Chapter Content
Euh… D’accord. Alors, on va parler de… Comment dirais-je ? Du début de la révolution, quoi. En physique.
Donc, au XXe siècle, heu… la physique a vraiment, vraiment, *vraiment* changé notre vision du monde, tu vois. Un truc de dingue ! Et ces changements, bah c’est la base de toutes les nouvelles technologies qu’on a aujourd’hui, hein. Genre, vraiment toutes. En gros, notre compréhension du monde s'est approfondie grâce à deux théories… importantes, quoi : la relativité générale et la mécanique quantique. Ces deux-là, elles nous forcent, enfin, elles *nous* ont forcé à revoir nos idées, tu vois, nos idées… traditionnelles sur le monde. Le temps, l’espace, dans la relativité ; la matière, l’énergie, dans la théorie quantique. Tout ça, quoi.
Et dans cette partie, je vais… je vais te raconter ces deux théories en détail. Essayer de t’expliquer, euh… le cœur du truc, quoi. Et de montrer comment ça a vraiment, mais vraiment révolutionné notre façon de penser. C’est là que commence le truc vraiment fou de la physique du XXe siècle. S’y plonger, essayer de comprendre, c’est vraiment une aventure… fascinante, quoi.
Ces deux théories – relativité et mécanique quantique – c’est… c’est le fondement, quoi. La base sur laquelle on construit aujourd’hui la théorie de la gravité quantique. C’est ça qui nous permet d’avancer, tu vois.
Alors… Albert. Albert Einstein. Le père d’Albert, il construisait des centrales électriques en Italie. Quand Einstein était petit, les équations de Maxwell, elles étaient sorties depuis quelques décennies à peine, hein. Mais l’Italie, elle était déjà à fond dans la révolution industrielle. Et les turbines et les transformateurs que fabriquait son père, bah, c’était basé sur ces équations, quoi. Donc la puissance de la nouvelle physique, elle était… elle était bien visible, quoi.
Albert, c’était un rebelle, hein. Ses parents, ils l’avaient laissé en Allemagne pour qu’il finisse le lycée, mais lui… il trouvait le système éducatif allemand trop rigide, trop… militariste. Il supportait pas l’autorité, quoi. Alors il a laissé tomber ses études et il est allé rejoindre ses parents en Italie, à Pavie. Il a glandé un peu là-bas, quoi. Après, il est allé étudier en Suisse, mais il a raté l’entrée à l’École polytechnique fédérale de Zurich, au début. Une fois diplômé, il a pas trouvé de poste de chercheur, tu vois. Mais, pour rester avec sa copine, il a trouvé un boulot à l’Office des brevets à Berne.
Ce boulot, il demandait pas forcément un diplômé en physique, mais… il lui laissait le temps de réfléchir, de travailler seul. C’est ce qu’il faisait depuis qu’il était petit, hein : il lisait les Éléments d’Euclide, la Critique de la raison pure de Kant… plutôt que les trucs qu’on lui apprenait à l’école. Faut dire, on va pas loin en suivant les autres.
À vingt-cinq ans, Einstein, il a envoyé trois articles aux Annales de physique. Trois articles ! Chacun d’eux, il aurait pu lui valoir le prix Nobel. Chacun d’eux, c’était un pilier pour comprendre le monde, quoi. Je t’ai déjà parlé du premier, où le jeune Albert, il calcule la taille des atomes et il prouve, vingt-trois siècles plus tard, que Démocrite avait raison : la matière, c’est des particules.
Le deuxième article, c’est le plus célèbre, hein. C’est là qu’il présente la relativité. C’est ça qu’on va voir, justement, dans ce chapitre.
En fait, il y a deux relativités. Dans l’enveloppe qu’Einstein a envoyée, il y avait un article qui expliquait la première relativité : celle qu’on appelle maintenant la relativité restreinte. Avant de te parler de la théorie la plus importante d’Einstein – la relativité générale – il faut que je t’explique la relativité restreinte. Parce que c’est elle qui explique la structure du temps et de l’espace.
