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OK, alors, on va parler de, euh, l'atome quoi. Tu vois, quand Einstein et Hubble étaient à fond sur la structure de l'univers à grande échelle, d'autres se creusaient la tête sur un truc tout petit, mais hyper mystérieux : l'atome.
Le grand Richard Feynman, un physicien de Caltech, il a dit un truc génial : si tu devais résumer toute l'histoire de la science en une seule phrase, ce serait : "Tout est fait d'atomes." Et c'est vrai quoi ! Des atomes, il y en a partout, ils constituent tout. Regarde autour de toi, c'est que des atomes. Pas seulement les trucs solides comme les murs, les tables, le canapé, mais même l'air que tu respires, c'est des atomes. Y'en a tellement, c'est inimaginable !
Et le truc de base, c'est la molécule, tu vois ? Ça vient du latin et ça veut dire "petit amas de matière". Une molécule, c'est deux atomes ou plus qui bossent ensemble, genre de manière stable. Un atome d'oxygène plus deux atomes d'hydrogène, et hop, t'as une molécule d'eau. Les chimistes, ils réfléchissent souvent en molécules, pas en éléments, comme les écrivains pensent en mots plutôt qu'en lettres. Du coup, ils comptent les molécules. Et des molécules, y'en a... ben, énormément. À zéro degrés Celsius et au niveau de la mer, dans un centimètre cube d'air – à peu près la taille d'un sucre – t'as... attends, je regarde... 45 trillions de molécules ! Et il y a autant de molécules dans chaque centimètre cube autour de toi ! Imagine, tout l'espace autour de toi, dehors, combien de centimètres cubes ça fait… Combien de sucres il faudrait pour remplir tout ça ? Et après, imagine combien d'espaces comme ça il faudrait pour faire l'univers… Bref, des atomes, il y en a beaucoup, hein.
Et puis, les atomes, ils vivent hyper longtemps. Tellement longtemps qu'ils voyagent partout ! Chaque atome de ton corps a probablement traversé des étoiles, a fait partie de millions de créatures différentes avant d'arriver jusqu'à toi. On a tous des tonnes d'atomes en nous, et ces atomes sont super résistants, ils peuvent être réutilisés après notre mort. D'ailleurs, il y a une partie de nos atomes – certains disent jusqu'à un milliard – qui pourraient bien avoir appartenu à Shakespeare, Bouddha, Gengis Khan, Beethoven, bref, tous les personnages historiques que tu connais. (Bon, faut que ce soit des personnages historiques, hein, parce qu'il faut des décennies pour que les atomes se redistribuent complètement. T'as peu de chances d'avoir un atome d'Elvis Presley en toi, même si tu le souhaites très fort !)
Alors, on est tous des réincarnations de quelqu'un, en quelque sorte. Enfin, des réincarnations éphémères. Quand on meurt, nos atomes se dispersent et vont trouver de nouvelles occupations, genre devenir une feuille d'arbre, un autre humain, une goutte de rosée.
Et les atomes eux-mêmes, en fait, ils vivent pour toujours. Personne ne sait vraiment quelle est la durée de vie d'un atome, mais Martin Rees, il a dit un truc comme 10 puissance 35 années. C'est tellement énorme que, bon, même moi je préfère l'écrire avec des chiffres comme ça.
En plus, les atomes, c'est tout petit, hein ! 500 000 atomes mis bout à bout, ça ne suffit même pas à cacher l'épaisseur d'un cheveu. À cette échelle, un atome, c'est... minuscule, quoi. Mais on peut essayer de se représenter ça, hein.
Imagine un millimètre, un petit trait comme ça : – . Maintenant, on va diviser ce trait en 1000 parties égales. Chaque partie fait un micromètre. C'est la taille des microbes. Par exemple, une paramécie, c'est un petit être vivant d'eau douce, c'est à peu près 2 micromètres de large, donc 0,002 millimètres. C'est vraiment petit. Si tu voulais voir une paramécie nager dans une goutte d'eau à l'œil nu, il faudrait que tu agrandisses cette goutte à 12 mètres de large ! Mais si tu voulais voir les atomes dans la même goutte, il faudrait l'agrandir à 24 kilomètres de large ! Dingue, non ?
