Chapter Content

Calculating...

Euh... alors, voilà, si tes parents, tu vois, ils s'étaient pas rencontrés au bon moment, mais genre à la seconde près, hein, voire même, euh, à la nanoseconde près, et bien, tu serais pas là, tout simplement. Et puis, si tes grands-parents, ils s'étaient pas combinés au bon moment, de la bonne façon, ben, pareil, hein, tu serais pas là non plus. Et puis, si les parents de tes grands-parents, et les parents des parents de tes grands-parents, et ainsi de suite, ils s'étaient pas combinés, tu vois, de la même manière, eh bien, c'est sûr et certain, tu serais pas là.

Plus on remonte le temps, eh bien, plus le nombre de personnes dont tu dépends pour exister augmente. Juste en remontant à huit générations, c'est-à-dire à l'époque de Charles Darwin et Abraham Lincoln, on parle déjà de plus de 250 personnes, quand même, dont les unions ont décidé de ton existence. Et puis, si on continue, jusqu'à l'époque de Shakespeare, tu vois, et des Pères Pèlerins du Mayflower, tu as au moins, attention, 16384 ancêtres, qui, par un mélange et une combinaison miraculeux de leurs gènes, ont fini par te créer, toi.

20 générations plus tôt, le nombre d'ancêtres, il a déjà explosé, hein, il a atteint 1 048 576. Et si on remonte encore de cinq générations, le nombre d'ancêtres qui t'ont créé, eh bien, il est pas inférieur à 33 554 432, quand même ! Et puis, 30 générations plus tôt, le nombre total de tes ancêtres, tu vois, et attention, on ne parle pas des cousins, des cousines, ou d'autres parents plus éloignés, juste la ligne directe, parents, parents de parents, jusqu'à toi, ben, il dépasse le milliard (1 073 741 824 exactement). Et puis, 64 générations plus tôt, à l'époque de la Rome antique, le nombre d'ancêtres qui ont décidé de ton existence atteint environ 10 milliards de milliards, quand même ! C'est plusieurs milliers de fois le nombre total de personnes qui ont jamais vécu sur Terre.

Bon, évidemment, y'a un truc qui cloche dans nos statistiques là, non ? En fait, la bonne explication, et ça va peut-être t'intéresser, c'est que ta lignée, eh bien, elle est pas si pure que ça, hein. Si y'avait pas eu un certain degré de mariages consanguins, alors bien sûr, à distance, hein, pour pas que ce soit trop grave génétiquement, eh bien, tu serais pas là. Sur ta ligne généalogique, y'a des millions d'ancêtres, tu vois, où un parent éloigné du côté de ta mère a épousé un parent éloigné du côté de ton père. En fait, si ton partenaire actuel est de la même ethnie, du même pays que toi, y'a de fortes chances, tu vois, que vous ayez un lien de parenté quelconque. Et puis, si tu regardes autour de toi dans le bus, au parc, au café, ou n'importe quel endroit bondé, tu vois, ben, la plupart des gens que tu vois sont probablement tes parents. Et puis, si quelqu'un se vante d'être un descendant de Shakespeare ou de Guillaume le Conquérant, tu peux tout de suite lui répondre : "Moi aussi !". Littéralement et au sens figuré, on est tous de la même famille.

Et puis, on est incroyablement semblables. Si tu compares tes gènes à ceux de n'importe qui d'autre, en moyenne, y'a environ 99,9% de similitudes, quand même, et c'est ça, en fait, qui fait qu'on est tous humains. Et puis, ce petit 0,1% de différence génétique, tu vois, c'est... c'est, comme le dit l'éminent généticien anglais, John Sulston, qui a reçu un prix Nobel récemment, "environ un sur 1000 nucléotides", et ben, c'est ce qui constitue la base de notre individualité. Bon, ces dernières années, on a beaucoup mis l'accent sur l'étude de la structure du génome humain. Mais en fait, y'a pas de génome humain unique, tu vois. Le génome de chaque personne est différent, sinon, on serait tous pareils. C'est vraiment le remaniement constant de notre génome, tu vois, chacun est fondamentalement le même, et pourtant pas tout à fait, qui fait de nous ce que nous sommes, une multitude d'individus, et une seule espèce.