La relativité restreinte, c’est subtil, hein. Conceptuellement, c’est dur à comprendre. Plus dur que la relativité générale, même. Si les pages qui suivent, elles te paraissent… obscures, faut pas te décourager, hein. C’est cette théorie qui a révélé pour la première fois que la vision du monde de Newton, elle avait pas juste des… des oublis, quoi. Qu’il fallait la changer complètement ! D’une façon qui va à l’encontre du bon sens, quoi. C’est le premier grand saut. La première correction de ce qu’on pense du monde, instinctivement.
Alors… le présent étendu.
Les théories de Newton et Maxwell, elles se contredisent, tu vois, d’une façon un peu subtile. Les équations de Maxwell, elles donnent une vitesse : la vitesse de la lumière. Mais la mécanique de Newton, elle est pas compatible avec l’existence d’une vitesse constante. Parce que les équations de Newton, elles parlent d’accélération, pas de vitesse. Dans la physique newtonienne, la vitesse, c’est juste une affaire d’un objet par rapport à un autre. Galilée, il avait insisté : la Terre, elle bouge par rapport au Soleil, même si on le sent pas. Parce que la “vitesse”, comme on dit, c’est la vitesse “par rapport à la Terre”, tu vois. On dit que la vitesse, c’est un concept relatif. Ce qui veut dire que ça sert à rien de parler de la vitesse d’un objet tout seul. La seule vitesse qui existe, c’est la vitesse d’un objet par rapport à un autre. C’est ça qu’on apprend en physique au XIXe siècle… et encore aujourd’hui. Mais si c’est le cas, la vitesse de la lumière que donnent les équations de Maxwell, elle est par rapport à quoi, alors ?
Une possibilité, c’est qu’il y ait une espèce de truc uniforme, tu vois, une entité… et que la vitesse de la lumière, ce soit la vitesse de la lumière par rapport à ce truc. Mais la théorie de Maxwell, elle avait l’air de pas du tout se soucier de ce truc. Et, à la fin du XIXe siècle, les expériences pour essayer de mesurer la vitesse de la Terre par rapport à ce truc imaginaire, elles ont toutes échoué.
Einstein, il disait que les expériences, elles l’avaient pas vraiment aidé, hein. C’est en réfléchissant à la contradiction flagrante entre les équations de Maxwell et la mécanique de Newton qu’il a trouvé la bonne direction. Il s’est demandé s’il pouvait trouver une façon de faire concorder les découvertes fondamentales de Newton et Galilée avec la théorie de Maxwell.
Et là, il a fait une découverte incroyable. Pour comprendre sa découverte, imagine tous les événements passés, présents et futurs – par rapport au moment où tu lis ça, hein – rangés comme sur une espèce de graphique.
Einstein, il a découvert que ce graphique, il est faux. En fait, la réalité, elle ressemble plutôt à un autre graphique.
Entre le passé et le futur d’un événement (par exemple, maintenant, où tu lis ça, et ton passé et ton futur), il y a une “zone intermédiaire”, un “présent étendu”. Une zone qui est ni le passé, ni le futur. C’est ça, la découverte de la relativité restreinte.
Cette zone intermédiaire, qui est ni le passé, ni le futur… elle dure très peu de temps, hein. Ça dépend de l’endroit où l’événement se passe par rapport à toi, comme sur le graphique. Plus l’événement est loin de toi, plus le présent étendu dure longtemps. À quelques mètres de ton nez, le présent étendu, il dure quelques nanosecondes. C’est quasiment zéro, quoi. C’est bien plus court que ce qu’on peut percevoir. À l’autre bout de l’océan, le présent étendu, il dure un millième de seconde. C’est encore bien en dessous du seuil qu’on peut sentir. Le temps le plus court qu’on peut sentir, c’est environ un dixième de seconde, quoi. Mais sur la Lune, le présent étendu, il dure quelques secondes. Et sur Mars, il dure un quart d’heure ! Ça veut dire qu’on peut dire qu’en ce moment même, sur Mars, il y a des événements qui se sont déjà passés, d’autres qui vont se passer… et un quart d’heure d’événements qui sont ni dans le passé, ni dans le futur.