En gros, les atomes, ils sont dans une autre dimension de petitesse. Pour se rendre compte de la taille d'un atome, il faut prendre un truc de la taille d'un micromètre et le couper en 10 000 trucs encore plus petits. Voilà la taille d'un atome : un dix millième de millième de millimètre. C'est tellement petit que c'est dur à imaginer. Mais bon, si tu retiens qu'un atome par rapport au trait d'un millimètre, c'est comme l'épaisseur d'une feuille de papier par rapport à la hauteur de l'Empire State Building, ça te donne une idée.
Bien sûr, les atomes sont utiles parce qu'ils sont nombreux, qu'ils vivent longtemps, mais c'est difficile de les voir et de les comprendre parce qu'ils sont petits. La première personne à avoir compris les trois caractéristiques des atomes – petit, nombreux et quasiment indestructibles – et que tout est fait d'atomes, c'est pas Antoine Lavoisier, ni Henry Cavendish, ni Humphry Davy, c'est un amateur, un quaker anglais peu éduqué du nom de John Dalton. On en a parlé au chapitre sept, je crois.
Dalton, il venait du Lake District, pas loin de Cockermouth. Il est né en 1766 dans une famille pauvre et pieuse de tisserands quakers. (Quatre ans plus tard, le poète William Wordsworth est aussi arrivé à Cockermouth.) C'était un élève brillant – tellement brillant qu'à 12 ans, il était déjà directeur de l'école quaker locale. Ça en dit peut-être long sur son précocité, ou sur l'état de l'école, ou peut-être rien du tout, hein. Son journal nous dit qu'à cette époque, il lisait les "Principia" de Newton – en latin ! – et d'autres bouquins bien costauds. À 15 ans, il a continué à diriger l'école, mais il a aussi trouvé un boulot à Kendal, une ville voisine. Dix ans plus tard, il a déménagé à Manchester, où il est resté pendant les 50 dernières années de sa vie. À Manchester, il est devenu une vraie tornade intellectuelle, il a publié des livres, des articles sur tout, de la météorologie à la grammaire. Il était daltonien, d'ailleurs le daltonisme a longtemps été appelé "daltonisme" à cause de ses recherches là-dessus. Mais c'est son gros bouquin de 1808, "Un nouveau système de philosophie chimique", qui l'a rendu célèbre.
Dans un court chapitre de seulement quatre pages (sur plus de 900 pages au total), les scientifiques ont découvert pour la première fois un concept de l'atome qui ressemblait à ce qu'on a aujourd'hui. L'idée de Dalton, c'était simple : à la base de toute matière, il y a des particules minuscules et irréductibles. "Créer ou détruire une particule d'hydrogène serait aussi impossible que d'introduire une nouvelle planète dans le système solaire ou d'en détruire une existante", a-t-il écrit.
Ni le concept d'atome, ni le mot "atome" n'étaient nouveaux. Les Grecs anciens les avaient inventés. La contribution de Dalton, c'est qu'il a réfléchi à la taille relative et aux propriétés de ces atomes, et à la façon dont ils se combinent.
Par exemple, il savait que l'hydrogène était l'élément le plus léger, alors il lui a donné un poids atomique de 1. Il pensait aussi que l'eau était composée de sept parts d'oxygène et une part d'hydrogène, alors il a donné à l'oxygène un poids atomique de 7. Comme ça, il pouvait calculer le poids relatif des éléments connus. C'était pas toujours super précis – le poids atomique de l'oxygène est en fait 16, pas 7 – mais le principe était bon et a servi de base à toute la chimie moderne et à plein d'autres sciences.
Cette découverte a rendu Dalton célèbre, même si c'était une célébrité un peu discrète, à la quaker. En 1826, un chimiste français, P.J. Pelletier, est venu à Manchester pour rencontrer le héros de l'atome. Pelletier pensait qu'il bossait dans un grand labo, alors il a été super surpris de le trouver en train d'enseigner les bases de l'arithmétique à des enfants dans une petite école.
