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Calculating...

Alors, euh, chapitre trente-deux, si je me souviens bien... oups, pardon, en fait, c'est plutôt sur l'origine de la vie dont on va parler. Alors, voilà, on va plonger dans le vif du sujet.

En fait, y'a eu une expérience, quoi, en mille neuf cent cinquante-trois. Un étudiant, un certain Stanley Miller, il a pris deux espèces de ballons, des ballons à long cou. Un avec de l'eau, genre pour simuler l'océan primitif, tu vois. Et l'autre avec un mélange de méthane, d'ammoniac et de sulfure d'hydrogène, comme si c'était l'atmosphère de l'époque. Et puis, hop, il a relié les deux avec un tuyau en caoutchouc, il a balancé des étincelles électriques, un peu comme des éclairs. Bon, après quelques semaines, l'eau dans le ballon, elle était devenue jaune-vert, une espèce de bouillon nutritif avec des acides aminés, des acides gras, du sucre et d'autres trucs organiques. Le professeur de Miller, Harold Urey, un prix Nobel, il était super content, il a dit : "Je suis sûr que c'est comme ça que Dieu a fait les choses."

À l'époque, les journaux, ils laissaient entendre que, genre, tu secouais bien le ballon et hop, la vie en sortait. Mais en fait, c'est pas si simple que ça, hein. Même après un demi-siècle de recherches, on n'est pas plus près de créer la vie qu'en cinquante-trois... alors, de là à dire qu'on en est capable... Les scientifiques, ils pensent même que l'atmosphère primitive, elle ressemblait pas du tout au mélange de Miller et Urey, mais plutôt à un truc à base d'azote et de dioxyde de carbone, donc pas du tout propice à la vie. Y'en a même qui ont refait l'expérience avec ces gaz plus réalistes et ils ont réussi à produire... une seule espèce d'acide aminé, super primitive en plus.

Le truc, c'est pas tellement de faire des acides aminés. Le vrai problème, c'est les protéines.

Parce que, tu vois, si tu relies les acides aminés entre eux, tu obtiens une protéine. Et il en faut un paquet, des protéines. On sait pas trop, mais il y en aurait peut-être un million de différentes dans le corps humain. Et chacune, c'est un peu un miracle. La probabilité qu'elles existent, c'est presque zéro. Pour faire une protéine, il faut aligner les acides aminés dans un ordre précis, comme les lettres pour former un mot. Le truc, c'est que ces "mots" en acides aminés, ils sont hyper longs. Par exemple, pour "collagène", une protéine banale, il faut aligner mille cinquante-cinq acides aminés, dans le bon ordre, bien sûr. Mais... et c'est là le nœud du problème... c'est pas toi qui fabrique le collagène. Il se forme tout seul. C'est là que ça devient impossible.

Franchement, la probabilité que mille cinquante-cinq acides aminés s'alignent pour former une molécule de collagène, c'est zéro. Ça ne devrait pas arriver. Imagine une machine à sous, mais énorme, avec mille cinquante-cinq rouleaux au lieu de trois ou quatre. Et chaque rouleau avec vingt symboles, un pour chaque acide aminé courant. Combien de fois faudrait-il tirer le levier pour que les mille cinquante-cinq symboles s'alignent dans le bon ordre ? En fait, ça servirait à rien de tirer, même des milliards de fois. Même si tu réduisais le nombre de rouleaux à deux cents, la probabilité que les deux cents symboles s'alignent dans le bon ordre, c'est un sur dix puissance moins deux cent soixante. C'est un nombre plus grand que le nombre total d'atomes dans l'univers !

Bref, les protéines, c'est des trucs super complexes. L'hémoglobine, par exemple, elle est "petite" pour une protéine, avec seulement cent quarante-six acides aminés. Mais même comme ça, il y a dix puissance cent quatre-vingt-dix façons possibles d'agencer les acides aminés. C'est pour ça qu'un chimiste de Cambridge, Max Perutz, il a mis vingt-trois ans, presque toute sa carrière, pour décrypter la structure. On dirait qu'il est pratiquement impossible de fabriquer une seule molécule de protéine par hasard. Un astronome, Fred Hoyle, il a fait une comparaison géniale : c'est comme si une tornade passait dans une casse et qu'elle laissait derrière elle un Boeing sept-quarante-sept complètement assemblé.