Ces événements, ils sont ailleurs. On s’en est jamais rendu compte, parce qu’autour de nous, cet ailleurs, il est trop bref pour qu’on le remarque. Mais il existe vraiment.
C’est pour ça qu’on peut pas avoir de conversation fluide entre la Terre et Mars. Si moi, je suis sur Mars et toi, tu es sur Terre, je te pose une question. Dès que tu l’entends, tu me réponds tout de suite. Mais ma réponse, elle arrive chez toi un quart d’heure après que j’ai posé la question. Ce quart d’heure, il est ni dans le passé, ni dans le futur, par rapport au moment où tu me réponds. Einstein, il a compris que ce quart d’heure, on peut pas l’éviter. Il est tissé dans la trame des événements de l’espace-temps. On peut pas le raccourcir. Comme on peut pas envoyer une lettre dans le passé, quoi.
C’est bizarre, hein. Mais le monde, il est comme ça. C’est aussi bizarre que de savoir que les gens à Sydney, ils ont la tête en bas. Bizarre, mais c’est comme ça. Dès qu’on s’habitue à un fait, il devient banal et logique, quoi. C’est la structure du temps et de l’espace qui fait que c’est comme ça.
Ça veut dire que ça sert à rien de dire qu’un événement “est en train” de se passer sur Mars, parce que le “présent” n’existe pas.
En termes techniques, on dit qu’Einstein, il a compris que la “simultanéité absolue”, ça existe pas. Il n’y a pas d’événements qui se passent “maintenant” dans l’univers. On peut pas décrire les événements de l’univers comme une succession de “maintenant”. Il a une structure plus complexe, comme sur le graphique. Le graphique, il montre l’espace-temps en physique : un ensemble d’événements passés et futurs, et d’événements qui sont ni le passé, ni le futur. Ces événements, ils se forment pas en un instant. Ils durent un certain temps, quoi.
Dans la galaxie d’Andromède, le présent étendu, il dure… deux millions d’années ! Tout ce qui se passe pendant ces deux millions d’années, c’est ni le passé, ni le futur pour nous. Si une civilisation avancée et sympa d’Andromède, elle décide d’envoyer une flotte de vaisseaux spatiaux pour nous rendre visite, ça sert à rien de demander si la flotte est partie “maintenant”. La seule chose qui compte, c’est quand on reçoit le premier signal de la flotte. À partir de ce moment-là – et pas avant – la flotte, elle est partie dans notre passé.
La structure de l’espace-temps que le jeune Einstein a découverte en 1905, elle a des conséquences concrètes, hein. Le fait que le temps et l’espace soient liés, comme sur le graphique, ça veut dire qu’il faut reconstruire la mécanique de Newton. Einstein, il l’a fait vite fait, en 1905 et 1906. La première conséquence de cette reconstruction, c’est que, comme l’espace et le temps, ils se mélangent pour former un concept unifié d’espace-temps, le champ électrique et le champ magnétique, ils se mélangent aussi. Ils fusionnent en une seule entité. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le champ électromagnétique. Avec ce nouveau langage, les équations compliquées de Maxwell, qui décrivent ces deux champs, elles deviennent super simples.
Cette théorie, elle a une autre conséquence, hein, qui va avoir un impact énorme. Dans la nouvelle mécanique, “l’énergie” et “la masse”, elles fusionnent. Comme le temps et l’espace, comme le champ électrique et le champ magnétique. Avant 1905, il y avait deux lois universelles qui semblaient… indiscutables, quoi. La loi de conservation de la masse et la loi de conservation de l’énergie. La première, elle avait été largement prouvée par les chimistes : la masse, elle change pas dans les réactions chimiques. La deuxième – la loi de conservation de l’énergie – elle découlait directement des équations de Newton et on la considérait comme l’une des lois les plus solides, quoi. Mais Einstein, il a compris que l’énergie et la masse, c’est les deux faces d’une même réalité. Comme le champ électrique et le champ magnétique, c’est les deux facettes du même champ. Comme l’espace et le temps, c’est les deux aspects de la même chose, l’espace-temps. Ça veut dire que la masse, elle se conserve pas. L’énergie non plus. L’une peut se transformer en l’autre. Il y a qu’une seule loi de conservation, pas deux. Ce qui se conserve, c’est la somme de la masse et de l’énergie. Il doit y avoir un processus qui permet de transformer l’énergie en masse, ou la masse en énergie.