D'après l'historien des sciences E.J. Holmyard, Pelletier était tellement impressionné qu'il a bégayé :
"Excusez-moi, est-ce que vous êtes Monsieur Dalton ?" Il n'arrivait pas à croire que ce chimiste européen célèbre enseignait l'addition, la soustraction, la multiplication et la division à des enfants. "Oui", a répondu le quaker sèchement, "Asseyez-vous et laissez-moi d'abord apprendre ce problème d'arithmétique à ces enfants."
Même si Dalton voulait éviter les honneurs, il a été élu membre de la Royal Society, il a reçu plein de médailles et une belle pension du gouvernement. Quand il est mort en 1844, 40 000 personnes ont défilé devant son cercueil et le cortège funèbre faisait plus de trois kilomètres de long. Sa notice dans le "Dictionary of National Biography" est l'une des plus longues, juste derrière Darwin et Lyell pour les scientifiques du 19ème siècle.
Pendant un siècle après les idées de Dalton, ça restait une hypothèse. Des scientifiques brillants – surtout le physicien autrichien Ernst Mach, celui qui a donné son nom à la vitesse du son – doutaient même de l'existence des atomes. "Les atomes ne sont pas visibles, on ne peut pas les toucher... Ce sont des créations de l'esprit", a-t-il écrit.
Surtout dans le monde germanophone, les gens étaient sceptiques sur l'existence des atomes. On dit que c'est une des raisons qui ont poussé le grand physicien théoricien et fervent défenseur des atomes, Ludwig Boltzmann, au suicide.
C'est Einstein, avec son article de 1905 sur le mouvement brownien, qui a donné la première preuve incontestable de l'existence des atomes, mais ça n'a pas fait grand bruit. De toute façon, Einstein était vite passé à la relativité générale. Alors, le premier vrai héros de l'ère atomique, c'est Ernest Rutherford, si c'est pas le premier qui est apparu.
Rutherford est né en 1871 dans "l'arrière-pays" de Nouvelle-Zélande. D'après Stephen Weinberg, ses parents ont quitté l'Écosse pour cultiver du lin et élever plein d'enfants en Nouvelle-Zélande. Il a grandi loin de tout, loin des grands centres scientifiques. Mais en 1895, il a eu une bourse pour aller au Cavendish Laboratory de Cambridge. C'était en train de devenir l'endroit le plus branché du monde pour la physique.
Les physiciens, ils méprisent un peu les autres scientifiques. Quand la femme du grand physicien autrichien Wolfgang Pauli l'a quitté pour un chimiste, il était abasourdi. "Si elle avait épousé un toréador, j'aurais compris", a-t-il dit à un ami, "mais un chimiste..."
Rutherford comprenait ce sentiment. "La science, c'est soit de la physique, soit de la philatélie", a-t-il dit. Cette phrase a été souvent reprise. Mais ironiquement, en 1908, il a reçu le prix Nobel de chimie, pas de physique.
Rutherford, c'était un gars chanceux – chanceux d'être un génie, mais encore plus chanceux de vivre à une époque où la physique et la chimie étaient à la fois super excitantes et super ennemies. Les deux disciplines ne se recouperont plus jamais autant qu'avant.
Malgré ses succès, c'était pas un type spécialement intelligent, il était même plutôt nul en maths. Pendant ses cours, il s'embrouillait souvent dans ses équations et devait s'arrêter pour laisser ses élèves trouver le résultat. D'après James Chadwick, son collaborateur de longue date et découvreur du neutron, il était pas non plus spécialement doué pour les expériences. Il avait juste une ténacité à toute épreuve et un esprit ouvert. Il compensait son manque d'intelligence par son astuce et un peu d'audace. D'après un de ses biographes, son esprit "débordait toujours des limites et allait beaucoup plus loin que la plupart des gens". S'il rencontrait un problème, il était prêt à faire plus d'efforts que les autres, à passer plus de temps dessus et à accepter des explications non conventionnelles. C'est parce qu'il était prêt à rester assis devant un écran fluorescent pendant des heures à compter les scintillements des particules alpha – un travail qu'on confie d'habitude à d'autres – qu'il a fait ses plus grandes découvertes. Il a été un des premiers – probablement le premier – à comprendre que l'énergie contenue dans l'atome, une fois libérée, pouvait servir à fabriquer une bombe capable de "faire disparaître le vieux monde dans un nuage de fumée".