Et pourtant, y'a des centaines de milliers de protéines différentes, peut-être un million, et chacune est unique et indispensable pour ta santé et ton bien-être.

Bon, on continue. Pour être utile, une protéine, elle doit non seulement avoir les acides aminés dans le bon ordre, mais aussi se plier d'une certaine façon, faire un espèce de pliage chimique. Et même avec cette structure compliquée, elle te sert à rien si elle ne peut pas se reproduire. Et les protéines, elles ne se reproduisent pas. Pour ça, il faut de l'ADN. L'ADN, c'est le spécialiste de la reproduction, il se copie en quelques secondes, mais il ne sait rien faire d'autre. Donc, on se retrouve avec un paradoxe : les protéines ne peuvent pas exister sans ADN, et l'ADN ne sert à rien sans protéines. Alors, est-ce qu'on doit penser qu'ils sont apparus en même temps, pour se soutenir mutuellement ? Si c'est le cas, alors là, chapeau !

Et puis, même si t'as de l'ADN et des protéines, ça ne suffit pas. Il faut une membrane pour les enfermer, avec d'autres éléments essentiels de la vie. Un atome ou une molécule ne crée pas la vie tout seul. Si tu prends un atome de ton corps, c'est juste un grain de sable, il n'a pas de vie. C'est seulement quand plein d'atomes se réunissent, dans une cellule, dans un environnement riche, que ces différentes substances peuvent participer à cette danse incroyable qu'on appelle la vie. Sans la cellule, ce sont juste des produits chimiques intéressants. Mais sans ces produits chimiques, la cellule ne sert à rien. Comme disait Davis : "Si tout a besoin de tout, comment la société moléculaire a-t-elle commencé ?" C'est comme si tous les ingrédients de ta cuisine se mettaient ensemble pour faire un gâteau tout seul. Et en plus, si besoin, ce gâteau se diviserait pour créer d'autres gâteaux. C'est pas étonnant qu'on appelle la vie un miracle. Et c'est normal qu'on commence à peine à comprendre comment ça marche.

Alors, qu'est-ce qui a créé cette complexité incroyable ? Ben, peut-être que c'est pas si... si... miraculeux que ça en a l'air. Par exemple, pour les protéines, on pourrait imaginer que l'ordre qu'on voit, il est apparu après la formation. Et si, sur notre machine à sous géante, on pouvait contrôler certains rouleaux, comme au bowling, tu vois ? En d'autres termes, si les protéines ne se formaient pas d'un coup, mais qu'elles évoluaient lentement.

Imagine, si tu prenais tous les éléments pour fabriquer un être humain, du carbone, de l'hydrogène, de l'oxygène, etc., tu les mettais dans un récipient avec de l'eau et tu secouais bien, et hop, un être humain complet en sortait. Ce serait incroyable, non ? Ben, c'est un peu ça que Fred Hoyle et d'autres pensaient, que les protéines se formaient spontanément, d'un coup. Mais non, ça ne se passe pas comme ça. Comme disait Richard Dawkins dans "L'horloger aveugle", il y a forcément eu un processus de sélection progressive qui a fait que les acides aminés se sont regroupés petit à petit. Et trois acides aminés se sont peut-être liés pour un but simple, puis se sont assemblés à d'autres petits groupes, en "découvrant" des améliorations au passage.

