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Calculating...

Alors, euh, voilà. On va parler d'un truc assez... profond, disons. Un truc qu'on pourrait appeler l'illusion de l'individualisme, hein. On pense, souvent, qu'on est des entités séparées, qu'on contrôle notre propre destin, voyez?

Mais en fait, c'est... c'est pas si simple. Y'a l'histoire de Motoo Kimura, par exemple, qui a échappé de justesse à la bombe atomique. Une sacrée chance, hein? Mais bon, chacun de nous a des moments clés, des rencontres, des décisions qui changent tout. Un coup de volant pour éviter un accident, un appart qu'on rate mais qui nous mène à mieux... Ces moments, ils sont... marquants parce qu'on se dit "ah ouais, si j'avais pas fait ça...".

Sauf que, la plupart du temps, on se dit que c'est des exceptions, que c'est rare. On a l'impression qu'on bâtit notre vie avec des choix conscients, réfléchis. On demande des conseils, mais jamais pour des choses qu'on ne contrôle pas, quoi. Personne ne cherche un manuel pour éviter une météorite, hein! On se dit que si on prend les bonnes décisions, tout ira bien. On regarde les TED Talks, on lit des bouquins de développement personnel qui nous disent qu'on est la solution. Et ça marche, parce qu'on est dans une vision individualiste de la vie. On pense qu'on est les maîtres de notre destin.

De temps en temps, on a comme des aperçus de... de notre chemin qui croise celui des autres, un peu par hasard. On appelle ça la chance, la coïncidence, le destin. Mais on considère ça comme des anomalies. Quand tout va "normalement", la vie a un rythme prévisible qu'on pense pouvoir contrôler. Et puis, hop, une coïncidence bizarre, un détour inattendu... et on passe à autre chose, prêt à prendre la prochaine grande décision. C'est tellement courant comme façon de penser qu'on ne la remet même pas en question. C'est "comme ça que ça marche", quoi.

Sauf que... c'est un mensonge. C'est LE mensonge de notre époque, cette illusion d'individualisme. On s'accroche à cette idée comme à une bouée de sauvetage. Et puis, de temps en temps, une histoire qui nous montre à quel point c'est absurde de se croire isolé.

Y'a eu cette histoire, vous voyez, en été 2022, au large de la Grèce. Un touriste, Ivan, de Macédoine du Nord, est emporté par le courant. Ses amis alertent les secours, mais rien. On le déclare perdu en mer, présumé mort. Et puis, dix-huit heures plus tard, on le retrouve. Vivant! Miraculeusement. En fait, juste avant de couler, il a aperçu un ballon de foot qui flottait au loin. Il a nagé vers lui avec ses dernières forces, s'est accroché et a été sauvé.

Quand l'histoire est passée aux infos, une mère de famille a reconnu le ballon. Ses deux fils jouaient avec ce ballon dix jours plus tôt et l'un d'eux l'avait envoyé à la mer par accident. Le ballon a dérivé pendant 80 miles avant de croiser la route d'un nageur en train de se noyer. Les gamins avaient oublié cette histoire de ballon perdu. Et puis, ils ont réalisé que sans ce coup de pied malheureux, Ivan serait mort.

La vraie histoire de nos vies, elle est souvent écrite en marge, quoi. Les petits détails comptent. Les choix apparemment insignifiants de gens qu'on ne rencontrera jamais peuvent sceller notre destin. Sauf qu'on ne le voit pas aussi clairement qu'Ivan. L'erreur, c'est de penser qu'Ivan est une exception. Non! Ivan a juste eu un aperçu de ce qui se passe tout le temps autour de nous. Sauf qu'on est aveuglé par cette vision individualiste qui nous fait croire qu'on est des unités indépendantes, responsables de notre propre vie.

La vie, c'est comme une tapisserie. Chaque moment est créé avec des fils qui viennent de loin. Si tu tires un fil, tu sens une résistance parce que tout est lié. Comme disait Martin Luther King Jr., "Nous sommes pris dans un réseau de mutualité inéluctable, liés dans un même vêtement de destin."