Mais alors, qu'est-ce que c'est, au juste, un génome ? Et qu'est-ce qu'un gène ? Bon, alors, on va reprendre depuis la cellule. À l'intérieur de la cellule, y'a un noyau, et dans le noyau, y'a les chromosomes. Y'a 46 brins complexes de matière, dont 23 viennent de ta mère et 23 viennent de ton père. Chaque cellule de ton corps, 99,9999% d'entre elles, tu vois, portent le même nombre de chromosomes, à quelques rares exceptions près. (Ces exceptions, ce sont les globules rouges, certaines cellules du système immunitaire, les ovules et les spermatozoïdes. Pour différentes raisons organiques, ils ne portent pas le complément entier de gènes). Les chromosomes, ils contiennent un ensemble complet d'instructions nécessaires à la création et au maintien de ta vie. Ils sont constitués d'une longue, longue, longue chaîne de petites substances chimiques magiques, l'acide désoxyribonucléique, qu'on appelle plus communément ADN. On appelle l'ADN "la molécule la plus extraordinaire de la planète".

L'ADN, il n'existe que pour une seule raison, c'est pour créer plus d'ADN. Y'en a beaucoup, de l'ADN dans ton corps, hein, presque 2 mètres d'ADN entassés dans presque chaque cellule. Chaque unité d'ADN comprend 3,2 milliards de lettres de code, de quoi produire 10 puissance 348000000 combinaisons, ce qui, comme le dit Christian de Duve, "permet d'assurer une unicité en toute occasion". C'est une probabilité énorme, c'est un 1 suivi de 3 milliards de zéros, hein, "l'impression de ces seuls chiffres nécessiterait 5000 livres de taille moyenne", explique de Duve. La prochaine fois que tu te regardes dans un miroir, tu vois, pense au fait que tu contiens 100 000 milliards de cellules, et que presque chacune de ces cellules contient environ 2 mètres d'ADN enroulé sur lui-même, et tu réaliseras la quantité de choses que tu as sur toi. Si tu mettais tout ton ADN bout à bout, ça ferait pas un ou deux allers-retours entre la Terre et la Lune, mais plutôt plusieurs. Selon une estimation, la longueur totale de ton ADN est de 200 milliards de kilomètres.

En un mot, ton corps aime fabriquer de l'ADN. Tu peux pas vivre sans. Mais l'ADN en lui-même, eh bien, il n'est pas vivant. Les molécules ne sont pas vivantes, mais l'ADN l'est particulièrement peu. Comme le dit le généticien Richard Lewontin, c'est "la molécule la plus inerte chimiquement du monde vivant". C'est pour ça que les gens peuvent extraire de l'ADN de traces de sang ou de sperme séchées depuis longtemps, ou d'os de Néandertaliens anciens, tu vois, pour des enquêtes policières. Et puis, ça explique aussi pourquoi les scientifiques ont mis si longtemps à déchiffrer une substance si apparemment insignifiante, en un mot, si inerte, mais qui occupe une place si importante dans la vie elle-même.

L'ADN, en tant qu'entité connue, existe depuis bien plus longtemps que tu ne l'imagines. Pourtant, c'est seulement en 1869 qu'il a été découvert par un scientifique suisse, Johann Friedrich Miescher, qui travaillait à l'université de Tübingen, en Allemagne. En étudiant au microscope le pus des bandages chirurgicaux, Miescher a découvert une substance qu'il ne connaissait pas, et il l'a appelée nucléine, parce qu'elle se trouvait dans le noyau des cellules. À l'époque, Miescher s'est juste contenté de constater son existence, mais la nucléine l'a manifestement marqué. 23 ans plus tard, dans une lettre à son oncle, Miescher a émis l'hypothèse que cette molécule pourrait être la force motrice cachée derrière l'hérédité. C'était une idée très perspicace, mais elle dépassait les exigences scientifiques de l'époque, et elle est donc passée complètement inaperçue.