Physiquement, il était grand, costaud, et sa voix pouvait faire sursauter les timides. Une fois, un de ses collègues a appris que Rutherford allait faire une émission de radio transatlantique et lui a demandé froidement : "Pourquoi faire de la radio ?" Il avait aussi une grande confiance en lui et un bon moral. Quand quelqu'un lui a dit qu'il avait l'air de toujours vivre sur la crête de la vague, il a répondu : "Eh bien, c'est moi qui ai créé cette vague, non ?" C.P. Snow se souvient avoir entendu Rutherford dire dans une boutique de tailleur à Cambridge : "Mon tour de taille augmente de jour en jour, et mes connaissances aussi."
Mais en 1895, il a quitté le Cavendish Laboratory. Dans un avenir lointain, son tour de taille grossirait encore plus, et sa réputation aussi. L'année où Rutherford est arrivé à Cambridge, Wilhelm Röntgen a découvert les rayons X à l'université de Würzburg en Allemagne. L'année suivante, Henri Becquerel a découvert la radioactivité. Le Cavendish Laboratory était sur le point de connaître une longue période de gloire. En 1897, J.J. Thomson et ses collègues y ont découvert l'électron. En 1911, C.T.R. Wilson y a créé le premier détecteur de particules. En 1932, James Chadwick y a découvert le neutron. Et plus tard, en 1953, James Watson et Francis Crick y ont découvert la structure de l'ADN.
Au début, Rutherford a étudié les ondes radio et a obtenu quelques résultats – il a réussi à envoyer un signal clair à un kilomètre de distance, ce qui était pas mal pour l'époque – mais il a abandonné parce qu'un collègue plus expérimenté lui a dit que la radio n'avait pas beaucoup d'avenir. En général, la carrière de Rutherford au Cavendish Laboratory n'a pas été très brillante. Il y a passé trois ans, il a eu l'impression de ne pas avoir fait grand-chose et il a accepté un poste à l'université McGill de Montréal. C'est là qu'il a commencé sa longue marche vers la gloire. Quand il a reçu le prix Nobel, il était déjà à l'université de Manchester. C'est là qu'il a fait ses découvertes les plus importantes, qu'il a déterminé la structure et les propriétés de l'atome.
Au début du 20ème siècle, on savait déjà que l'atome était composé de plusieurs parties – la découverte de l'électron par Thomson l'avait confirmé – mais on ne savait pas exactement combien de parties il y avait, comment elles étaient assemblées, quelle était leur forme. Certains physiciens pensaient que l'atome était peut-être cubique, parce que les cubes peuvent s'empiler proprement sans gaspiller d'espace. Mais l'idée la plus répandue était que l'atome ressemblait plutôt à un pain aux raisins, ou à un pudding aux raisins : un solide dense avec une charge positive, parsemé d'électrons chargés négativement, comme les raisins dans le pain.
En 1910, Rutherford (avec l'aide de son étudiant Hans Geiger, celui qui a inventé le détecteur de radiations qui porte son nom) a envoyé des atomes d'hélium ionisés, ou particules alpha, sur une feuille d'or. À la surprise de Rutherford, certaines particules ont rebondi ! Il a dit que c'était comme si on avait tiré un obus de 38 centimètres sur une feuille de papier et que l'obus avait rebondi sur son genou. C'était pas censé arriver. Après avoir bien réfléchi, il a compris qu'il n'y avait qu'une seule explication : les particules qui avaient rebondi avaient heurté quelque chose de petit et de dense au centre de l'atome, tandis que les autres particules étaient passées à travers sans problème. Rutherford a compris que l'intérieur de l'atome était surtout du vide, avec un noyau dense au centre. C'était une découverte géniale ! Mais ça posait un problème : d'après toutes les lois de la physique classique, l'atome n'aurait pas dû exister.
