Chapter Content
Alors, euh, voilà, c'est... c'est une réflexion, en fait, suite à... à tout un parcours, à tout un travail. Et ça a commencé bien avant qu'un ami, un collègue, Emile Bruneau, rassemble ses collègues chez lui pour transmettre, en quelque sorte, son œuvre. Il avait déjà, tu vois, une vision très claire de comment les neurosciences et la psychologie pouvaient aider les gens à faire des choix différents, à évoluer, à se connecter aux autres.
Après avoir appris, euh, son histoire, son problème de santé, j'ai pas pu m'empêcher d'admirer, vraiment, comment, tout en restant fidèle à ses valeurs, il a su rapidement adapter sa vision de lui-même, de son avenir, à cette nouvelle réalité, tu vois, où sa vue baissait et où il ne lui restait pas beaucoup de temps. Je l'ai vu travailler avec sa famille, ses collaborateurs, pour prendre des décisions super importantes, quoi. Quels traitements choisir ? Comment ses enfants pourraient sentir sa présence après son départ ? Comment son travail sur l'empathie et la paix pourrait continuer à vivre ?
Après son diagnostic, j'ai beaucoup pensé à son cerveau, pas seulement à la tumeur, hein, mais aussi à ce qui se passait, tu vois, pendant qu'il prenait toutes ces décisions. Il était capable de trouver un équilibre entre le moment présent et un certain optimisme pour l'avenir. Il avait une conscience très forte de lui-même, mais aussi une ouverture au changement. Il savait à quel point notre cerveau nous permet d'imaginer ce que les autres peuvent penser ou ressentir, mais aussi que ça peut nous induire en erreur. Il avait ce don pour trouver de la joie en harmonie avec les autres, sans se laisser enfermer dans une bulle. Je me suis mis à filmer nos conversations, à passer le plus de temps possible avec lui, à parler de tout, de l'éducation des enfants à la construction de la paix. Tu peux étudier quelque chose en labo pendant des années, mais tu vois pas forcément, tu vois, comment toutes les pièces du puzzle se mettent en place dans la vraie vie, comme ça. Il a pris des décisions, l'une après l'autre, en se concentrant sur ce qui comptait vraiment pour lui. On aurait dit que c'était facile, mais bon, pour la plupart d'entre nous, c'est pas le cas.
D'ailleurs, c'était pas facile pour moi non plus, quelques années plus tard, quand Bev m'a dit qu'on ne passait pas assez de temps ensemble, du temps de qualité, tu vois. Cette simple demande, j'me suis senti coincé, tiraillé. J'avais l'impression de manquer de temps pour préparer le dîner des enfants, pour penser aux échéances professionnelles, pour aller me promener avec ma grand-mère. Pourtant, c'est essentiel, hein, de remarquer, de développer, d'approfondir nos liens avec les autres. C'est fondamental pour notre bien-être, pour notre capacité à innover, pour notre identité et notre aptitude à faire des choix qui nous semblent justes.
Quand Emile a été confronté à une limite de temps encore plus drastique, sa réaction a été si différente ! Il vivait constamment dans l'ouverture, dans l'expansion des possibles, en se connectant aux autres et en abandonnant les frontières strictes qu'on met souvent à notre présence, à notre ouverture, à notre amour, à notre empathie et à notre volonté de se voir comme un seul être avec les autres.
Un soir, après que les enfants soient couchés, j'étais avec Emile dans sa chambre d'hôpital. J'avais la guitare de mon père avec moi. Mon père était décédé récemment, et je partageais mon chagrin avec Emile, qui lui, se demandait ce que deviendrait la vie de ses enfants après sa mort. Et puis, après un moment de silence, Emile s'est tourné vers moi et m'a dit à quel point ça avait été important pour lui, après la mort de sa mère, de continuer à approfondir sa relation avec elle.
Au début, j'ai pas compris. "Comment ça ?", j'ai demandé. "Comment tu peux approfondir ta relation avec quelqu'un qui n'est plus là ?"
"De la même manière qu'avec quelqu'un qui est vivant", m'a-t-il répondu.
Emile faisait souvent ça, tu vois. Il prenait une situation qui semblait figée, limitée, parfois impossible, et il trouvait une nouvelle possibilité à l'intérieur.
Emile expliquait que la recherche en psychologie et en neurosciences nous montre que nos interactions se résument souvent à des échanges d'idées, d'histoires, de pratiques, ce qu'on pense et ce qu'on pense que l'autre peut penser. Finalement, on ne passe pas tant de temps que ça physiquement avec les gens, même quand ils sont vivants. Nos relations se déroulent surtout dans notre esprit. Pourtant, ces relations influencent notre perception de nous-mêmes aujourd'hui et la façon dont on fait les choix qui détermineront qui nous serons demain.
On dirait que la compréhension qu'avait Emile du cerveau l'éclairait, le réconfortait, et même, dans certains cas, lui donnait du pouvoir, comme c'est souvent le cas pour moi. J'espère que c'était le cas, et j'espère que cet ouvrage pourra vous apporter la même chose. On essaie, tu vois, de comprendre comment encourager et créer plus de transparence dans les calculs de l'intelligence artificielle, en espérant mieux aligner leurs résultats sur nos valeurs humaines. Peut-être que comprendre le cerveau peut nous aider à faire quelque chose de similaire avec nous-mêmes : à saisir certains des éléments que notre cerveau utilise pour nous raconter l'histoire de qui on est, à comprendre un peu l'algorithme que notre cerveau utilise pour comprendre l'esprit des autres, à connaître certains des ingrédients qui alimentent nos calculs de valeurs et à ressentir l'importance qu'on accorde à chacun. On pourrait peut-être même rééquilibrer ces priorités, pour nous-mêmes ou pour les autres. Après tout, ce travail consiste avant tout à aider les gens à aligner leurs comportements quotidiens sur leur vision du monde qu'ils souhaitent.
Dans une conversation, Emile me rappelait que comme nos cellules se renouvellent très rapidement, ce qui fait de nous ce que nous sommes, c'est pas la combinaison physique de cellules dans notre corps, mais plutôt la façon dont elles travaillent ensemble. Et dans le cerveau, c'est surtout les schémas d'activation et de connexion, plutôt qu'une collection spécifique de neurones, qui rendent possibles nos pensées, nos sentiments et notre identité. En tant que neuroscientifique qui étudie la communication et la façon dont les idées et les comportements se propagent, je suis fasciné non seulement par la façon dont des fragments de notre identité sont encodés dans les schémas d'activation de notre cerveau, mais aussi par la façon dont ces schémas sont transmis au-delà. L'impact de nos pensées, de nos sentiments et de nos actions se propage, grandit, s'adapte aux nouveaux environnements et aux défis de ce monde. C'est en partie pour ça que je fais ce que je fais, en partie pour ça que j'ai écrit cet ouvrage, et en partie ce que j'espère que vous en retiendrez.
De cette façon, même quand on se sent seul, on est toujours interconnecté avec les autres, et des parties de nous sont distribuées à travers les gens et le temps. En me promenant avec Bev, main dans la main, sous les arbres près de chez elle, elle me dit qu'elle veut qu'on fasse la fête qu'on prépare pour son centième anniversaire, qu'elle soit là ou pas. Je lui dis qu'elle sera là. On célébrera la vie, cette vie dans laquelle nous sommes indissociables les uns des autres.