Pendant la majeure partie du demi-siècle suivant, on a généralement pensé que cette substance, maintenant appelée acide désoxyribonucléique, ou ADN, jouait au mieux un rôle insignifiant dans l'hérédité. Elle était trop simple, elle se composait principalement de quatre substances de base appelées nucléotides. C'est comme un alphabet avec seulement quatre lettres. Comment pourrais-tu écrire l'histoire de la vie avec seulement quatre lettres ? (La réponse est en grande partie analogue à la façon dont tu utilises les points et les traits du code Morse, en les enchaînant, pour écrire un télégramme complexe.) Pour autant qu'on le sache, l'ADN ne fait rien. Il reste juste tranquillement dans le noyau des cellules. Il peut d'une manière ou d'une autre maintenir les chromosomes en place, ou ajouter un peu d'acidité sur commande, ou accomplir d'autres tâches insignifiantes inconnues. On pensait que les choses complexes devaient se trouver dans les protéines.

Bon, en fait, si on oubliait le rôle de l'ADN, ça posait quand même deux problèmes. D'abord, il y en avait tellement, de l'ADN, près de 2 mètres dans presque chaque noyau de cellule, que ça semblait indiquer qu'il jouait un rôle non négligeable dans la cellule. Et puis, surtout, il apparaissait sans cesse dans les expériences, un peu comme un suspect dans une mystérieuse affaire de meurtre, quoi. En particulier dans deux études, l'une sur le pneumocoque et l'autre sur le bactériophage (un virus bactérien infectieux), le rôle important de l'ADN suggérait que son rôle était largement sous-estimé. Les expériences ont montré que l'ADN jouait un rôle dans la fabrication des protéines, tu vois, qui sont essentielles à la vie, mais on savait aussi très bien que les protéines étaient fabriquées à l'extérieur du noyau de la cellule, loin de l'ADN, qui était censé avoir une influence sur leur agrégation.

Personne n'arrivait à comprendre comment l'ADN pouvait transmettre des informations aux protéines. On sait maintenant que c'est l'ARN, ou acide ribonucléique, qui joue un rôle de traduction entre les deux. L'ADN et les protéines ne parlent pas la même langue. C'est une bizarrerie remarquable de la biologie. Pendant près de 4 milliards d'années, ils ont joué des rôles cruciaux dans le monde vivant, pourtant ils utilisaient chacun des codes incompatibles. C'est comme si l'un parlait espagnol et l'autre hindi. Pour communiquer, ils ont besoin d'un intermédiaire, et cet intermédiaire, c'est l'ARN. À l'aide d'une substance chimique ribosomique, l'ARN traduit les informations de l'ADN dans la cellule dans une forme que les protéines peuvent comprendre, et les utilise comme instructions pour leur action.

Bon, mais au début du 20e siècle, tu vois, quand on reprend notre histoire, on est encore loin de comprendre ça, et presque tout ce qui touche aux phénomènes obscurs de l'hérédité.

Évidemment, y'avait besoin d'une expérience géniale, vraiment inspirée. Et puis, heureusement, à ce moment-là, y'a un jeune homme talentueux et travailleur qui est arrivé, pile poil pour ça. Il s'appelait Thomas Hunt Morgan. En 1904, seulement quatre ans après la redécouverte opportune des expériences sur les petits pois de Mendel, tu vois, il s'est mis à étudier les chromosomes, et il faudra encore attendre près de 10 ans avant que le mot "gène" ne soit inventé.

Les chromosomes, en fait, ils ont été découverts par hasard en 1888. Ils ont été nommés ainsi parce qu'ils se colorent facilement, et qu'on peut donc facilement les voir au microscope. Au début du siècle, tu vois, on avait l'impression qu'ils jouaient un rôle dans la transmission de certaines caractéristiques, mais personne ne savait comment ils fonctionnaient. Y'en avait même qui doutaient qu'ils fonctionnent vraiment.

Morgan a choisi un petit insecte, la drosophile melanogaster, comme sujet d'expérience. On l'appelle plus communément la mouche des fruits (ou mouche du vinaigre, mouche de la banane, mouche des poubelles, tu vois). Cette mouche est fragile, incolore, commune dans la vie de tous les jours, et elle semble toujours se jeter avec impatience dans nos boissons. Comme échantillon d'expérience, cette mouche a des avantages incomparables. Elle prend très peu de place. Elle a presque pas besoin de nourriture. On peut facilement en cultiver des millions dans des bouteilles de lait. Et puis, elle passe de l'œuf à l'adulte en seulement 10 jours environ. Et puis, elle n'a que quatre paires de chromosomes, ce qui facilite beaucoup les expériences.