On va s'arrêter un instant pour réfléchir à la structure de l'atome telle qu'on la connaît aujourd'hui. Chaque atome est composé de trois particules de base : les protons, chargés positivement, les électrons, chargés négativement, et les neutrons, qui n'ont pas de charge. Les protons et les neutrons sont dans le noyau de l'atome, et les électrons tournent autour. Le nombre de protons détermine les propriétés chimiques d'un atome. Un atome avec un proton est un atome d'hydrogène. Un atome avec deux protons est un atome d'hélium. Un atome avec trois protons est un atome de lithium. Et ainsi de suite. Chaque fois que tu ajoutes un proton, tu obtiens un nouvel élément. (Comme le nombre de protons dans un atome est toujours équilibré par un nombre égal d'électrons, on trouve parfois des livres qui définissent un élément par le nombre d'électrons. C'est pareil. On m'a expliqué que les protons déterminent l'identité d'un atome, et les électrons déterminent son caractère.)
Les neutrons n'affectent pas l'identité de l'atome, mais ils augmentent sa masse. En général, le nombre de neutrons est à peu près égal au nombre de protons, mais il peut être un peu plus ou un peu moins. Si tu ajoutes ou si tu enlèves un ou deux neutrons, tu obtiens un isotope. On utilise les isotopes pour dater des objets en archéologie. Par exemple, le carbone 14 est un atome de carbone composé de six protons et huit neutrons (parce que 6 + 8 = 14).
Les neutrons et les protons occupent le noyau de l'atome. Le noyau est tout petit – un cent mille milliardième du volume total de l'atome – mais il est super dense. C'est lui qui constitue la quasi-totalité de la matière de l'atome. Si on agrandissait un atome à la taille d'une cathédrale, le noyau serait à peu près de la taille d'une mouche – mais la mouche pèserait des milliers de tonnes. En 1910, Rutherford se creusait la tête sur cet espace vide, cet espace surprenant et inattendu.
L'idée que l'atome est surtout du vide et que la réalité qu'on perçoit n'est qu'une illusion est toujours surprenante. Quand deux objets se rencontrent dans le monde réel – on prend souvent l'exemple des billes de billard – ils ne se heurtent pas vraiment. "En fait", explique Timothy Ferris, "les champs de charges négatives des deux billes se repoussent... Si elles n'étaient pas chargées, elles pourraient se traverser sans problème, comme des galaxies." Quand tu es assis sur une chaise, en fait, tu n'es pas assis dessus. Tu es en suspension à un angström (un cent millionième de centimètre) au-dessus de la chaise. Tes électrons et ceux de la chaise se repoussent mutuellement et ne peuvent pas se rapprocher davantage.
Presque tout le monde a en tête une image de l'atome avec un ou deux électrons qui tournent à toute vitesse autour du noyau, comme des planètes autour du soleil. Cette image a été créée en 1904 par un physicien japonais du nom de Hantaro Nagaoka. C'était une pure invention, une image fausse mais qui a eu beaucoup de succès. Comme Isaac Asimov aimait le souligner, elle a inspiré des générations d'auteurs de science-fiction qui ont créé des histoires de mondes dans des mondes, où les atomes sont des systèmes solaires habités et notre système solaire est une particule dans un système encore plus grand. Même le CERN utilise l'image de Nagaoka comme logo de son site web. Les physiciens ont vite compris que, en fait, les électrons ne ressemblent pas du tout à des planètes en orbite, mais plutôt aux pales d'un ventilateur qui tournent et qui ont l'air d'occuper tout l'espace en même temps. (Mais il y a une différence importante : les pales d'un ventilateur ont juste l'air d'être partout en même temps, alors que les électrons sont vraiment partout en même temps.)
Bien sûr, en 1910, ou même pendant les années qui ont suivi, très peu de gens savaient ça. La découverte de Rutherford a posé plein de questions. Notamment, les électrons qui tournent autour du noyau pourraient s'écraser. D'après la théorie de l'électrodynamique classique, les électrons qui tournent à toute vitesse perdraient vite de l'énergie – en une fraction de seconde – et finiraient par spiraler vers le noyau, avec des conséquences désastreuses pour les deux. Il y avait aussi le problème de savoir comment les protons chargés positivement pouvaient rester ensemble dans le noyau sans se faire exploser et faire exploser le reste de l'atome. De toute évidence, il se passait quelque chose dans ce petit monde qui ne respectait pas les règles qui s'appliquent à notre monde macroscopique.