Einstein, il a vite fait le calcul pour savoir combien d’énergie on pouvait obtenir en transformant un gramme de matière. Et le résultat, c’est la célèbre formule E=mc2. Comme la vitesse de la lumière, c, c’est un nombre super grand, c2, c’est encore plus grand. Donc, l’énergie qu’on obtient en transformant un gramme de matière, elle est énorme ! C’est comme des millions de bombes qui explosent en même temps. Assez pour éclairer une ville ou faire tourner les usines d’un pays pendant des mois. Ou, à l’inverse, pour détruire une ville comme Hiroshima en une seconde, avec des centaines de milliers de morts.
Les calculs du jeune Einstein, ils ont fait entrer l’humanité dans une nouvelle ère : l’ère nucléaire. Une ère pleine de nouvelles possibilités… et de nouveaux dangers, quoi. Aujourd’hui, grâce à l’intelligence de ce jeune rebelle qui respectait pas les règles, on a les outils pour apporter la lumière à des milliards de foyers sur Terre pendant des siècles. Pour voyager dans l’espace jusqu’à d’autres planètes. Ou pour s’autodétruire, pour détruire la planète. Ça dépend de nos choix. De quel genre de leaders on croit, quoi.
Aujourd’hui, la structure de l’espace-temps qu’Einstein a proposée, elle est bien comprise. On l’a testée plein de fois en laboratoire. On sait que c’est vrai, quoi. On comprend plus le temps et l’espace comme à l’époque de Newton. L’espace, il existe pas indépendamment du temps. Dans l’espace étendu, il n’y a pas un morceau spécial qu’on pourrait appeler “l’espace maintenant”. Notre intuition du présent – que tous les événements se passent “maintenant” dans l’univers – c’est un jugement qu’on fait par ignorance, parce qu’on ne peut pas percevoir les intervalles de temps courts. C’est une déduction illogique à partir de notre expérience limitée.
C’est comme l’illusion que la Terre est plate. On imagine la Terre plate, à cause des limites de nos sens, parce qu’on voit pas loin. Si on vivait sur un astéroïde de quelques kilomètres de diamètre, comme le Petit Prince, on verrait facilement qu’on vit sur une sphère. Si notre cerveau et nos sens, ils étaient plus précis, si on pouvait sentir facilement les nanosecondes, on aurait pas l’idée d’un “maintenant” universel. On comprendrait facilement qu’entre le passé et le futur, il y a une zone intermédiaire. On comprendrait que ça a du sens de dire “ici et maintenant”, mais que ça a pas de sens de prendre ce “maintenant” pour le “maintenant” de tout l’univers. C’est comme si on demandait si notre galaxie, elle est “au-dessus ou en dessous” d’Andromède. Ça a pas de sens. “Au-dessus” et “en dessous”, ça a du sens sur la surface de la Terre, pas dans l’univers. Dans l’univers, il n’y a pas de “haut” ni de “bas”. De la même façon, il n’y a pas d’ “avant” ni d’ “après” entre deux événements de l’univers. La structure de l’espace et du temps qui s’entremêlent, c’est ce que les physiciens appellent l’ “espace-temps”.
Quand les Annales de physique, elles ont publié l’article d’Einstein, tout est devenu clair d’un coup. Ça a été un choc énorme pour le monde de la physique. Le conflit flagrant entre les équations de Maxwell et la physique de Newton, il était connu de tous, mais personne savait comment le résoudre. La méthode d’Einstein, elle était d’une simplicité incroyable. Ça a choqué tout le monde. Il y a une histoire qui raconte que dans les bâtiments sombres de l’université de Cracovie, un professeur austère est sorti de son bureau en brandissant l’article d’Einstein et en criant : “Un nouvel Archimède est né !”
Même si le pas qu’Einstein a franchi en 1905, il était déjà incroyable, on n’a pas encore parlé de son vrai chef-d’œuvre. La plus grande réussite d’Einstein, c’est la deuxième relativité. La relativité générale, qu’il a publiée dix ans plus tard, à trente-cinq ans.