En 1814, un savant français, Pierre-Simon Laplace, se posait des questions sur cette interconnexion. Pourquoi on est si mauvais pour prédire l'avenir? Pourquoi les événements nous surprennent toujours? Est-ce qu'on peut comprendre comment le monde change pour mieux le contrôler?

Laplace s'appuyait sur les travaux d'Isaac Newton. Newton avait découvert des "lois" qui expliquaient le comportement des corps en mouvement. Avant Newton, on attribuait les changements et les catastrophes à des interventions divines. Newton a relégué ces dieux au placard. On n'avait plus besoin d'eux pour expliquer chaque petit changement. On avait juste besoin d'une puissance supérieure pour expliquer l'origine des lois de l'univers. Dieu a créé l'horloge, et les lois de Newton la font tourner.

Et c'est là que Laplace a eu une idée. Si on vit dans un univers comme une horloge, régi par des lois rigides, alors comprendre les mécanismes de l'horloge devrait nous permettre de prédire l'avenir avec une précision absolue. On pourrait voir le futur aussi clairement que le présent. Il nous faudrait juste les bons outils. Après tout, avant la révolution scientifique, prédire la trajectoire d'une bille de billard aurait semblé de la magie. Avec les lois de Newton, les équations des maths et de la physique nous donnaient ce pouvoir, de voir l'avenir. Alors, est-ce qu'on pourrait transformer tout l'univers en quelque chose de prévisible?

Laplace pensait que chaque événement, chaque souffle de vent, chaque molécule, est régi par un ensemble de règles scientifiques: les lois de Newton. Donc, si tu veux prédire si quelqu'un va mettre une bille dans le trou au billard, il faut connaître les principes de la physique newtonienne, le poids de la bille, la force et l'angle utilisés pour la frapper, mais aussi les détails apparemment insignifiants: la température de la pièce, le souffle d'air de la porte ouverte, les traces de craie sur la queue. Si tu as toutes ces infos, jusqu'au niveau des atomes dans la bille et les molécules d'air, Laplace pensait qu'on pourrait prédire où la bille va finir avec une précision parfaite. Et là, il a eu une idée radicale: et si les humains étaient comme des billes de billard, nos vies qui se heurtent, mais en suivant les mêmes lois de la nature?

Laplace a imaginé une créature surnaturelle, qu'on appelle maintenant le démon de Laplace, avec une intelligence omnisciente. Il n'aurait pas le pouvoir de changer quoi que ce soit, mais il pourrait connaître, avec une précision absolue, chaque détail de chaque atome de l'univers, des molécules de chaque grain de sable aux bactéries dans l'intestin d'un tatou. Si cette créature existait, Laplace disait que "pour un tel intellect, rien ne serait incertain et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux." En d'autres termes, avec une information parfaite, le démon verrait la réalité à travers le temps et l'espace comme un puzzle résolu. Il comprendrait pourquoi tout arrive et pourrait donc savoir ce qui va se passer. Le ballon de foot a surpris Ivan, mais le démon de Laplace, qui pourrait voir clairement comment tout s'imbrique dans le passé, le présent et le futur, saurait que le ballon arrive quand Ivan commence à paniquer. Pour le démon, le monde n'aurait aucun mystère.

D'autres scientifiques et philosophes rejettent cette vision d'un monde comme une horloge. Ils disent que les mystères de l'univers sont inconnaissables, que nos vies pourraient être différentes, que le futur restera toujours énigmatique, quelle que soit la technologie, quels que soient les démons omniscients qu'on peut imaginer. Ce n'est pas qu'on ne sait pas. C'est qu'on ne peut pas savoir.

Alors, qui a raison? Est-ce qu'on vit dans un univers comme une horloge ou dans un univers incertain?