Ces réactions chimiques liées à la vie, elles sont partout dans l'univers. On ne peut peut-être pas les recréer en laboratoire comme Stanley Miller et Harold Urey, mais l'univers, lui, il y arrive très bien. Dans la nature, beaucoup de molécules s'assemblent pour former de longues chaînes, qu'on appelle des polymères. Les molécules de sucre, par exemple, s'assemblent pour former l'amidon. Les cristaux peuvent faire plein de trucs étonnants : se reproduire, réagir aux stimuli de l'environnement, créer des motifs complexes. Bien sûr, ils ne créent pas la vie eux-mêmes, mais ils montrent que les structures complexes peuvent se former naturellement, spontanément et de façon fiable. Il y a peut-être plein de vie dans l'univers, ou peut-être pas, mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a plein d'assemblages spontanés et ordonnés. On en voit partout, des flocons de neige symétriques aux magnifiques anneaux de Saturne.

La nature est tellement douée pour assembler les choses que beaucoup de scientifiques pensent maintenant que la vie est plus inévitable qu'on ne le croit. Comme disait le biochimiste belge et prix Nobel Christian de Duve : "Là où les conditions sont réunies, la manifestation spécifique de la matière doit nécessairement se produire." De Duve pense qu'il y a probablement un million de telles occasions dans chaque galaxie.

Bien sûr, il n'y a rien de très spécial dans les éléments chimiques qui nous donnent la vie. Si tu veux créer un autre être vivant, un poisson rouge, une laitue ou un être humain, tu as juste besoin de quatre éléments : le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote, plus quelques autres en petites quantités, principalement du soufre, du phosphore, du calcium et du fer. Tu mélanges une trentaine de ces éléments, tu formes des sucres, des acides et d'autres composés de base et tu peux créer n'importe quoi de vivant. Comme dit Dawkins : "Il n'y a rien de spécial dans les substances qui composent les choses vivantes. Les choses vivantes sont des assemblages de molécules, comme tout le reste."

Au final, la vie est incroyable, satisfaisante et peut-être même miraculeuse, mais pas totalement impossible. On en est la preuve vivante. Bon, il y a encore plein de détails sur l'origine de la vie qu'on n'explique pas. Dans les livres, on lit que la vie a besoin d'eau, des "petites mares chaudes" de Darwin aux sources hydrothermales sous-marines. Mais on oublie souvent que, pour transformer des monomères en polymères, il faut une réaction qu'on appelle la "déshydratation" (en gros, on enlève de l'eau pour créer une protéine). Et comme dit un article scientifique, "les chercheurs s'accordent à dire que, à cause de la loi d'action de masse, une telle réaction est énergétiquement défavorable dans l'océan primitif, ou dans n'importe quel milieu aqueux". C'est un peu comme si tu mettais du sucre dans un verre d'eau en espérant qu'il se transforme en morceau de sucre. Ça ne devrait pas arriver, mais dans la nature, ça s'est fait quand même. Comment tous ces processus chimiques ont eu lieu ? Ça dépasse le cadre de ce qu'on raconte ici. Il suffit de savoir que, si tu mouilles des monomères, ils ne deviendront pas des polymères, sauf quand il s'agit de créer la vie. Comment ça se fait ? C'est une des grandes questions sans réponse de la biologie.

Au cours des dernières décennies, il y a eu plein de découvertes surprenantes en géosciences. L'une d'elles, c'est que la vie est apparue très tôt dans l'histoire de la Terre. Dans les années cinquante, on pensait qu'elle existait depuis moins de six cents millions d'années. Dans les années soixante-dix, certains pensaient qu'elle était apparue il y a deux milliards et demi d'années. Mais aujourd'hui, on est sûr qu'elle a trente-huit virgule cinq milliards d'années, ce qui est vraiment très tôt. La surface de la Terre s'est solidifiée il y a environ trois virgule neuf milliards d'années.

"On ne peut que déduire de cette rapidité que la vie bactérienne n'est pas 'difficile' à faire évoluer sur une planète qui a les bonnes conditions", disait Stephen Jay Gould dans le New York Times. Il a aussi dit : "On doit en conclure que la vie est un impératif chimique, dès qu'il y a une opportunité."