La relativité générale, c’est la plus belle théorie que les physiciens aient jamais créée. C’est le premier grand pilier de la gravité quantique. C’est le cœur de ce bouquin. C’est là que commence la vraie magie de la physique du XXe siècle.
La plus belle théorie
Après avoir publié la relativité restreinte, Einstein, il est devenu un physicien connu. Il a reçu plein d’offres d’universités. Mais un truc le tracassait, hein : la relativité restreinte, elle est pas compatible avec la théorie de la gravitation. Il s’en est rendu compte en écrivant des commentaires sur sa théorie. Et il a voulu savoir si la grande théorie de la gravitation universelle de Newton, le père de la physique, elle devait pas être revue aussi, pour qu’elle soit compatible avec la relativité.
L’origine du problème, elle est facile à comprendre. Newton, il avait expliqué pourquoi les objets tombent et pourquoi les planètes tournent autour du soleil. Il avait imaginé une force qui attire tous les objets les uns vers les autres : la “gravitation”. Mais comment cette force, elle pouvait attirer des objets lointains sans qu’il y ait rien entre eux, ça, il l’a jamais compris. Comme on l’a vu, Newton lui-même, il doutait qu’il manquait quelque chose dans l’idée d’une force qui agit entre des objets sans qu’ils se touchent. Pour que la Terre attire la Lune, il devait y avoir un truc entre les deux qui transmet cette force. Deux siècles plus tard, Faraday, il avait trouvé la réponse… pas pour la gravitation, mais pour la force électromagnétique : le champ. Le champ électromagnétique, il peut transmettre la force électromagnétique.
Arrivé là, quelqu’un de logique, il comprendrait que la gravitation, elle doit avoir ses lignes de force de Faraday aussi. Par analogie, la gravitation entre le Soleil et la Terre, ou entre la Terre et les objets qui tombent, c’est forcément dû à un champ. Un champ de gravitation, quoi. La solution que Faraday et Maxwell, ils ont trouvée à la question de ce qui transmet la force, elle doit pas seulement s’appliquer à la force électrique. Elle doit s’appliquer à la gravitation aussi. Il doit y avoir un champ de gravitation et des équations comme les équations de Maxwell, qui décrivent les mouvements des lignes de force de Faraday. Au début du XXe siècle, c’était évident pour tous ceux qui étaient assez intelligents. C’est-à-dire, pour Albert Einstein seulement.
Dans les centrales électriques du père d’Einstein, le champ électromagnétique, il faisait tourner les rotors. Einstein, il était fasciné par ça depuis qu’il était jeune. Alors, il s’est mis à étudier le champ de gravitation. À chercher les maths qui pourraient le décrire. Il s’est plongé dans le problème. Il lui a fallu dix ans pour le résoudre. Dix ans d’études acharnées, d’essais, d’erreurs, de doutes, d’intuitions géniales et d’idées fausses. Il a publié une série d’articles avec des équations incorrectes. Et encore plus d’erreurs et de stress. Finalement, en 1915, il a fini l’article avec la solution complète. Il l’a appelé “Relativité générale”. Son chef-d’œuvre, quoi. Lev Landau, le plus grand physicien théoricien soviétique, il l’appelait “la plus belle théorie”.
La raison pour laquelle cette théorie, elle est belle, elle est pas dure à comprendre, hein. Einstein, il a pas seulement créé la forme mathématique du champ de gravitation. Il a pas juste écrit les équations qui le décrivent. Il a aussi exploré l’un des mystères les plus profonds et non résolus de la théorie de Newton. Et il a combiné les deux.
Newton, il était revenu à l’idée de Démocrite, que les objets, ils se déplacent dans l’espace. Cet espace, il doit être un grand récipient creux, un truc solide, une boîte qui peut contenir l’univers. Une espèce d’échafaudage géant où les objets, ils se déplacent en ligne droite jusqu’à ce qu’une force les oblige à changer de direction. Mais cet “espace” qui contient le monde, il est fait de quoi ? C’est quoi, l’espace ?
