûr.) En attendant, Patterson devait se débrouiller avec les moyens du bord. Finalement, il a eu une idée brillante : il allait utiliser des roches provenant d'ailleurs, en dehors de la Terre. Il s'est intéressé aux météorites.
Il a émis une hypothèse – une hypothèse visionnaire, qui s'est avérée exacte – selon laquelle de nombreuses météorites sont en réalité des matériaux de construction laissés par le système solaire primitif. Elles ont donc conservé en grande partie leur composition chimique interne originelle. En datant ces roches errantes, on daterait donc (presque) la Terre elle-même.
Mais, comme souvent, c'est plus facile à dire qu'à faire. Les météorites ne sont pas très nombreuses, et il n'est pas facile d'obtenir des échantillons. De plus, la méthode de Brown était trop imprécise et nécessitait de nombreuses améliorations. Et surtout, les échantillons de Patterson étaient constamment contaminés par le plomb présent dans l'atmosphère, sans qu'on sache pourquoi. C'est pour cette raison qu'il a fini par créer un laboratoire décontaminé – le premier laboratoire stérile au monde, du moins, c'est ce que disent certaines sources.
Patterson a travaillé sans relâche pendant sept ans pour collecter des échantillons utilisables pour le test final. Au printemps 1953, il a envoyé les échantillons au Argonne National Laboratory, dans l'Illinois. Il a pu utiliser un nouveau type de spectromètre de masse, capable de détecter et de mesurer les infimes quantités d'uranium et de plomb cachées dans les anciens cristaux. Patterson a enfin obtenu ses résultats. Il était tellement excité qu'il est rentré directement chez ses parents, dans l'Iowa, et il a demandé à sa mère de l'emmener à l'hôpital, parce qu'il pensait faire une crise cardiaque.
Peu de temps après, lors d'une conférence dans le Wisconsin, Patterson a annoncé que l'âge exact de la Terre était de 4,55 milliards d'années (avec une marge d'erreur de 70 millions d'années). Comme l'a dit McGrayne avec admiration : "Ce chiffre est resté valable pendant 50 ans." Après 200 ans d'efforts, la Terre avait enfin un âge.
Presque immédiatement, Patterson s'est intéressé au problème du plomb dans l'atmosphère. Il a été surpris de constater que les rares connaissances que l'on avait sur les effets du plomb sur la santé humaine étaient presque toutes fausses, ou trompeuses. Ce qui n'était pas étonnant, puisque toutes les études sur les effets du plomb avaient été financées par les fabricants d'additifs au plomb, pendant 40 ans!
Dans l'une de ces études, un médecin sans formation en pathologie chimique s'est vu confier un programme de cinq ans.
Il devait faire inhaler ou avaler à des volontaires des quantités croissantes de plomb, puis analyser leurs excréments. Malheureusement, le médecin ne semblait pas savoir que le plomb ne s'élimine pas sous forme de déchets, mais qu'il s'accumule dans les os et dans le sang. C'est ce qui le rend si dangereux. Il n'a pas examiné les os, ni analysé le sang. Résultat : le plomb a été déclaré sans effet sur la santé.
Patterson a rapidement confirmé qu'il y avait une quantité énorme de plomb dans l'atmosphère – en fait, il y en a toujours beaucoup, parce qu'il ne disparaît jamais – dont environ 90 % provenaient des pots d'échappement des voitures. Mais il ne pouvait pas le prouver. Il avait besoin d'un moyen de comparer la concentration de plomb dans l'atmosphère actuelle avec celle d'avant le début de la production commerciale de tétraéthylplomb, en 1923. Il a eu l'idée que les carottes glaciaires pourraient lui fournir la réponse.
On sait que dans des endroits comme le Groenland, les couches de neige annuelle sont très distinctes, parce que les différences de température saisonnières entraînent de légères variations de couleur entre l'hiver et l'été. En comptant ces couches, et en mesurant la quantité de plomb dans chaque couche, on peut calculer la concentration de plomb dans l'atmosphère mondiale à n'importe quel moment, sur des centaines, voire des milliers d'années. Cette idée a été à la base des études sur les carottes glaciaires. De nombreux travaux de climatologie moderne reposent sur ce principe.
Patterson a découvert qu'avant 1923, il n'y avait presque pas de plomb dans l'atmosphère. Depuis, la concentration de plomb n'a cessé d'augmenter de façon alarmante.
Éliminer le plomb de l'essence est devenu la quête de sa vie. Pour cela, il a souvent critiqué, avec virulence, l'industrie du plomb et ses groupes d'intérêt.
Ce fut une bataille acharnée. Ethyl Corporation était une entreprise puissante, avec de nombreux amis haut placés. (Parmi ses administrateurs, il y avait le juge de la Cour suprême Lewis Powell, et Gilbert Grosvenor, de la National Geographic Society.) Patterson s'est soudainement rendu compte que ses financements de recherche étaient soit supprimés, soit difficiles à obtenir. L'American Petroleum Institute a annulé un contrat qu'il avait signé avec lui. Et l'US Public Health Service, qui était censée être un organisme gouvernemental neutre, a fait de même.