En fait, la vie est apparue tellement vite que certains pensent que quelque chose l'a aidée, peut-être beaucoup aidée. L'idée que la vie primitive vient de l'espace existe depuis longtemps. Déjà en mille huit cent soixante et onze, Lord Kelvin lui-même, lors d'une réunion de l'Association britannique pour l'avancement de la science, avait suggéré que "les graines de la vie ont peut-être été apportées sur Terre par des météorites". Mais cette idée est restée marginale jusqu'à un certain dimanche de septembre en mille neuf cent soixante-neuf. Des milliers d'Australiens ont entendu une série de grondements et ont vu une boule de feu traverser le ciel. Elle faisait un bruit bizarre, comme un grincement, et laissait une odeur que certains ont comparée à de l'alcool méthylique, d'autres ont juste trouvée désagréable.

La boule de feu a explosé au-dessus de Murchison, et des pierres sont tombées en pluie. Murchison, c'est une petite ville de six cents habitants au nord de Melbourne. Personne n'a été blessé. La météorite était rare, une chondrite carbonée. Les habitants ont ramassé environ quatre-vingt-dix kilos de pierres. Le timing était parfait. Moins de deux mois avant, Apollo onze était revenu sur Terre avec un sac plein de roches lunaires. Tous les laboratoires du monde attendaient avec impatience des pierres extraterrestres.

On a découvert que la météorite de Murchison avait quatre virgule cinq milliards d'années et qu'elle était pleine d'acides aminés, soixante-quatorze en tout, dont huit sont utilisés dans les protéines terrestres. Fin deux mille un, trente ans après la chute, le centre de recherche Ames en Californie a annoncé que la météorite contenait aussi une série de sucres complexes, des polyols. On n'avait jamais trouvé ces sucres ailleurs que sur Terre.

Depuis mille neuf cent soixante-neuf, d'autres chondrites carbonées ont atterri sur Terre. L'une d'elles, tombée au Canada en deux mille, a confirmé que l'univers est plein de composés organiques. On pense maintenant que la comète de Halley est composée à vingt-cinq pour cent de molécules organiques. Si ces météorites tombent souvent au bon endroit, comme la Terre, tu as les éléments de base pour la vie.

L'idée de la panspermie, que la vie vient de l'espace, a deux problèmes. D'abord, elle ne répond pas à la question de savoir comment la vie est apparue, elle se contente de rejeter la faute ailleurs. Ensuite, même ses plus fervents défenseurs se laissent parfois aller à des spéculations. Francis Crick, l'un des découvreurs de la structure de l'ADN, et son collègue Leslie Orgel pensent que "des extraterrestres intelligents ont délibérément ensemencé la Terre avec des graines de vie". Ce point de vue est "à la limite de la science", selon John Gribbin. Fred Hoyle et son collègue Chandra Wickramasinghe ont même suggéré que l'espace nous a apporté non seulement la vie, mais aussi des maladies comme la grippe et la peste bubonique, ce qui a encore plus discrédité la panspermie. Les biochimistes n'ont pas eu de mal à réfuter ces idées.

Quoi qu'il en soit, ce qui a déclenché la vie, ça n'est arrivé qu'une seule fois. C'est l'un des faits les plus extraordinaires de la biologie, peut-être le plus extraordinaire de tous. Tout ce qui a vécu, plantes ou animaux, remonte à une seule source primitive. Dans un passé très lointain, il y a eu un petit sac de produits chimiques qui a frémi, et la vie est apparue. Il a absorbé des nutriments, il a palpité, il a vécu brièvement. Peut-être que ça s'était déjà passé avant, peut-être même plusieurs fois. Mais ce sac de produits chimiques a fait un autre truc extraordinaire : il s'est divisé en deux, il a créé un descendant. Un petit morceau de matériel génétique est passé d'une entité vivante à une autre, et ça a continué depuis, sans s'arrêter. C'est le moment qui nous a créés tous. Les biologistes appellent ça parfois la "grande naissance".