Plus les physiciens exploraient le monde subatomique, plus ils comprenaient qu'il était non seulement différent de tout ce qu'on connaît, mais aussi de tout ce qu'on peut imaginer. "Comme le comportement des atomes est si différent de l'expérience ordinaire", a dit Richard Feynman, "c'est difficile de s'y habituer. Ça paraît bizarre et mystérieux pour tout le monde, que ce soit pour les débutants ou pour les physiciens expérimentés." Quand Feynman a dit ça, les physiciens avaient déjà passé un demi-siècle à s'habituer au comportement bizarre des atomes. Alors, tu peux imaginer ce que Rutherford et ses collègues ont ressenti au début du 20ème siècle. C'était tout nouveau à l'époque.
Un des collaborateurs de Rutherford était un jeune Danois sympathique du nom de Niels Bohr. En 1913, en réfléchissant à la structure de l'atome, il a eu une idée géniale. Il a reporté son voyage de noces et a écrit un article révolutionnaire.
Les physiciens ne peuvent pas voir les atomes, alors ils doivent essayer de deviner leur structure en fonction de la façon dont ils réagissent à des conditions extérieures, comme envoyer des particules alpha sur une feuille d'or, comme Rutherford. Parfois, les résultats de ces expériences sont déconcertants, et c'est normal. Un problème qui existait depuis longtemps concernait les lectures spectrales des longueurs d'onde de l'hydrogène. Les formes produites montraient que l'atome d'hydrogène libérait de l'énergie à certaines longueurs d'onde et pas à d'autres. C'était comme un homme surveillé qui apparaît sans cesse à certains endroits, mais on ne voit jamais comment il fait pour se déplacer. Personne ne savait pourquoi.
C'est en réfléchissant à ce problème que Bohr a soudainement trouvé une réponse et a écrit son fameux article. L'article, intitulé "Sur la constitution des atomes et des molécules", affirmait que les électrons ne peuvent rester que sur certaines orbites bien définies et ne peuvent pas s'écraser sur le noyau. D'après cette nouvelle théorie, un électron qui se déplace entre deux orbites disparaît sur une orbite et réapparaît immédiatement sur une autre, sans passer par l'espace entre les deux. Cette idée – la fameuse "transition quantique" – était évidemment bizarre, mais trop géniale pour ne pas y croire. Non seulement elle expliquait pourquoi les électrons ne spiralent pas vers le noyau, mais elle expliquait aussi les longueurs d'onde déconcertantes de l'hydrogène. Les électrons n'apparaissent que sur certaines orbites parce qu'ils n'existent que sur ces orbites. C'était une idée géniale, et elle a valu à Bohr le prix Nobel de physique en 1922, l'année qui a suivi celui d'Einstein.
Pendant ce temps, l'infatigable Rutherford était retourné à Cambridge pour remplacer J.J. Thomson à la tête du Cavendish Laboratory. Il a élaboré un modèle qui expliquait pourquoi le noyau atomique n'explosait pas. Il pensait que la charge positive des protons devait être neutralisée par une particule neutre, qu'il a appelée le neutron. L'idée était simple et élégante, mais difficile à prouver. Le collègue de Rutherford, James Chadwick, a cherché le neutron pendant 11 ans et a fini par le trouver en 1932. Il a lui aussi reçu le prix Nobel de physique en 1935. Comme le soulignent Boorse et ses collègues dans leur histoire de la physique, c'était peut-être une bonne chose que le neutron ait été découvert plus tard, parce que le développement de la bombe atomique nécessitait sa maîtrise. (Comme les neutrons n'ont pas de charge, ils ne sont pas repoussés par le champ électrique du centre de l'atome, et ils peuvent être envoyés comme des torpilles dans le noyau pour lancer le processus destructeur appelé fission.) Ils pensent que si le neutron avait été isolé dans les années 1920, "la bombe atomique aurait probablement été développée en Europe, et sans aucun doute par les Allemands".