Dans un petit laboratoire du bâtiment Schermerhorn de l'université Columbia à New York (qui a fini par être surnommé "la pièce aux mouches"), Morgan et ses compagnons ont cultivé et croisé avec soin des millions de mouches des fruits (un biologiste a dit des milliards, mais c'est peut-être un peu exagéré). Chacune d'entre elles devait être attrapée avec une pince à épiler, puis observée à la loupe de joaillier pour détecter la moindre variation génétique. Pendant six ans, ils ont essayé toutes sortes de méthodes pour créer des mutants, tu vois. Ils ont irradié les mouches avec des rayons X, les ont cultivées dans la lumière vive ou dans l'obscurité, les ont fait cuire doucement dans un four, les ont secouées violemment dans une centrifugeuse, mais tout ça ne marchait pas. Morgan était presque prêt à abandonner tous ses efforts. Et puis, soudain, une variante particulière est apparue sans cesse, une mouche avait les yeux blancs, alors que les mouches ont généralement les yeux rouges. Avec cette percée, Morgan et ses assistants ont redoublé d'efforts, tu vois, et ont cultivé des individus mutants utiles, ce qui leur a permis de suivre une caractéristique dans leur descendance. Ainsi, ils ont étudié la relation entre des caractéristiques spécifiques et un chromosome particulier, ce qui a permis de prouver d'une manière satisfaisante le rôle essentiel des chromosomes dans le processus d'hérédité.

Bon, mais au niveau de complexité biologique suivant, le problème restait entier. Ces gènes mystérieux, et l'ADN qui les compose, étaient très difficiles à décomposer et à étudier. Fin 1933, quand Morgan a reçu le prix Nobel, de nombreux chercheurs doutaient encore de l'existence même des gènes. Comme Morgan l'a souligné à l'époque, "il est difficile de se mettre d'accord sur ce que sont les gènes, s'ils sont réels ou purement imaginaires". Il est peut-être surprenant que les scientifiques aient si longtemps hésité à admettre la réalité d'une chose qui joue un rôle si essentiel dans l'activité cellulaire. Dans "Biologie : la science de la vie" (un manuel universitaire très précieux et très lisible), Wallace, King et Sanders soulignent qu'aujourd'hui, on est à peu près dans la même situation pour les activités mentales comme la pensée et la mémoire. Incontestablement, on sait qu'on les a, mais on ne sait pas sous quelle forme concrète elles existent, si tant est qu'elles existent. Pendant longtemps, c'était pareil pour les gènes. Pour les contemporains de Morgan, tu vois, l'idée qu'on pouvait prélever un gène sur soi et l'étudier était aussi absurde que si quelqu'un pensait aujourd'hui que les scientifiques peuvent se saisir d'un faisceau de pensées et l'examiner au microscope.

À l'époque, on pouvait être sûr que quelque chose de lié aux chromosomes régissait la reproduction cellulaire. En 1944, à l'institut Rockefeller de Manhattan, une équipe de recherche dirigée par un scientifique canadien talentueux mais timide, Oswald Avery, après 15 ans d'efforts, a finalement réussi une expérience extrêmement délicate. Ils ont mélangé une souche de bactéries non pathogène avec différentes natures d'ADN, et ont rendu cette souche bactérienne définitivement contagieuse, prouvant ainsi que l'ADN n'est pas du tout une molécule inerte, mais presque certainement un vecteur d'information très actif dans le processus d'hérédité. Le biochimiste d'origine autrichienne Erwin Chargaff a souligné plus tard, avec gravité, que la découverte d'Avery méritait deux prix Nobel.

Malheureusement, Avery s'est heurté à l'opposition d'un collègue de l'institut, un certain Alfred Mirsky, un chercheur sur les protéines obstiné, désagréable et fanatique, qui a utilisé le pouvoir qu'il avait pour dénigrer les travaux d'Avery. On dit même qu'il a fortement conseillé aux autorités de l'institut Karolinska de Stockholm de ne pas décerner le prix Nobel à Avery. Avery, qui avait alors 66 ans et était fatigué physiquement et moralement, n'a pas supporté la pression du travail et les incessantes discussions, a démissionné et n'a plus jamais fait de recherche. Bon, ceci dit, d'autres recherches ont pleinement confirmé les conclusions d'Avery. Et puis, très vite, une course pour élucider la structure de l'ADN a commencé.