"Où que tu ailles dans le monde, que tu voies des animaux, des plantes, des insectes ou des choses indescriptibles, s'il y a de la vie, elle utilise le même dictionnaire, elle connaît le même code. Toute la vie est une famille", dit Matt Ridley. On est tous le résultat de la même astuce génétique. Cette astuce s'est transmise de génération en génération pendant près de quatre milliards d'années, et à la fin, on peut même apprendre un peu de génétique humaine, assembler une cellule de levure avec des erreurs et la vraie cellule de levure la laissera travailler comme si c'était l'une des siennes. D'une certaine façon, c'est vraiment l'une des siennes.

L'aube de la vie se trouve dans le bureau d'une géochimiste isotopique, Victoria Bennett. Son bureau est à l'Australian National University à Canberra. J'y suis allé fin deux mille un et elle m'a tendu une pierre banale. Elle est composée de quartz blanc et d'une substance gris-vert appelée pyroxène. Elle vient de l'île d'Akilia au Groenland. En mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept, on y a trouvé des roches très anciennes. Elles ont trente-huit virgule cinq milliards d'années et représentent les plus anciens sédiments marins qu'on ait trouvés jusqu'à présent.

"On ne sait pas si ce que vous avez entre les mains contient des microbes. Il faut la casser pour le savoir", m'a dit Bennett. "Mais elle vient du même gisement que la plus ancienne vie qu'on ait découverte, donc elle a probablement contenu de la vie." On ne trouvera pas de vrais fossiles de microbes. N'importe quel organisme simple aurait été détruit pendant la transformation des sédiments marins en pierre. Si on casse la roche et qu'on regarde au microscope, on verra juste les restes chimiques des microbes : des isotopes de carbone et un phosphate appelé apatite. Ensemble, ils indiquent qu'il y avait de la vie dans cette roche. "À quoi ressemblaient ces organismes, on ne peut que le deviner", dit Bennett. "C'était probablement la vie la plus simple, mais c'était de la vie. Elle a vécu. Elle s'est reproduite."

Enfin, on arrive à notre époque.

Si tu veux étudier des roches très anciennes, l'Australian National University, c'est le bon endroit. C'est grâce à un homme ingénieux, Bill Compston. Il a construit la première "sonde ionique à haute résolution sensible", ou Shrimp (crevette). Cet instrument sert à mesurer le taux de désintégration de l'uranium dans des minéraux appelés zircons. Les zircons sont présents dans la plupart des roches et ils peuvent survivre à presque tous les processus naturels. La plupart de la croûte terrestre a déjà replongé à l'intérieur de la Terre, mais parfois, en Australie occidentale ou au Groenland, les géologues trouvent des roches qui sont restées à la surface. L'instrument de Compston peut mesurer l'âge de ces roches avec une précision inégalée.

"Découvrir quelque chose d'aussi important si vite avec une nouvelle technologie, c'était une sensation à l'époque", dit Bennett.

Elle m'a emmené voir le modèle actuel, Shrimp 2. C'est un gros instrument en acier inoxydable, d'environ trois virgule cinq mètres de long et un virgule cinq mètre de haut. Un étudiant, Bob, est assis à la console et regarde un écran avec des données qui changent sans arrêt. Il est là depuis quatre heures du matin et il reste jusqu'à midi. Shrimp 2 fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a tellement de roches à dater. Si tu demandes aux géochimistes comment ça marche, ils te parlent d'isotopes, d'ionisation, etc. Mais en gros, ils bombardent l'échantillon avec des atomes chargés et ils mesurent les différences subtiles dans la quantité de plomb et d'uranium dans les zircons, ce qui leur permet de déterminer l'âge de la roche. Il faut environ dix-sept minutes pour lire les données d'un zircon et il faut le faire des dizaines de fois pour obtenir des données fiables. Le processus ressemble à un travail de blanchisserie. Pourtant, Bob a l'air content.

La cour du département de géosciences est un mélange bizarre de bureaux, de laboratoires et de salles d'instruments. "Avant, tout était fabriqué ici", dit-elle. "On avait même un souffleur de verre, mais il est parti à la retraite. Mais on a encore deux employés à plein temps qui cassent des pierres." Elle me voit avoir l'air surpris. "Il faut faire très attention à ce que les pierres ne soient pas contaminées par des échantillons précédents, qu'il n'y ait pas de poussière. C'est un processus rigoureux." Elle me montre quelques concasseurs. Ils sont propres, mais les deux employés sont partis prendre un café. À côté des concasseurs, il y a de grandes caisses remplies de roches de toutes formes et de toutes tailles. L'Australian National University traite vraiment beaucoup de roches.

