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Calculating...

Alors, euh, voilà, je voulais parler d'un truc aujourd'hui qui m'a toujours... comment dire... interpellé. C'est cette idée que, bon, on n'hérite pas de la terre de nos ancêtres, mais qu'on l'emprunte à nos enfants, quoi. C'est bien joli comme formule, mais bon, il faut voir la réalité derrière.

Et justement, ça me fait penser à un truc qui s'est passé en Angleterre dans les années 80, avec la privatisation de l'industrie de l'eau. Dix entreprises publiques sont devenues des sociétés cotées en bourse. Je me souviens d'une conversation avec l'ancien ingénieur en chef d'une de ces boîtes, devenu PDG entre-temps. Il m'expliquait que, en gros, tout le monde dans sa boîte était là soit pour éviter que les choses ne tournent mal, soit pour réparer les dégâts quand ça arrivait. Il disait que si on virait la majorité du personnel, l'eau continuerait à couler presque normalement, probablement pendant un bon moment. Le truc, c'était juste d'avoir un service de facturation, et hop, les revenus continueraient à affluer et les bénéfices augmenteraient de façon spectaculaire.

Bon, évidemment, il n'y avait pas de formule scientifique pour déterminer le "bon" niveau d'effectifs. Mais lui, il pensait que l'industrie nationalisée avait embauché trop de monde. Sous la propriété publique, l'objectif des managers, c'était surtout de ne pas se faire blâmer pour quoi que ce soit, et c'était toujours facile d'éviter les choix difficiles, surtout en matière de relations sociales. Dans le business de l'eau, il y a plein de choses qui peuvent mal tourner et pour lesquelles on peut se faire taper sur les doigts, alors que la demande des clients, elle, est garantie.

Mais avec la privatisation, les prix étaient plafonnés. Donc, chaque réduction de coûts se traduisait directement en bénéfices pour les actionnaires et les bonus des dirigeants. Ce PDG prévoyait que, avec ce nouveau système et les objectifs de profit, sa boîte, et les autres aussi, continueraient à réduire les coûts et les effectifs. Et puis, il disait, il y aurait un gros problème, une catastrophe. Et il y aurait une réaction excessive. Cette prédiction s'est réalisée, mais pas dans le secteur de l'eau, plutôt dans les chemins de fer, avec un accident dû à un manque d'entretien des voies. Après ça, il y a eu d'énormes perturbations des services, des limitations de vitesse, et finalement la renationalisation des voies ferrées deux ans plus tard. Le PDG, lui, est à la retraite depuis longtemps, mais sa boîte est maintenant régulièrement critiquée pour ses fuites et ses rejets d'eaux usées, hein.

Ce genre de contraintes budgétaires souples, c'est pas juste une caractéristique des économies socialistes. On l'a bien vu quand les banques ont été renflouées après la crise financière.

En fait, je me suis rendu compte que le secteur de l'eau était un cas extrême, mais que ce qu'il décrivait était vrai, à des degrés divers, dans presque toutes les entreprises. Quel est le "bon" montant à dépenser pour le service client, pour attirer de nouveaux clients, pour l'entretien des actifs, pour la prévention des pannes et pour les réparations afin d'assurer la pérennité de l'entreprise à long terme ? Il n'y a pas de réponses objectivement correctes à ces questions. C'est juste une affaire de jugement et d'expérience. Donc, c'est toujours possible pour une nouvelle équipe de direction de décider de dépenser un peu moins et d'ajouter la différence aux bénéfices. Moi, j'appelle ça le "syndrome des tuyaux qui fuient et des égouts qui débordent".

Peu après cette conversation avec le dirigeant de la compagnie des eaux, j'ai séjourné dans un hôtel autrefois élégant et j'ai remarqué que les tapis étaient un peu usés, la peinture un peu écaillée, le petit-déjeuner et le minibar horriblement chers. Une recherche sur internet a confirmé mes soupçons: le groupe hôtelier avait été racheté par un fonds de private equity spécialisé dans l'acquisition d'entreprises, l'augmentation rapide des bénéfices et la revente de la société sur les marchés publics. Sept des dix compagnies d'eau qui avaient été introduites en bourse, y compris celle dont le PDG avait fourni cette vision éclairante, ne sont plus cotées, mais appartiennent à des consortiums de private equity. Et le syndrome des tuyaux qui fuient et des égouts qui débordent est très répandu.

En gros, c'est une façon de manipuler les résultats comptables, quoi.

L'histoire d'Enron, c'est un peu le même genre. La pièce de théâtre a été un succès improbable. Ça commence par une réception avec champagne organisée par Jeff Skilling, le cerveau derrière l'ascension et la chute d'Enron. L'événement qui a fait sauter les bouchons, c'était la réception d'une lettre de la Securities and Exchange Commission qui autorisait Enron à utiliser la comptabilité "mark-to-market" pour déclarer les revenus des contrats d'approvisionnement en gaz à long terme.

En gros, ça permettait de comptabiliser tous les bénéfices attendus dès la signature du contrat. Avant, on comptabilisait les revenus et les coûts au fur et à mesure, et les bénéfices d'un contrat étaient répartis sur toute sa durée. Mais Skilling disait qu'une entreprise devait pouvoir déclarer ses bénéfices au moment de l'acte créatif qui allait les générer.

Un comptable, Andrew Fastow, a été embauché par Skilling et est devenu le directeur financier d'Enron. C'est lui qui a créé toute une série de "sociétés écrans" pour trafiquer les comptes et manipuler les résultats déclarés de l'entreprise principale.

Finalement, la croissance impressionnante des bénéfices et du cours de bourse d'Enron s'est soldée par la plus grande faillite d'entreprise de l'histoire des États-Unis, la condamnation et l'emprisonnement de Skilling et Fastow, et la faillite d'Arthur Andersen, le commissaire aux comptes de la société. Mais bon, ces techniques de comptabilité "mark-to-market" et les transactions avec des sociétés écrans ont aussi été utilisées par des entreprises plus respectables, comme General Electric ou Fannie Mae. Et la comptabilité "mark-to-market" a été une source importante de bénéfices illusoires pour les banques avant la crise financière de 2008.

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