Y'a un gars, Edward Norton Lorenz, qui nous a rapprochés de la réponse il y a... quelque temps. Il s'intéressait à la météo depuis l'enfance, mais il avait mis ça de côté pour étudier les maths. Et puis, la Seconde Guerre mondiale a éclaté. L'armée avait besoin de tout le monde, y compris des matheux. Et là, par hasard, Lorenz tombe sur une annonce pour l'unité de prévision météo de l'armée. Il s'engage. Il est formé aux systèmes météorologiques et envoyé dans le Pacifique, où il est chargé de prévoir la couverture nuageuse pour les bombardements.

Même avec les meilleurs cerveaux et le meilleur matériel, la météo dans les années 40, c'était du pif. Après la guerre, Lorenz a tiré des leçons de ces systèmes météo imprévisibles et a décidé de tester des vérités plus larges sur les causes des événements. Dans les années 60, les ordinateurs étaient encore rudimentaires, donc il était impossible de simuler les systèmes météo du monde réel. Mais Lorenz a créé un monde miniature simplifié sur son ordinateur. Au lieu des millions de variables qui affectent la météo dans le monde réel, son modèle n'avait que douze variables simples, comme la température et la vitesse du vent. Dans cet univers digital primitif, Lorenz jouait le rôle du démon de Laplace: il pouvait toujours connaître les mesures exactes de tout dans son monde imaginaire. Est-ce qu'il pourrait, comme le démon, utiliser cette connaissance précise pour voir l'avenir?

Un jour, Lorenz a décidé de relancer une simulation. Pour gagner du temps, il a décidé de reprendre en milieu de parcours, en entrant les données d'un instantané antérieur. Il pensait que tant qu'il remettrait la vitesse du vent et la température aux mêmes niveaux, les schémas météo se répéteraient, comme avant. Mêmes conditions, mêmes résultats.

Sauf qu'il s'est passé un truc bizarre. Même si Lorenz avait tout remis comme avant, la météo qui est apparue dans sa simulation relancée était différente à tous points de vue. Il devait y avoir une erreur, s'est-il dit. Pas d'autre explication. Et puis, après avoir épluché les données, il a compris ce qui s'était passé. Les imprimantes de son ordinateur arrondissaient les données à trois décimales. Par exemple, si la vitesse exacte du vent était de 3,506127 miles par heure, l'imprimante affichait 3,506 miles par heure. Quand il a remis ces valeurs légèrement tronquées dans la simulation, il était toujours décalé d'un tout petit peu (dans ce cas, juste 0,000127 miles par heure). Ces altérations apparemment insignifiantes, ces minuscules erreurs d'arrondi, produisaient des changements majeurs.

Et c'est là que Lorenz a eu une révélation qui a ébranlé les fondations de notre compréhension du monde. Même dans un univers comme une horloge avec des conditions contrôlées, des changements minuscules peuvent faire une énorme différence. Juste en augmentant la température d'un millionième de degré ou en diminuant la pression atmosphérique d'un trillionième de bar, la météo deux mois plus tard pouvait passer d'un ciel bleu clair à une pluie torrentielle, voire un ouragan. Les découvertes de Lorenz ont créé le concept de l'effet papillon, l'idée qu'un papillon qui bat des ailes au Brésil peut déclencher une tornade au Texas.

Lorenz avait involontairement donné naissance à la théorie du chaos. La leçon était claire: si le démon de Laplace pouvait exister, ses mesures devraient être parfaites. S'il était décalé d'un seul atome, ses prédictions deviendraient, avec le temps, complètement fausses. On sait maintenant que de nombreux systèmes sont chaotiques, tellement sensibles aux détails de leurs conditions initiales que, même s'ils suivent une logique d'horlogerie, ils sont impossibles à prédire. Encore aujourd'hui, avec les meilleurs superordinateurs à notre disposition, nos prévisions météo sont peu fiables, et les météorologues se donnent rarement la peine d'essayer de prédire au-delà d'une semaine ou deux. Des différences microscopiques peuvent entraîner de grands changements. Sherlock Holmes disait: "J'ai toujours pensé que les petites choses sont infiniment les plus importantes." La théorie du chaos a prouvé que Holmes avait raison.