Si tu avais fait un pari au début des années 50 sur qui allait gagner cette course pour déchiffrer la structure de l'ADN, tu aurais presque certainement misé sur le premier chimiste américain, Linus Pauling, de l'institut de technologie de Californie. Pauling était un génie incomparable dans l'étude de la structure moléculaire, et il était aussi l'un des pionniers de la cristallographie aux rayons X, une technique qui a joué un rôle essentiel dans le déchiffrage du noyau de l'ADN. Pauling a eu une vie riche en succès. Il a reçu deux prix Nobel (en chimie en 1954, et en paix en 1962). Bon, mais dans la recherche sur l'ADN, comme il a cru à tort que sa structure était une hélice à trois brins, et pas à deux brins, ses recherches ne sont jamais parties sur les bonnes bases, et c'est donc un groupe de quatre scientifiques anglais qui a finalement remporté la couronne de la victoire. Ces quatre scientifiques ne formaient pas une équipe, ils s'ignoraient souvent, et ils étaient en grande partie des novices dans ce domaine.

Celui des quatre qu'on peut considérer comme un concepteur ordinaire, c'est Maurice Wilkins, qui a passé une grande partie de la Seconde Guerre mondiale dans une pièce secrète pour aider à concevoir la bombe atomique. À la même époque, deux autres d'entre eux, Rosalind Franklin et Francis Crick, travaillaient pour le gouvernement britannique, le premier sur les mines, le second sur les explosifs.

Le plus atypique des quatre scientifiques, c'était James Watson, un Américain qu'on peut qualifier de génie. Quand il était petit, il était membre de l'émission de radio à succès "Quiz Kids" (on peut dire qu'il s'est au moins en partie inspiré des membres de la famille Glass, dans "Franny et Zooey" de J.D. Salinger, et dans d'autres ouvrages). Il est entré à l'université de Chicago à 15 ans, et il a obtenu un doctorat à 22 ans. À l'époque, il travaillait au célèbre laboratoire Cavendish de l'université de Cambridge. En 1951, il avait à peine 23 ans, il avait des cheveux en bataille, et sur les photos, on a l'impression qu'il est tiré par un puissant aimant hors du cadre.

Crick avait 12 ans de plus, et il n'avait pas encore obtenu son doctorat. Ses cheveux étaient moins en bataille, mais un peu plus raides. Selon la description de Watson, c'était un vantard, bruyant, il aimait discuter, il cherchait à imposer son point de vue, et on le rappelait à l'ordre tous les trois jours. Aucun des deux n'avait reçu de formation en biochimie.

Leur idée, c'était que si on pouvait déterminer la forme moléculaire de l'ADN, on pourrait comprendre, et ça s'est avéré juste après, comment il accomplit tout ce qu'il fait. Ils semblaient espérer qu'ils auraient à faire le moins d'efforts possible, qu'ils atteindraient leur but en faisant seulement le travail absolument nécessaire. Comme Watson l'a dit dans son autobiographie "La Double Hélice", avec enthousiasme (et peut-être un peu d'auto-suffisance), "J'espère résoudre les problèmes génétiques sans apprendre quoi que ce soit en chimie". En fait, ils n'avaient pas été désignés pour travailler sur l'ADN, et on leur a même ordonné, pendant un certain temps, d'arrêter le travail qu'ils avaient déjà commencé en secret. Pour tromper leur monde, Watson prétendait faire des recherches en cristallographie, et Crick prétendait rédiger une thèse sur la diffraction des rayons X de grandes molécules.

Dans le récit général de l'élucidation du mystère de l'ADN, Crick et Watson ont presque gagné tout le mérite, mais leur percée s'est surtout basée sur les résultats de leurs concurrents, et, comme l'a dit l'historienne Lisa Jardine, ces résultats ont été obtenus par "hasard", du moins au début. Wilkins et Franklin, de King's College à Londres, étaient déjà loin devant.