En fait, les Européens étaient occupés à essayer de comprendre le comportement bizarre de l'électron. Le problème principal était que l'électron se comporte parfois comme une particule et parfois comme une onde. Cette dualité incroyable a presque rendu les physiciens fous. Pendant les 10 années qui ont suivi, les physiciens de toute l'Europe ont réfléchi, gribouillé et proposé des hypothèses contradictoires. En France, le prince Louis-Victor de Broglie a découvert que si on considérait l'électron comme une onde, certaines anomalies de son comportement disparaissaient. Cette découverte a attiré l'attention de l'Autrichien Erwin Schrödinger. Il a fait quelques améliorations et a conçu une théorie facile à comprendre, appelée mécanique ondulatoire. Presque au même moment, le physicien allemand Werner Heisenberg a proposé une théorie opposée, appelée mécanique matricielle. Cette théorie impliquait des mathématiques complexes que presque personne ne comprenait, y compris Heisenberg lui-même ("Je ne sais même pas ce qu'est une matrice", a dit un jour Heisenberg à un ami, désespéré), mais elle semblait résoudre certains problèmes que la mécanique ondulatoire de Schrödinger ne pouvait pas expliquer.
Du coup, la physique avait deux théories basées sur des hypothèses contradictoires, mais qui donnaient les mêmes résultats. C'était une situation incroyable.
En 1926, Heisenberg a fini par trouver un compromis génial en proposant une nouvelle théorie appelée mécanique quantique. Au cœur de cette théorie se trouve le "principe d'incertitude de Heisenberg". Il dit que l'électron est une particule, mais une particule qu'on peut décrire comme une onde. Le "principe d'incertitude" qui sert de base à cette théorie dit qu'on peut connaître le chemin qu'un électron prend dans l'espace, ou on peut connaître sa position à un moment donné, mais on ne peut pas connaître les deux en même temps. Toute tentative de mesurer l'un des deux perturbe l'autre. C'est pas un simple problème qui nécessite des instruments plus précis, c'est une propriété immuable de l'univers.
Ce que ça veut vraiment dire, c'est qu'on ne peut jamais prédire la position d'un électron à un moment donné. On peut juste supposer qu'il a une probabilité de se trouver là. En quelque sorte, comme l'a dit Dennis Overbye, on ne peut dire qu'un électron existe vraiment qu'une fois qu'on l'a observé. D'une autre façon, avant qu'un électron ne soit observé, il faut considérer qu'il est "partout et nulle part à la fois".
Si tu te sens perdu avec cette histoire, sache que ça a aussi perdu les physiciens, et c'est rassurant. Overbye dit : "Un jour, Bohr a dit que si quelqu'un n'était pas en colère après avoir entendu parler de la théorie quantique pour la première fois, c'est qu'il n'avait pas compris." Quand on a demandé à Heisenberg s'il pouvait imaginer à quoi ressemblait un atome, il a répondu : "Ne faites pas ça."
Du coup, il s'avère que l'atome ne ressemble pas tout à fait à l'image qu'on s'en fait. Les électrons ne tournent pas à toute vitesse autour du noyau comme des planètes autour du soleil, mais plutôt comme un nuage sans forme définie. La "coquille" de l'atome n'est pas une peau dure et lisse comme le suggèrent souvent les illustrations, mais juste la couche la plus externe de ce nuage d'électrons flou. En fait, le nuage lui-même n'est qu'une zone de probabilité statistique qui indique que les électrons ne dépassent cette limite qu'en de rares occasions. Alors, si tu arrives à suivre, l'atome ressemble plus à une balle de tennis poilue qu'à une sphère métallique dure. (En fait, il ne ressemble pas beaucoup à l'un ou l'autre, il ne ressemble pas beaucoup à quelque chose que tu as déjà vu. Après tout, on parle d'un monde très différent de celui qui nous entoure.)
Les choses bizarres n'arrêtent pas d'arriver. Comme l'a dit James Trefil, les scientifiques se sont retrouvés pour la première fois face à "une zone de l'univers que notre cerveau ne peut pas comprendre". Ou comme a dit Feynman : "Les petites choses ne se comportent pas du tout comme les grandes choses." Plus ils approfondissaient leurs recherches, plus les physiciens réalisaient qu'ils avaient découvert un monde où les électrons peuvent sauter d'une orbite à une autre sans passer par l'espace entre les deux, où la matière apparaît soudainement à partir de rien – "mais", comme l'a dit Alan Lightman du MIT, "disparaît aussitôt."