On retourne au bureau de Bennett et je remarque une affiche qui représente la Terre il y a trois virgule cinq milliards d'années. La vie commençait à peine. Cette époque s'appelle l'Archéen. L'affiche montre un paysage étrange, avec des volcans actifs, un ciel rouge et un océan couleur bronze. Au premier plan, il y a des roches parasitées par des bactéries, appelées stromatolithes. Ça n'a pas l'air d'un endroit propice à la vie. Je lui demande si cette affiche est exacte.

"Il y a une école de pensée qui pense qu'il faisait frais à l'époque, parce que le soleil était beaucoup plus faible. S'il n'y avait pas d'atmosphère, même avec un soleil faible, les rayons UV détruiraient les liaisons moléculaires. Et pourtant, là", elle tape doucement sur les stromatolithes, "la vie est presque à la surface. C'est un mystère."

"Donc, on ne sait pas vraiment à quoi ressemblait le monde à l'époque ?"

"Euh", dit-elle en réfléchissant.

"En tout cas, ça n'avait pas l'air favorable à la vie."

Elle hoche la tête : "Mais il y avait sûrement quelque chose qui convenait à la vie, sinon on ne serait pas là."

Cet environnement ne nous conviendrait pas. Si tu sortais d'une machine à voyager dans le temps et que tu mettais les pieds dans ce monde archéen, tu rentrerais tout de suite. Il n'y avait pas d'air à respirer, comme sur Mars aujourd'hui. Et l'air était plein de gaz toxiques, assez forts pour corroder les vêtements et faire des cloques sur la peau. La Terre n'avait pas l'air de la carte de Victoria Bennett. L'atmosphère était pleine de produits chimiques troubles et le soleil n'atteignait presque pas le sol. Tu ne verrais que des éclairs de temps en temps. Bref, c'est la Terre, mais on ne la reconnaîtrait pas.

Dans le monde archéen, il n'y avait pas d'anniversaires de mariage. Pendant deux milliards d'années, les bactéries étaient les seules formes de vie. Elles vivaient, elles se reproduisaient, elles se multipliaient, mais elles ne montraient pas de penchant pour un niveau d'existence plus complexe. À un moment donné, les cyanobactéries ont appris à utiliser une ressource abondante : l'hydrogène dans l'eau. Elles ont absorbé les molécules d'eau, elles ont mangé l'hydrogène, elles ont rejeté l'oxygène, et elles ont inventé la photosynthèse. Comme l'ont dit Margulis et Sagan, "la photosynthèse est sans aucun doute l'invention métabolique la plus importante de l'histoire de la vie sur cette planète". La photosynthèse a été inventée par des bactéries, pas par des plantes.

Au fur et à mesure que les cyanobactéries se multipliaient, le monde a commencé à se remplir d'oxygène. Les microbes ont été surpris, parce que l'oxygène est toxique dans un monde anaérobie (qui n'utilise pas l'oxygène). Nos globules blancs utilisent l'oxygène pour tuer les bactéries. L'oxygène est fondamentalement toxique, ce qui est surprenant, parce que beaucoup de gens trouvent qu'il est agréable de respirer de l'oxygène. C'est juste qu'on a évolué pour pouvoir l'utiliser. Pour les autres, c'est terrible. Il fait rancir le beurre, il fait rouiller le fer. Notre tolérance à l'oxygène est limitée. La concentration d'oxygène dans nos cellules n'est que d'un dixième de celle de l'atmosphère.