Wilkins est né en Nouvelle-Zélande, et c'était quelqu'un de solitaire, qui ne se montrait presque jamais. En 1962, il a partagé le prix Nobel avec Crick et Watson pour l'élucidation de la structure de l'ADN. Bon, ceci dit, en 1998, un documentaire de la chaîne de télévision publique américaine PBS, sur le déchiffrage de la structure de l'ADN, ne mentionne pas du tout sa contribution.

Parmi ces personnes, Franklin était la plus mystérieuse. Dans le livre de Watson, "La Double Hélice", il la décrit avec des mots presque sévères, comme une femme incompréhensible, qui se mure dans le silence, qui ne coopère pas, et qui ne cherche pas à être féminine, ce qui semble particulièrement le déranger. Il pensait qu'elle "n'était pas sans charme, et qu'elle serait même plutôt jolie si elle faisait un peu plus attention à ses vêtements". Mais Franklin décevait tout le monde sur ce point. Elle ne mettait même pas de rouge à lèvres, ce que Watson trouvait incompréhensible. Et puis, ses vêtements "étaient tout à fait dans le style d'une jeune femme talentueuse anglaise". (Note : en 1968, la maison d'édition universitaire de Harvard a arrêté la publication du livre "La Double Hélice", parce que Crick et Wilkins se plaignaient de la description des personnages qui était trop acerbe. L'historienne des sciences Lisa Jardine a décrit ça comme une "blessure gratuite". La description ci-dessus, c'est Watson qui a adouci ses propos.)

Ceci dit, dans la recherche pour déchiffrer la structure de l'ADN, Franklin a obtenu les meilleures images par diffraction des rayons X. Cette technique a été perfectionnée par Linus Pauling, et elle a été utilisée avec succès pour l'étude des diagrammes atomiques des cristaux (c'est pour ça qu'elle s'appelle "cristallographie"), mais les molécules d'ADN étaient des objets encore plus insaisissables. C'est Franklin qui a obtenu les bons résultats dans ce processus, et ce qui a rendu Watson furieux, c'est qu'elle a refusé de partager ses résultats avec les autres.

On peut pas tout à fait lui reprocher, à Franklin, de ne pas avoir partagé ses résultats avec enthousiasme. Dans les années 50, au King's College, les chercheuses étaient étouffées par un préjugé qui rendait impossible aux personnes modernes (en fait, à n'importe qui de bienveillant) de le supporter. Quel que soit leur poste, quels que soient leurs résultats, elles n'étaient pas autorisées à entrer dans le salon supérieur du collège, et elles devaient même déjeuner dans une pièce sordide, que Watson lui-même reconnaît comme un endroit "sombre et étroit". Et puis, surtout, elle subissait souvent d'énormes pressions, et parfois des harcèlements constants, pour qu'elle partage ses résultats de recherche avec trois hommes. Ces trois hommes étaient impatients de connaître ses résultats, mais ils faisaient rarement preuve de qualités sympathiques comme le respect. Même Crick a admis après coup : "Je crois qu'on a toujours été, comment dire ? Hautains avec elle". Deux d'entre eux venaient d'instituts concurrents du King's College, et l'autre était en quelque sorte ouvertement de leur côté. Il n'est donc pas étonnant que Franklin ait enfermé ses résultats dans un tiroir.

Wilkins et Franklin ne s'entendaient pas, et Watson et Crick semblent avoir exploité ça à leur avantage. Même si Crick et Watson empiétaient sans vergogne sur le territoire de Wilkins, Wilkins s'est de plus en plus rangé de leur côté, ce qui n'est pas tout à fait étonnant non plus, parce que le comportement de Franklin était devenu bizarre. Même si les recherches de Franklin montraient que la structure de l'ADN était sans aucun doute hélicoïdale, elle a insisté pour dire le contraire. Au grand choc et à la grande gêne de Wilkins, à l'été 1952, Franklin a affiché un avis près du département de physique du King's College, dans lequel elle disait avec un ton sarcastique : "Nous avons le regret d'annoncer que l'hélice de l'ADN est décédée le vendredi 18 juillet 1952... Nous espérons que le Dr M.H.F. Wilkins prononcera un éloge funèbre pour la défunte double hélice".