Parmi les nombreuses choses incroyables de la théorie quantique, la plus remarquable est peut-être l'idée proposée en 1925 par Wolfgang Pauli dans son "principe d'exclusion" : certaines paires de particules subatomiques, même séparées par de grandes distances, "savent" instantanément ce qui arrive à l'autre. Les particules ont une propriété appelée spin, et d'après la théorie quantique, dès qu'on détermine le spin d'une particule, sa particule jumelle commence instantanément à tourner dans la direction opposée, à la même vitesse, quelle que soit la distance qui les sépare.
Comme l'a dit l'auteur scientifique Lawrence Joseph, c'est comme si tu avais deux billes de billard identiques, une dans l'Ohio et l'autre aux Fidji, et que quand tu fais tourner l'une, l'autre se met instantanément à tourner dans la direction opposée, exactement à la même vitesse. Étonnamment, ce phénomène a été confirmé en 1997, quand des physiciens de l'université de Genève, en Suisse, ont envoyé deux photons dans des directions opposées à une distance de 11 kilomètres. Les résultats ont montré que dès qu'on en perturbait un, l'autre réagissait immédiatement.
On est arrivé à un point où, lors d'une conférence, Bohr a dit à propos d'une nouvelle théorie que le problème n'était pas de savoir si elle était absurde, mais si elle était suffisamment absurde. Pour illustrer la nature non intuitive du monde quantique, Schrödinger a proposé une expérience de pensée célèbre : imagine qu'on mette un chat dans une boîte, avec un atome de matière radioactive relié à une petite bouteille d'acide cyanhydrique. Si la particule se désintègre dans l'heure qui suit, elle déclenche un mécanisme qui brise la bouteille et empoisonne le chat. Sinon, le chat reste en vie. Mais comme on ne peut pas savoir ce qui va se passer, on ne peut pas prendre de décision d'un point de vue scientifique, et on doit considérer que le chat est à la fois 100% vivant et 100% mort. Comme l'a dit Stephen Hawking avec un peu d'émotion (ce qui est compréhensible), ça veut dire qu'on ne peut pas "prévoir avec certitude ce qui va se passer dans le futur si on ne peut pas mesurer avec certitude l'état actuel de l'univers".
À cause de toutes ces choses bizarres, beaucoup de physiciens n'aiment pas la théorie quantique, ou du moins certains de ses aspects, surtout Einstein. C'est ironique, parce que c'est lui qui, en 1905, avait expliqué de manière convaincante que les photons peuvent parfois se comporter comme des particules et parfois comme des ondes, ce qui est une idée fondamentale de la nouvelle physique. "La théorie quantique est digne d'intérêt", pensait-il poliment, mais il ne l'aimait pas. "Dieu ne joue pas aux dés", disait-il.
Einstein ne supportait pas l'idée que Dieu ait créé un univers où certaines choses ne pourraient jamais être connues. Et l'idée de l'action à distance – qu'une particule puisse influencer instantanément une autre particule à des milliards de kilomètres – violait complètement la théorie de la relativité restreinte. Rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière, et les physiciens affirmaient que, au niveau subatomique, l'information pouvait se transmettre d'une certaine manière. (Au passage, personne n'a encore réussi à expliquer comment les particules font ça. D'après le physicien Yakir Aharonov, la façon dont les scientifiques traitent ce problème est de "ne pas y penser".)
Le problème principal, c'est que la physique quantique a chamboulé la physique comme jamais auparavant. Soudain, il fallait deux ensembles de règles pour expliquer le comportement de l'univers : la théorie quantique pour expliquer le petit monde, et la relativité pour expliquer le grand univers. La relativité explique parfaitement pourquoi les planètes tournent autour du soleil et pourquoi les galaxies ont tendance à se regrouper, mais elle ne fonctionne pas au niveau des particules. Pour expliquer ce qui maintient les atomes ensemble, il fallait d'autres forces. Deux ont été découvertes dans les années 1930 : la force nucléaire forte et la force nucléaire faible. La force nucléaire forte maintient les atomes ensemble, c'est elle qui maintient les protons