Comme de petits changements peuvent faire une si grande différence, l'univers nous paraîtra toujours incertain, voire aléatoire. Quels que soient les progrès technologiques que nous ferons, les humains ne deviendront jamais le démon de Laplace. S'il existe un univers comme une horloge qui tourne derrière tout ce que nous voyons et vivons, nous ne le comprendrons jamais complètement.

La théorie du chaos a changé notre façon de comprendre le monde. Mais la découverte de Lorenz soulève aussi des questions troublantes sur notre propre existence. Si un changement infinitésimal de la vitesse du vent peut créer des tempêtes quelques mois plus tard, qu'en est-il de votre décision de sauter du lit un mardi matin plutôt que d'appuyer sur le bouton snooze? Est-ce que nos vies sont régies par des choix insignifiants et des malheurs ou des coups de chance apparemment aléatoires? Et voilà la partie déroutante: si les plans de vacances d'Henry Stimson en 1926 peuvent affecter qui vivra ou mourra deux décennies plus tard, à des milliers de kilomètres de là, alors ce n'est peut-être pas seulement notre bouton snooze qui nous pose problème. Les boutons snooze et les choix apparemment insignifiants de 8 milliards d'autres personnes influencent aussi nos trajectoires de vie, même si nous ne le percevons pas.

Si vous regardez la réalité d'un peu plus près, vous réaliserez que nous sommes inextricablement liés les uns aux autres à travers le temps et l'espace. Dans un monde interconnecté comme le nôtre, tout ce que nous faisons compte parce que nos actions peuvent produire des tempêtes, ou les calmer, dans la vie des autres. Cela signifie que nous contrôlons beaucoup moins de notre monde que nous ne le pensons, parce que des événements cataclysmiques peuvent se développer sur la base d'interactions étranges et inattendues qui sont presque impossibles à prédire. C'est plus réconfortant de prétendre le contraire: que nous, en tant qu'individus, sommes responsables d'un monde ordonné et séparable. Alors, on fait comme si.

Quelles que soient les raisons pour lesquelles nous avons tendance à minimiser l'unité totale de notre monde et à tout diviser en cases bien rangées, l'interconnexion est la réalité. Elle régit tout. Le nôtre est un monde interconnecté. Une fois qu'on accepte cette existence enchevêtrée, il devient clair que le hasard, le chaos et les accidents arbitraires jouent un rôle démesuré dans les causes des événements. Dans un monde interconnecté, les coups de chance comptent. Il ne peut pas y avoir de véritable séparation entre "le signal" et "le bruit". Il n'y a pas de bruit. Le bruit de la vie d'une personne est le signal pour une autre, même quand on ne le détecte pas.

Ce même phénomène est vrai pour moi, descendant du mari d'une meurtrière atteinte de troubles mentaux, et c'est vrai pour vous, j'espère, d'une manière moins macabre. Chaque développement dans la vie pivote sur de petits détails contingents, à l'infini. On aimerait prétendre que ce n'est pas vrai, mais la réalité se fiche de ce qu'on pense. On surfe pour toujours sur les vagues des autres. Au large de la Grèce, Ivan a vécu cette vérité de manière assez littérale. Nous, on l'ignore la plupart du temps.

Ce qui est vrai pour les individus est aussi vrai pour les sociétés. Qu'est-ce qui explique ce que Nassim Nicholas Taleb appelle les Cygnes Noirs, ces événements importants, inattendus, aux conséquences majeures, qui nous surprennent dans notre autosatisfaction? Au cours des derniers siècles, le monde est devenu plus interconnecté, pas moins. Ce n'est pas une observation nouvelle, mais cela signifie que de petits changements, des accidents et des coups de chance peuvent aboutir à des Cygnes Noirs plus que jamais. Un volcan qui entre en éruption en Islande peut bloquer des millions de personnes. Un navire coincé dans le canal de Suez peut provoquer des perturbations dans la chaîne d'approvisionnement dans des dizaines de pays. Une personne infectée par un nouveau virus dans une ville en Chine peut tout paralyser, partout, en même temps. Le nôtre est un monde hyperconnecté.