Conséquence : en janvier 1953, Wilkins a montré à Watson des photos de diffraction des rayons X de la structure de l'ADN de Franklin, et il l'a fait "manifestement sans prévenir Franklin ni obtenir sa permission". Dire que ça l'a beaucoup aidé, c'est un euphémisme. Des années plus tard, Watson a reconnu que c'était "un événement décisif... ça nous a énormément encouragés". Grâce à la connaissance de la forme de base de la molécule d'ADN et d'autres données importantes, Watson et Crick ont accéléré le rythme de leur travail, et tout a semblé aller de soi. Une fois, Pauling est allé en Angleterre pour participer à une conférence. Il aurait pu rencontrer Watson pendant la conférence, et apprendre de lui des choses qui lui auraient permis de corriger ses erreurs, qui l'avaient conduit sur une mauvaise voie dans la recherche sur la structure de l'ADN. C'était l'époque du maccarthysme. Les libéraux comme lui n'étaient pas autorisés à aller à l'étranger. Pauling a donc été retenu à l'aéroport d'Edward à New York, et son passeport lui a été confisqué. En comparaison, Crick et Watson étaient beaucoup plus à l'aise et avaient beaucoup plus de chance, parce que le fils de Pauling travaillait aussi au laboratoire Cavendish, et ce garçon naïf leur a communiqué en temps voulu les succès et les échecs de son père dans ses recherches.

Watson et Crick, qui risquaient encore d'être dépassés à tout moment, se sont mis à travailler sur le problème avec acharnement. On savait à l'époque que l'ADN contenait quatre composants chimiques, l'adénine, la guanine, la cytosine et la thymine, et ces quatre composants étaient toujours disposés par paires de manière particulière. Watson et Crick ont découpé des morceaux de carton en forme de molécule et les ont manipulés, et ont fini par comprendre comment ils s'emboîtaient. Sur cette base, ils ont construit un modèle de la double hélice de l'ADN, peut-être le modèle le plus célèbre de l'histoire des sciences contemporaines. Il était composé de feuilles de métal assemblées par des boulons en forme d'hélice. Ils ont invité Wilkins, Franklin et tous les autres à venir le voir. Tous les connaisseurs ont tout de suite compris qu'ils avaient résolu le problème. C'était sans aucun doute un travail de détective formidable, qu'on ait fait de la publicité ou pas pour l'image de Franklin.

Le 25 avril 1953, la revue "Nature" a publié un article de 900 mots de Watson et Crick, intitulé "Une structure pour l'acide désoxyribonucléique". Dans le même numéro de la revue, il y avait aussi deux articles écrits respectivement par Wilkins et Franklin. C'était une époque riche en événements (Edmund Hillary s'apprêtait à gravir l'Everest, Elizabeth II était sur le point d'être couronnée reine d'Angleterre), et la découverte du mystère de la vie a donc été en grande partie ignorée. Elle n'a été que brièvement mentionnée dans le "News Chronicle", et n'a pas attiré l'attention ailleurs.

Rosalind Franklin n'a pas partagé le prix Nobel. Elle est morte d'un cancer de l'ovaire en 1958, quatre ans avant que le prix Nobel ne soit décerné. Elle n'avait que 37 ans, et elle a presque certainement attrapé ce cancer à cause d'une exposition prolongée aux rayons X pendant son travail, ce qu'on aurait pu éviter. Dans une biographie de Franklin très bien accueillie, publiée en 2002, Brenda Maddox dit que Franklin portait rarement des vêtements de protection contre les radiations, et qu'elle se mettait souvent avec désinvolture devant les rayons X. Oswald Avery n'a pas reçu le prix Nobel non plus, et il a été en grande partie oublié par la postérité. Bon, il a au moins eu la satisfaction, avant de mourir, de voir que sa découverte était confirmée. Il est mort en 1955.

La découverte de Watson et Crick n'a été définitivement confirmée qu'en fait dans les années 80. Comme Crick l'a dit dans un de ses livres : "Il a fallu 25 ans pour que notre modèle d'ADN passe du statut de modèle qui semble raisonnable, à un modèle qui semble très raisonnable... puis à un modèle qui s'est finalement avéré tout à fait correct".

Malgré tout, avec la connaissance de la structure de l'ADN, la recherche en génétique a progressé à pas de géant. En 1968, la revue "Science" a osé publier un article intitulé "La biologie, c'est la biologie moléculaire", et considérait que la recherche en génétique était presque terminée, ce qui semblait peu probable, mais c'était bien comme ça que c'était vu.