Les nouvelles bactéries qui utilisent l'oxygène avaient deux avantages. L'oxygène augmente l'efficacité de la production d'énergie et il détruit les microbes concurrents. Certaines se sont retirées dans des marais boueux et anaérobies. D'autres ont fait pareil, mais ont ensuite émigré dans des endroits digestifs comme toi et moi. Un bon nombre de ces entités primitives vivent dans ton corps et aident à digérer ta nourriture, mais elles détestent l'oxygène. D'innombrables autres bactéries n'ont pas pu s'adapter et sont mortes.

Les cyanobactéries ont fui et ont réussi. Au début, l'oxygène qu'elles produisaient ne s'est pas accumulé dans l'atmosphère, mais il s'est combiné au fer pour former de l'oxyde de fer, qui a coulé au fond des océans primitifs. Pendant des millions d'années, le monde a rouillé. Si tu revenais à cette époque, tu ne verrais pas beaucoup de signes que la vie future est prometteuse. Peut-être que tu trouverais une fine couche de mousse vivante dans des flaques d'eau cachées, ou une couche verte ou brune sur les rochers au bord de la mer, mais sinon, la vie est presque invisible.

Mais il y a environ trois virgule cinq milliards d'années, quelque chose de plus solide est devenu visible. Partout où l'eau était peu profonde, des structures ont commencé à apparaître. Pendant que les cyanobactéries faisaient leurs réactions chimiques, elles ont commencé à devenir collantes. Cette substance collante a attiré de la poussière et des grains de sable, qui se sont combinés pour former des structures bizarres et solides : les stromatolithes, comme sur l'affiche de Victoria Bennett. Les stromatolithes existent en toutes formes et tailles. Ils ressemblent parfois à d'énormes choux-fleurs, parfois à des tapis, et parfois à des cylindres qui sortent de l'eau sur des dizaines de mètres. De toutes les façons, ils ont l'air de roches vivantes. Les stromatolithes représentent le premier projet de coopération au monde. Certains organismes vivent à la surface, d'autres en dessous, et les uns utilisent les conditions créées par les autres. Le monde avait son premier écosystème.

Pendant longtemps, les scientifiques ont étudié les stromatolithes à partir de structures fossilisées. Mais en mille neuf cent soixante et un, ils ont trouvé une société de stromatolithes vivants à Shark Bay, sur la côte nord-ouest de l'Australie. C'était inattendu, tellement inattendu que les scientifiques ont mis des années à réaliser ce qu'ils avaient trouvé. Aujourd'hui, Shark Bay est devenue une attraction touristique. Des passerelles en bois s'étendent dans la baie, et les touristes peuvent se promener au-dessus des stromatolithes qui respirent tranquillement sous la surface de l'eau. Ils n'ont pas de lustre, ils sont gris et ils ressemblent à une bouse de vache. Pourtant, c'est un moment époustouflant de regarder la vie sur Terre il y a trois virgule cinq milliards d'années. Comme dit Richard Fortey : "C'est vraiment un voyage à travers le temps. Si le monde était en phase avec ses vraies merveilles, cet endroit serait aussi connu que les pyramides de Gizeh." Bien qu'on ne s'en doute pas, ces roches sombres sont pleines de vie. On estime qu'il y a trois virgule six milliards de microbes qui vivent sur chaque mètre carré de roches. Si on regarde attentivement, on peut voir des petites bulles qui montent à la surface. C'est l'oxygène qu'ils libèrent. Pendant deux milliards d'années, ces petits efforts ont fait passer la quantité d'oxygène dans l'atmosphère à vingt pour cent, ce qui a ouvert la voie au chapitre suivant, le chapitre le plus complexe de l'histoire de la vie.

On pense que les stromatolithes de Shark Bay sont peut-être les organismes qui ont évolué le plus lentement sur Terre, et certainement les plus rares aujourd'hui. Après avoir créé les conditions pour des formes de vie plus complexes, ils ont été presque partout évincés par d'autres organismes, dont ils ont permis l'existence. (Ils existent encore à Shark Bay parce que l'eau est trop salée pour les organismes qui les mangent.)