Notre monde n'est pas seulement interconnecté, mais en constante évolution, même si nous ne le ressentons pas. Pendant que vous écoutez ça, vous changez. Vous vieillissez (d'une quantité minuscule, heureusement), mais les réseaux neuronaux de votre cerveau changent aussi imperceptiblement au fur et à mesure que vous percevez chaque mot. Surtout, même quand nous ne faisons apparemment rien de notable, des événements se produisent en dehors de notre environnement immédiat qui changeront notre vie dans le futur, même si nous ne le réalisons pas encore. Héraclite, le philosophe grec antique, disait à juste titre: "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, car ce n'est plus le même fleuve et ce n'est plus le même homme." À cela, Cratyle, un élève d'Héraclite, ajoutait que nous ne sommes pas de simples observateurs passifs. Quand vous entrez dans un fleuve, vous le changez. Rien n'est statique. Même des changements microscopiques s'additionnent avec le temps.

Les scientifiques, surtout ceux qui étudient les systèmes complexes, connaissent cette vérité depuis longtemps. Dans un système chaotique, comme ceux découverts par Lorenz, un petit changement dans n'importe quelle partie du système crée des effets imprévisibles dans tout le reste. Il est impossible pour ces scientifiques de ne pas voir l'évidence que rien n'est vraiment indépendant. Tout fait partie d'un tout unifié.

Un petit groupe d'humains a vécu cette vérité d'une manière plus viscérale que le reste d'entre nous: ceux qui ont vu la totalité de la Terre d'un seul coup, sur le fond noir de l'espace. Cette vue bouleverse les gens, réinitialisant leur vision du monde en un instant. Mais ces quelques astronautes chanceux qui ont aperçu cette vue de la planète entière n'étaient pas des esprits libres et sentimentaux, facilement influencés par la beauté. Au contraire, quand le programme spatial américain a commencé, la NASA a cherché des recrues potentielles en recherchant des pragmatiques rationnels et robotiques, ceux qui étaient le moins susceptibles d'être émus par l'émotion ou la crainte. La NASA craignait que ceux qui avaient les dispositions des philosophes et des poètes ne crashent un avion à un moment crucial, submergés par l'expérience.

Même si les astronautes ont été choisis en fonction de leur tempérament comparativement froid et insensible, ceux qui ont vu la Terre bleu-vert dans son intégralité ont été submergés par une épiphanie bouleversante. "C'était la vue la plus belle et la plus touchante de ma vie", a déclaré Frank Borman, qui commandait la mission Apollo 8. Edgar Mitchell, le pilote d'Apollo 14, était d'accord, notant que l'expérience lui avait procuré une "extase d'unité" et lui avait fait reconnaître la connexion ininterrompue de l'existence. En regardant par cette petite fenêtre, il lui est venu à l'esprit "que les molécules de mon corps et les molécules du vaisseau spatial lui-même ont été fabriquées il y a longtemps dans la fournaise de l'une des anciennes étoiles qui brûlaient dans les cieux autour de moi." Cette prise de conscience de l'unité est si courante et profonde pour ceux qui voient la Terre de l'extérieur qu'elle a un nom: l'effet de vue d'ensemble.

Nous restons coincés avec un champ de vision limité. Élargissez cette vue, comme l'ont fait les astronautes en regardant par les fenêtres de leur vaisseau spatial, et il devient immédiatement clair que l'individualisme est un mirage. La connexion nous définit.

Au début, un monde interconnecté semble terrifiant. Personne ne veut se faire dire qu'il n'a pas le contrôle, ou que la décision d'un étranger à l'autre bout du monde, ou une décision oubliée depuis longtemps dans le passé, pourrait nous tuer ou faire s'effondrer notre économie dans une récession paralysante. Que ça nous plaise ou non, c'est comme ça que le monde fonctionne. Même les décisions de ceux qui sont morts depuis longtemps continuent de compter. Vous ne seriez pas en train d'écouter ça si quatre enfants n'avaient pas été assassinés dans le Wisconsin en 1905.