Bon, en fait, c'était bien sûr que le début. Même aujourd'hui, y'a beaucoup de mystères qui restent autour de l'ADN. Par exemple, pourquoi y'a autant d'ADN qui ne semble rien faire ? 97% de ton ADN est constitué d'une grande quantité de déchets qui n'ont aucun sens, ou d'ADN non codant, comme les biochimistes aiment l'appeler. Dans chaque partie, tu trouves seulement des segments qui jouent un rôle de contrôle et d'organisation. Ce sont des gènes bizarres, insaisissables.

Un gène, c'est juste (mais alors vraiment juste) une instruction pour fabriquer une protéine. Ils font ce travail de leur mieux. Dans ce sens, ils ressemblent aux touches d'un piano. Chaque touche ne peut jouer qu'une seule note, c'est tout, ce qui est un peu monotone. Ceci dit, en combinant tous les gènes, comme tu combines toutes les touches, tu peux, pour continuer la métaphore, jouer une magnifique symphonie de la vie. C'est ça, le génome humain.

Le génome, pour le dire simplement, c'est une sorte de manuel d'instructions du corps. De ce point de vue, on peut imaginer les chromosomes comme des chapitres d'un livre, et les gènes comme des instructions individuelles pour fabriquer des protéines. Les mots écrits dans les instructions s'appellent des codons, et les lettres dans les mots s'appellent des bases. Les bases, les lettres de l'alphabet des gènes, sont composées des quatre nucléotides dont on a parlé tout à l'heure, l'adénine, la guanine, la cytosine et la thymine. Même si leur rôle est extrêmement important, ces substances ne sont pas composées de choses rares. Par exemple, la guanine a été nommée ainsi parce qu'elle est présente en grande quantité dans les excréments d'oiseaux.

Comme tout le monde le sait, la forme des molécules d'ADN ressemble à un escalier en colimaçon, ou une échelle de corde tordue. C'est la fameuse structure de la double hélice. Les piliers de cette structure sont composés d'un sucre appelé désoxyribose, et toute la double hélice est un acide nucléique, c'est pour ça qu'on l'appelle "acide désoxyribonucléique". Les traverses (ou les marches) sont formées de deux bases reliées par le milieu. Elles se mettent par paires de deux manières seulement. L'adénine s'associe toujours à la thymine, et la guanine s'associe toujours à la cytosine. Quand tu montes et que tu descends l'échelle, l'ordre dans lequel ces lettres sont disposées forme le code de l'ADN. Enregistrer ces codes, ça a été tout le travail du "Projet génome humain".

Et puis, ce qu'il faut dire, c'est que l'ADN est génial dans sa façon de se reproduire. Quand il faut produire une nouvelle molécule d'ADN, les deux brins simples se séparent par le milieu, comme la fermeture éclair d'une veste, et chaque moitié du brin simple s'en va, et forme une nouvelle association. Comme chaque nucléotide d'un brin simple s'associe à un autre nucléotide spécifique, chaque brin simple devient le modèle pour créer un nouveau brin qui s'associe à lui. Si tu as seulement un brin simple de ton ADN, grâce à l'association nécessaire, tu peux facilement reconstruire l'autre brin simple qui s'associe à lui. Si la première marche d'un brin simple est constituée de guanine, tu sauras que la première marche de l'autre brin qui s'associe à lui est forcément de la cytosine. Si tu descends les marches formées de toutes les paires de nucléotides, à la fin, tu obtiendras le code d'une nouvelle molécule. C'est ce qui se passe dans la nature, sauf que tout ça se fait très rapidement, en seulement quelques secondes, c'est incroyablement rapide !

Dans la plupart des cas, notre ADN se reproduit de manière extrêmement précise, mais, très rarement, environ une fois sur un million, une lettre (une base) se met au mauvais endroit. Ça s'appelle un polymorphisme nucléotidique simple (SNP), ou "Snip", comme les biochimistes aiment l'appeler. Généralement, ces Snips sont enfouis dans des brins d'ADN non codants, et ils n'ont pas d'effet notable sur le corps. Mais parfois, ils agissent, et peuvent te rendre plus

Go Back Print Chapter