Pourquoi la vie a-t-elle mis autant de temps à se complexifier ? En partie parce que le monde n'a pas attendu que les organismes simples aient mis suffisamment d'oxygène dans l'atmosphère. "Les organismes ne se sont pas démenés pour faire le travail", dit Fortey. Il a fallu environ deux milliards d'années, soit environ quarante pour cent de l'histoire de la Terre, pour que la concentration d'oxygène dans l'atmosphère atteigne à peu près son niveau actuel. Mais dès que les conditions ont été réunies, une nouvelle cellule est apparue : une cellule avec un noyau et d'autres parties, appelées "organites" (ce qui vient du grec et signifie "petits outils"). On pense que le processus a commencé avec une bactérie imprudente ou aventureuse. Elle a soit été attaquée, soit capturée par une autre bactérie. Les deux ont été satisfaites du résultat. On pense que la bactérie capturée est devenue une mitochondrie. Cette invasion a rendu possible l'apparition de la vie complexe. (Chez les plantes, une invasion similaire a créé les chloroplastes, qui permettent aux plantes de faire la photosynthèse.)

Les mitochondries utilisent l'oxygène et libèrent l'énergie de la nourriture. Sans cette astuce, la vie sur Terre serait juste une grande masse de microbes simples vivant dans la boue. Les mitochondries sont minuscules. On peut en mettre un milliard dans un grain de sable. Elles ont toujours faim. Les nutriments qu'on mange finissent par nourrir les mitochondries.

Sans les mitochondries, on ne survivrait pas deux minutes. Pourtant, même après un milliard d'années, les mitochondries agissent comme si nos problèmes n'étaient pas réglés. Elles gardent leur propre ADN, leur propre ARN et leurs propres ribosomes. Elles se reproduisent à des moments différents que la cellule hôte. Elles ressemblent à des bactéries, elles se divisent comme des bactéries et elles réagissent parfois aux antibiotiques comme les bactéries. Elles ne parlent même pas la même langue génétique que la cellule hôte. En gros, elles ont toujours leurs valises prêtes. C'est comme si tu avais un étranger chez toi et qu'il y vivait depuis un milliard d'années.

Les nouvelles cellules s'appellent les cellules eucaryotes (ce qui veut dire "vrai noyau"), et les anciennes cellules s'appellent les cellules procaryotes (ce qui veut dire "avant le noyau"). Elles sont apparues soudainement dans les archives fossiles. La plus ancienne cellule eucaryote connue est Grypania spiralis, découverte en mille neuf cent quatre-vingt-douze dans des sédiments riches en fer du Michigan. Après cette découverte, il n'y a plus de traces pendant cinq cents millions d'années.

La Terre a fait un premier pas vers une planète intéressante. Comparées aux nouvelles cellules eucaryotes, les anciennes cellules procaryotes n'étaient que "des sacs de produits chimiques", selon le géologue Stephen Drury. Les cellules eucaryotes sont plus grandes et peuvent contenir mille fois plus d'ADN. Grâce à ces avancées, la vie est devenue de plus en plus complexe, et cela a créé deux types d'organismes : ceux qui rejettent l'oxygène (comme les plantes) et ceux qui l'acceptent (comme toi et moi).

Les cellules eucaryotes unicellulaires étaient appelées autrefois des protozoaires (ce qui signifie "avant les animaux"), mais ce nom est de plus en plus mal vu. Aujourd'hui, on les appelle des protistes. Comparés aux bactéries, les protistes sont incroyables en termes de motifs et de complexité. Une simple amibe, qui n'a qu'une cellule et dont la seule ambition est de survivre, contient quatre cents millions de lettres d'information génétique dans son ADN.

Enfin, les cellules eucaryotes ont appris une astuce encore plus particulière. Ça a pris du temps, environ un milliard d'années, mais une fois qu'elles ont maîtrisé l'astuce, c'était pas mal. Elles ont appris à s'assembler pour former des organismes multicellulaires complexes. Grâce à cette nouvelle invention, les entités complexes comme nous ont pu exister. La planète Terre était prête pour la prochaine étape ambitieuse.

Mais avant de s'emballer, il faut se rappeler que le monde n'était toujours pas un monde d'animaux.

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