Pour nous, l’idée d’espace, elle paraît naturelle. Mais c’est parce qu’on connaît bien la physique de Newton. Si on y réfléchit bien, l’espace vide, c’est pas notre expérience intuitive. Pendant deux mille ans, d’Aristote à Descartes, l’idée de Démocrite que l’espace, c’est une entité spéciale, différente des objets, elle a jamais été prise pour acquise. Pour Aristote et Descartes, les objets, ils ont une étendue. C’est une propriété des objets. S’il y a pas d’objet qui s’étend, l’étendue, elle existe pas. Je peux vider l’eau de mon verre, et après, l’air, il remplit le verre. T’as déjà vu un verre vraiment vide, toi ?
Aristote, il expliquait que s’il y a rien entre deux objets, alors il y a rien. Comment c’est possible qu’il y ait en même temps quelque chose (l’espace) et rien ? Qu’est-ce que c’est que cet espace où les particules, elles se déplacent ? C’est quelque chose, ou c’est rien ? Si c’est rien, alors ça existe pas. On peut s’en passer. Si c’est quelque chose, sa seule propriété, c’est de rester là, sans rien faire ?
Depuis l’Antiquité, l’idée d’un espace vide, qui oscille entre l’être et le néant, elle a tracassé les penseurs. Démocrite lui-même, il avait fait de l’espace vide la base de son monde atomique. Mais il avait pas vraiment expliqué le problème. Il disait que l’espace vide, c’était un truc “entre l’être et le néant” : “Démocrite, il supposait le plein et le vide, dont il appelait l’un l’être, et l’autre le non-être”, comme l’a commenté Simplicius. Les atomes, ils existent, l’espace, il n’existe pas – et pourtant, c’est un non-être qui existe. On peut pas imaginer quelque chose de plus difficile à comprendre, quoi.
Newton, il a relancé l’idée de Démocrite sur l’espace. Il a essayé de résoudre le problème de l’espace en déclarant que l’espace, c’est le sensorium de Dieu. Personne a jamais compris ce que voulait dire “le sensorium de Dieu” de Newton. Peut-être que Newton lui-même, il savait pas. Einstein, il croyait pas en l’existence de Dieu (avec ou sans sensorium). Il trouvait que l’explication de Newton sur la nature de l’espace, elle était complètement… incroyable, quoi.
Newton, il a tout fait pour surmonter l’opposition des scientifiques et des philosophes, pour relancer l’idée de Démocrite sur l’espace. Au début, personne prenait ça au sérieux. C’est seulement quand ses équations, elles ont montré leur puissance, qu’elles prédisaient toujours les bons résultats, que les critiques, elles ont diminué petit à petit. Mais les doutes sur la validité de l’idée de Newton sur l’espace, ils ont jamais cessé. Et Einstein, qui lisait beaucoup de philosophie, il était au courant. Ernst Mach, un philosophe qu’Einstein appréciait beaucoup, il avait souligné les difficultés conceptuelles de l’idée d’espace de Newton. Et Mach lui-même, il croyait pas en l’existence des atomes ! C’est un bon exemple pour montrer qu’on peut être aveugle sur un truc et avoir une vision géniale sur un autre truc.
Einstein, il se posait pas un seul problème, mais deux problèmes ! Le premier, c’était comment décrire le champ de gravitation ? Le deuxième, c’était qu’est-ce que c’est que cet espace newtonien, quoi ?
Et là, le génie extraordinaire d’Einstein, il se manifeste. C’est l’un des moments les plus brillants de l’histoire de la pensée humaine, quoi : et si le champ de gravitation, c’était en fait l’espace mystérieux de Newton ? Et si l’espace de Newton, c’était rien d’autre que le champ de gravitation ? Cette idée, elle est super simple, belle et intelligente. C’est ça, la relativité générale.
Le monde, il est pas fait d’espace, de particules, de champ électromagnétique, de champ de gravitation. Il est fait seulement de particules et de champs. Y a rien d’autre. Il est pas nécessaire d’ajouter l’espace comme un élément supplémentaire. L’espace de Newton, c’est le champ de gravitation. Ou l’inverse, c’est pareil : le champ de gravitation, c’est l’espace.