Cette réalité, pour le meilleur et pour le pire, n'est pas terrifiante, mais merveilleuse, donnant à chaque instant de la vie un sens potentiellement caché. Elle inverse la vision individualiste du monde. Plutôt que d'avoir le contrôle de notre destin individuel quand nous prenons de grandes décisions, même nos plus petites décisions comptent, changeant le monde à jamais. Il y a une vérité scientifique dans les premières lignes du poème de William Blake "Auguries of Innocence": "Voir un Monde dans un Grain de Sable / Et un Ciel dans une Fleur Sauvage / Tenir l'Infini dans la paume de votre main / Et l'Éternité en une heure."

Il est temps d'ajuster la façon dont nous nous voyons dans le monde. Notre existence chaotique et interconnectée révèle un fait puissant et étonnant:

Nous ne contrôlons rien, mais nous influençons tout.

Peu reconnaissent ce fait étonnant parce que nous sommes bombardés de messages qui nous disent le contraire: individualiste, pas interconnecté. Le mythe d'un monde contrôlable que chacun de nous peut dompter est omniprésent, surtout dans la société occidentale moderne. Tout dans la culture moderne nous donne l'impression d'être le personnage principal, pliant le monde à nos caprices. Des adultes prétentieux diffusent en direct des griefs mineurs. Il y a trois fois plus d'enfants qui aspirent maintenant à être des stars de YouTube que des astronautes. Le rêve américain est l'illusion de l'individualisme sous stéroïdes. Tout dépend de nous! Si c'était vrai, alors nous pourrions ignorer les fluctuations et les vagues produites par les décisions d'autres personnes à travers le temps et l'espace. Mais alors, de temps en temps, les connexions cachées de la vie nous frappent sur la tête avec une histoire comme celle d'Ivan et du ballon de foot. Pendant un bref instant, il y a un accroc dérangeant dans le mythe de l'individualisme. Mais ensuite, nous haussons les épaules, passons à autre chose et continuons à vivre dans le mensonge.

La modernité occidentale, le système dominant de pensées et de croyances dans notre monde, a produit des mythes simplifiés pour expliquer comment le changement se produit dans nos vies et dans nos sociétés. La sagesse conventionnelle des individus séparés agissant de manière intentionnelle et indépendante est devenue si répandue que dire quelque chose comme "En fait, nous sommes tous complètement interconnectés dans un réseau causal unifié d'existence" fait passer pour un gourou New Age avec un livre de développement personnel, plutôt que pour quelqu'un proclamant un fait observable et empirique. (En science, ce sont souvent les physiciens théoriques qui embrassent et répandent le plus ce message.)

Nos idées fausses modernes réduisent la vaste complexité de la réalité, nous permettant de fourrer son désordre déroutant dans de petites cases ordonnées qui semblent plus gérables. Ces cases remplacent l'incertitude par la certitude, le chaos par l'ordre, la complexité désordonnée par une simplicité élégante, et un monde interconnecté et accidentel par un monde régi par des individus (pour la plupart) rationnels prenant des décisions indépendantes. Ces cases nous réconfortent. Les humains aiment les histoires simples, dans lesquelles X cause Y, pas dans lesquelles mille facteurs disparates se combinent pour causer Y. Nous nous concentrons sur de grands changements singuliers pour expliquer de grands événements, ignorant les petits grains de sable qui s'accumulent et créent des avalanches. Nous mettons même l'immensité de la nature dans sa propre petite case séparée, la traitant comme un endroit où nous allons faire de la randonnée plutôt que de nous voir, nous et la nature, comme des parties inséparables d'un tout unifié.

Notre langage reflète ces idées fausses. Comme l'a noté l'écrivain et philosophe Alan Watts, quand nous parlons de notre naissance, nous disons souvent que nous sommes entrés dans l'univers alors qu'en réalité nous en sommes sortis, un agrégat d'atomes qui se trouvent être réarrangés, heureusement et temporairement, en un être humain. Partout où vous regardez, les hypothèses erronées abondent, découlant de ce paradigme trompeur, surtout le mensonge selon lequel les minuscules fluctuations de la vie peuvent être ignorées en toute sécurité. Notre culture occidentale, qui accorde la priorité à l'individualisme plus que toutes les autres sociétés humaines dans l'histoire, a fait qu'il est facile d'ignorer les connexions étonnantes qui nous lient.