Patterson est devenu une personne de plus en plus gênante pour son établissement. Les dirigeants de l'industrie du plomb ont exercé des pressions constantes sur les membres du conseil d'administration du Caltech pour qu'ils le fassent taire, ou qu'ils le mettent à la porte. Jamie Lincoln Kitman a écrit dans le magazine *The Nation*, en 2000, qu'Ethyl Corporation aurait proposé de financer un poste de professeur au Caltech, "si Patterson était renvoyé". Comble de l'absurdité, il a été exclu d'un groupe d'étude du Conseil national de la recherche chargé d'enquêter sur les dangers du plomb atmosphérique, alors qu'il était sans aucun doute le principal expert américain sur la question.
Heureusement, Patterson n'a jamais cédé. Grâce à ses efforts, le Clean Air Act de 1970 a été adopté, et la vente d'essence au plomb a été interdite aux États-Unis en 1986. La concentration de plomb dans le sang des Américains a presque immédiatement baissé de 80 %. Mais comme le plomb est une substance difficile à éliminer, la concentration de plomb dans le sang de chaque Américain vivant aujourd'hui est encore environ 625 fois plus élevée qu'il y a un siècle. La quantité de plomb dans l'atmosphère continue d'augmenter d'environ 100 000 tonnes par an, et de manière parfaitement légale, principalement à cause des activités minières, de la métallurgie et de l'industrie. Les États-Unis ont également interdit l'ajout de plomb dans les peintures domestiques, "44 ans plus tard que la plupart des pays européens", comme le souligne McGrayne. Compte tenu de la toxicité du plomb, il est incroyable que les États-Unis n'aient cessé d'utiliser la soudure au plomb dans les boîtes de conserve qu'en 1993.
Quant à Ethyl Corporation, elle est toujours en activité, même si General Motors, Standard Oil et DuPont n'ont plus de parts dans l'entreprise. (Elles ont vendu leurs parts à Albemarle Paper Manufacturing Company en 1962.) Selon McGrayne, en février 2001, Ethyl Corporation affirmait encore que "les études ont montré que l'essence au plomb ne constitue pas une menace pour la santé humaine ou pour l'environnement". Sur son site web, l'histoire de l'entreprise ne mentionne pas le plomb, ni George Midgley. Elle indique simplement que ses produits originaux contenaient "un certain mélange chimique".
Ethyl Corporation ne produit plus d'essence au plomb, mais, selon son rapport de 2001, ses ventes de tétraéthylplomb ont encore atteint 25,1 millions de dollars en 2000 (sur un chiffre d'affaires total de 795 millions de dollars), soit une légère augmentation par rapport aux 24,1 millions de dollars de 1999, mais une baisse par rapport aux 117 millions de dollars de 1998. La société déclare dans son rapport qu'elle est déterminée à "maximiser les revenus en espèces générés par le tétraéthylplomb, malgré la baisse de la consommation mondiale". Ethyl Corporation vend du tétraéthylplomb dans le monde entier grâce à un accord avec la société britannique Octel.
Quant à l'autre fléau que George Midgley nous a légué, les chlorofluorocarbones, leur utilisation a été interdite aux États-Unis en 1974. Mais c'est un petit diable tenace. Ceux qui ont été libérés dans l'atmosphère – par exemple, dans les déodorants ou les laques – sont presque certainement encore là, et ils continueront à détruire la couche d'ozone bien après notre mort. Pire encore, nous continuons à rejeter chaque année de grandes quantités de CFC dans l'atmosphère. Selon Wayne Biddle, plus de 27 millions de kilos de ce truc sont encore vendus chaque année, pour une valeur de 1,5 milliard de dollars. Alors, qui fabrique des CFC ? C'est nous, c'est-à-dire que de nombreuses grandes entreprises continuent à fabriquer ce produit dans leurs usines à l'étranger. Les pays du tiers monde ne l'interdiront qu'en 2010.
Clair Patterson est mort en 1995. Il n'a pas reçu le prix Nobel pour son travail. Les géologues n'y ont jamais droit. Plus étrange encore, malgré ses efforts inlassables, son désintéressement et ses succès croissants pendant un demi-siècle, il n'a pas connu beaucoup de notoriété, ni même beaucoup de reconnaissance. On peut raisonnablement penser qu'il a été le géologue le plus influent du 20ème siècle. Pourtant, qui a entendu parler de Clair Patterson ? La plupart des manuels de géologie ne mentionnent pas son nom. Deux livres récents, qui ont connu un grand succès, sur l'histoire de la datation de la Terre, ont même écorché son nom. Au début de l'année 2001, une critique de l'un de ces livres a été publiée dans la revue *Nature*, et elle a commis une erreur incroyable en présentant Patterson comme une femme.
Quoi qu'il en soit, grâce au travail de Clair Patterson, en 1953, la Terre a enfin un âge que tout le monde peut accepter. Maintenant, le seul problème, c'est qu'elle est plus vieille que le monde qui l'entoure.