Mais, contrairement à l’espace plat et immobile de Newton, le champ de gravitation, comme c’est un champ, il bouge et il ondule. Il obéit à des équations. Comme les champs de Maxwell et les lignes de force de Faraday.
C’est une simplification énorme du monde, quoi. L’espace, il est plus séparé de la matière. C’est un élément matériel du monde. Comme le champ électromagnétique. C’est une réalité concrète qui ondule, qui se plie et qui se tord.
On n’est pas contenu dans un échafaudage invisible et fixe. On est à l’intérieur d’un grand mollusque actif (c’est l’image d’Einstein). Le soleil, il courbe l’espace autour de lui. La Terre, elle tourne pas autour du soleil parce qu’elle est attirée par une mystérieuse action à distance. Elle se déplace en ligne droite dans un espace qui est incliné. C’est comme une bille qui tourne dans un entonnoir. Y a pas de force mystérieuse qui vient du centre de l’entonnoir. C’est la forme de la paroi de l’entonnoir qui fait tourner la bille. Les planètes qui tournent autour du soleil, les objets qui tombent, c’est parce que l’espace autour d’eux, il est courbé.
Pour être plus précis, c’est pas l’espace qui est courbé. C’est l’espace-temps. L’espace-temps qu’Einstein, il avait prouvé dix ans plus tôt, c’est pas une succession d’instants. C’est un tout structuré.
L’idée, elle est là. Le reste pour Einstein, c’était de trouver les équations qui rendent cette idée solide. Comment décrire cette courbure de l’espace-temps ? Einstein, il a eu de la chance : le problème, il avait déjà été résolu par des mathématiciens.
Carl Friedrich Gauss, le plus grand mathématicien du XIXe siècle – le prince des mathématiques – il avait déjà créé les maths pour décrire les surfaces courbes. Par exemple, la surface d’une montagne.
Après, il avait demandé à un de ses élèves les plus brillants de généraliser ces maths aux espaces courbes à trois dimensions ou plus. Cet élève, il s’appelait Bernhard Riemann. Il avait écrit une thèse de doctorat longue et qui avait l’air de servir à rien.
Le résultat de Riemann, c’est que les propriétés d’un espace courbé (ou d’un espace-temps) à n’importe quelle dimension, elles peuvent être décrites par un objet mathématique particulier. On appelle ça la courbure de Riemann. On la note avec la lettre R. Par exemple, pour une plaine, une colline et une montagne, la courbure R, elle est égale à zéro sur la surface de la plaine. C’est plat – c’est-à-dire “sans courbure”. La courbure, elle est pas égale à zéro dans les vallées et sur les collines. Au sommet d’une montagne, la courbure, elle a une valeur maximale. C’est là où c’est le moins plat ou le plus courbé. Avec la théorie de Riemann, on peut décrire la forme d’un espace courbé à trois ou quatre dimensions.
Einstein, il a bossé dur. Il a demandé de l’aide à des amis qui étaient meilleurs que lui en maths. Il a fini par apprendre les maths de Riemann. Et il a écrit une équation où R est proportionnel à l’énergie de la matière. Ce qui veut dire que là où il y a de la matière, l’espace, il est plus courbé. C’était ça la réponse. Cette équation, elle est comparable aux équations de Maxwell. Mais elle s’applique à la gravitation, pas à la force électrique, quoi. L’équation, elle tient en une demi-ligne. C’est super simple. Une intuition – l’espace, il se courbe – transformée en une équation.
Mais cette équation, elle donne un univers riche, hein. Cette théorie incroyable, elle a donné une série de prédictions hallucinantes. Des trucs qui avaient l’air de délires de fou. Mais qui ont fini par toutes être vérifiées. Au début des années 1980, quasiment personne prenait ces prédictions farfelues au sérieux. Et finalement, les expériences, elles ont prouvé l’une après l’autre. On va en voir quelques-unes.