Tout le monde, dans le passé ou le présent, n'a pas adhéré à l'illusion de l'individualisme. Il existe une division fondamentale en philosophie, entre la vision atomistique et la vision relationnelle du monde. La vision atomistique soutient que notre nature individuelle est séparable, de la même manière qu'on peut décrire n'importe quel matériau dans l'univers en le subdivisant en atomes constitutifs. Étudiez les composants, pas la façon dont ils interagissent. Comme l'a dit la philosophe Elizabeth Wolgast, dans la pensée atomistique "les individus qui composent une société sont interchangeables comme des molécules dans un seau d'eau, la société n'étant qu'un simple agrégat d'individus." Les traditions philosophiques occidentales ont tendance à mettre l'accent sur l'atomisme.

La philosophie orientale a tendance à être dominée par la pensée relationnelle. Les connexions entre les composants au sein du système, plutôt que les composants eux-mêmes, sont les plus importantes. La vision relationnelle soutient que les individus ne peuvent être compris que comme faisant partie de quelque chose de plus grand, que nos identités sont définies socialement et contextuellement au sein de la nature comme faisant partie d'un tout plus vaste. Dans un état d'esprit relationnel, nous définissons nos identités en référence aux autres, que ce soit en tant que conjoint, mère ou comptable. Même si nous pensons à nous en termes atomistiques, nos vies sont définies de manière relationnelle. Les connexions et les relations entre les individus constituent la société. Personne ne se présente comme "un humain" à un cocktail.

D'où vient cette division entre la pensée orientale et occidentale? Certains ont soutenu que cela pourrait être en partie dû à un accident de l'histoire zoologique. Dans le livre de la Genèse, Dieu proclame: "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre." Dans cette vision d'un monde, les humains sont distincts du reste du monde naturel. Cela semblait vrai pour les habitants du Moyen-Orient et de l'Europe à l'époque de la naissance du christianisme. Les chameaux, les vaches, les chèvres, les souris et les chiens constituaient une grande partie du règne animal rencontré, une ménagerie vivante d'êtres qui sont assez différents de nous.

Dans de nombreuses cultures orientales, en revanche, les religions anciennes avaient tendance à mettre l'accent sur notre unité avec le monde naturel. Une théorie suggère que c'était en partie parce que les gens vivaient parmi les singes et les grands singes. Nous nous reconnaissions en eux. Comme le souligne le biologiste Roland Ennos, le mot orang-outan signifie même "homme de la forêt". L'hindouisme a Hanumen, un dieu singe. En Chine, le royaume de Chu vénérait les gibbons. Chez ces primates familiers, la théorie suggère qu'il est devenu impossible d'ignorer que nous faisions partie de la nature, et que la nature faisait partie de nous.

Quelles que soient ses origines, la division relationnelle et atomistique se reflète dans la religion. Les hindous se réfèrent au Brahman, le concept d'unité totale pour tout ce qui existe dans l'univers, par opposition à l'atman, ou âme individuelle, qui n'a que l'illusion de l'indépendance par rapport au tout. Dans les traditions Advaita Vedanta de la pensée hindoue, la véritable libération ne peut se produire que lorsqu'on reconnaît l'illusion du soi. Les hindous qualifient donc explicitement l'individualisme d'illusion. De même, les bouddhistes cherchent à atteindre un sentiment de "non-soi", l'inversion d'une vision individualiste du monde. De nombreuses cultures indigènes font écho à ces sentiments d'interconnexion plutôt que d'individualité. Par exemple, le peuple Rarámuri, qui vit dans les hauts plateaux de la Sierra Madre, utilise un concept appelé Iwfgara pour décrire "l'interconnexion et l'intégration totales de toute vie".