Au début, Einstein, il a recalculé l’effet de courbure qu’un objet comme le soleil, il a sur l’espace autour de lui. Et l’effet de cette courbure sur le mouvement des planètes. Il a trouvé que le mouvement des planètes, il est quasiment le même que ce que prédisent les équations de Kepler et Newton. Mais pas tout à fait. Près du soleil, l’effet de la courbure de l’espace, il est plus fort que l’effet de la force de Newton. Einstein, il a calculé le mouvement de Mercure. Comme c’est la planète la plus proche du soleil, c’est là où la différence entre sa théorie et celle de Newton, elle est la plus grande. Il a trouvé une différence : le point de l’orbite de Mercure le plus proche du soleil, il avance de 0,43 secondes d’arc par an par rapport à ce que prévoit la théorie de Newton. C’est une petite différence, hein. Mais les astronomes, ils peuvent la mesurer. Et en comparant les deux prédictions avec les observations des astronomes, la conclusion, elle est claire : le mouvement de Mercure, il suit la trajectoire qu’Einstein a prédite, pas celle de Newton. Mercure, le messager des dieux, le dieu aux chaussures ailées, il suit Einstein, pas Newton.
Les équations d’Einstein, elles décrivent comment l’espace, il se courbe près des étoiles. À cause de cette courbure, la lumière, elle est déviée. Einstein, il a prédit que le soleil, il courbe la lumière autour de lui. L’expérience, elle a été faite en 1919. On a mesuré la déviation de la lumière. Et le résultat, il correspondait exactement à la prédiction, quoi.
Mais y a pas que l’espace qui se courbe, hein. Le temps aussi. Einstein, il a prédit qu’en altitude, sur Terre, le temps, il passe plus vite. Et qu’en basse altitude, il passe plus lentement. On l’a mesuré. Et c’est bien le cas. Maintenant, on a des horloges super précises dans les laboratoires, qu’on peut mesurer cet effet bizarre, même pour une différence de quelques centimètres de hauteur. Tu poses une horloge par terre et une autre sur une table. L’horloge qui est par terre, elle montre que le temps, il passe moins vite que l’horloge qui est sur la table. Pourquoi ? Parce que le temps, il est pas uniforme et immobile. Il s’étire ou il se comprime en fonction de la distance à la matière. La Terre, comme toute la matière, elle courbe l’espace-temps, elle ralentit le temps autour d’elle. Un tout petit peu, hein. Mais des jumeaux qui vivent l’un au bord de la mer et l’autre à la montagne, ils vont se rendre compte, quand ils se reverront, qu’il y en a un qui est plus vieux que l’autre, quoi.
Et ben, crois-le ou pas, une balle qu’on lance en l’air et qui retombe, c’est à cause de la même chose. Elle “prend du temps” quand elle monte plus haut, parce que là-haut, le temps, il passe pas à la même vitesse. Dans les deux cas, l’avion et la balle, ils suivent des lignes droites dans l’espace (ou l’espace-temps) qui est courbé.
Les prédictions de la théorie, elles vont bien au-delà de ces petits effets, hein. Une étoile, dès qu’elle a assez d’hydrogène pour brûler, elle brille. Après, petit à petit, elle s’éteint. Quand la pression de la chaleur, elle peut plus soutenir le reste de la matière, elle s’effondre sur elle-même, à cause de son propre poids. Quand une étoile assez grosse, elle fait ça, à cause du poids énorme, la matière, elle est comprimée au maximum. L’espace, il se courbe à l’extrême, en un trou. C’est comme ça que naît un trou noir.
Quand j’étais à la fac, les trous noirs, on les considérait comme des prédictions incroyables de cette théorie mystérieuse. Aujourd’hui, on a observé des centaines de trous noirs. Les astronomes, ils les étudient en détail, hein. Il y en a un qui a une masse d’un million de fois celle du soleil, juste au centre de notre galaxie. On peut voir des étoiles tourner autour de lui. Et certaines, comme elles s’approchent trop, elles sont détruites par sa gravitation terrible.
En plus de ça, la théorie, elle prédit que l’espace, il peut onduler comme la surface de la mer. Ces ondulations, c’est comme les ondes électromagnétiques des télévisions. Les effets de ces “ondes gravitationnelles”, on peut les observer dans le ciel, chez les étoiles binaires.