Les chrétiens avaient l'habitude de penser plus dans ce sens aussi. Les premiers chrétiens européens considéraient Dieu non pas comme séparé de la nature, mais comme faisant partie de celle-ci, "présent partout dans tout". Comme l'explique Karen Armstrong, auteure de A History of God, cela signifiait que Dieu n'était pas un être, mais l'être lui-même. Au moment des Lumières, la conception du divin avait changé. Dieu avait été transformé en un agent séparé, que Newton considérait comme un individu "très bien versé dans la mécanique et la géométrie".

Aujourd'hui, le christianisme moderne a tendance à donner la priorité au rôle d'un soi unique, tant dans la responsabilité morale individuelle que dans les prières demandant une intervention divine d'un Dieu singulier qui agit et est dépeint comme un individu. Dans certaines branches du protestantisme moderne, en particulier aux États-Unis, la "théologie de la prospérité" a même pris racine, dans laquelle la foi d'un individu, les dons à des causes religieuses et la pensée positive seront directement récompensés par Dieu. La richesse est au menu divin, mais c'est à vous, et à vous seul, de la commander.

Pour de nombreux chrétiens post-Lumières, les scripts de nos vies sont écrits au-dessus de nous par un seul auteur surnaturel, plutôt qu'autour de nous par une présence divine plus diffuse. Si Ivan a évité la noyade, ce n'est pas parce que nous vivons dans un monde imbriqué de fils entrelacés qui se sont trouvés produire un nœud salvateur, mais parce que Dieu, une divinité individuelle, lui a envoyé le ballon de foot pour le sauver dans le cadre d'un plan caché, plus vaste. C'est un changement crucial dans l'interprétation et le sens, renforçant une conception d'un monde qui est façonné par des décisions personnelles intentionnelles et séparables. L'identité culturelle américaine a été particulièrement influencée par cette perspective, car "l'éthique protestante du travail" suggère que chacun peut démontrer sa piété par son engagement envers le travail acharné, une vision du salut éternel qui est individualiste, de bout en bout.

Au fil du temps, l'individualisme a été renforcé parce que, dans la modernité, nous avons également perdu notre sens de la connexion avec le monde naturel. Nous nous voyons maintenant comme au-dessus, plutôt que comme faisant partie de, tout et tout le monde autour de nous. Les chasseurs-cueilleurs étaient bien plus ignorants que nous de la science et de la technologie, mais la plupart des gens ordinaires dans le passé lointain avaient des liens plus étroits avec la nature et ses secrets. Ils ne pouvaient pas parler à travers les océans ni voyager dans les cieux, mais leurs vies dépendaient d'une compréhension générale du monde. Nous, en revanche, avons une expertise approfondie, mais étroite. Malgré des milliers d'années d'innovations et d'avancées scientifiques époustouflantes, vous seriez plus susceptible de survivre si vous étiez naufragé sur une île tropicale avec un commerçant ou un fermier de la Rome antique ou de l'Angleterre médiévale qu'avec la plupart des professionnels modernes. ("Mais je maîtrise Word et Excel", protestez-vous.)

Les humains modernes maîtrisent une petite tranche du monde. Mais en coordonnant nos efforts et en assemblant ces tranches, nous avons débloqué un potentiel qui était auparavant inimaginable. C'est le grand triomphe du réductionnisme, dans lequel on suppose que les phénomènes complexes peuvent être mieux compris en les décomposant en leurs parties individuelles. Comprendre les parties, comprendre le système. Mais plus vous vous concentrez sur les systèmes comme des parties séparables, plus il est facile d'ignorer les connexions entrelacées. Le réductionnisme s'est avéré étonnamment utile. Il nous a aidés à réaliser des progrès scientifiques époustouflants. Mais nous nous sommes tellement concentrés sur ce qui est utile que nous avons oublié ce qui est vrai. Les connexions comptent autant, sinon plus, que les composants. Plus la science moderne met l'individualisme sous le microscope, moins il résiste à l'examen.

Même le concept scientifique de ce que signifie parler d'"un individu" est en train d'être révisé. Certains biologistes des systèmes, reconnaissant la nature interconnectée et interdépendante de notre existence, ont cessé de qualifier les humains d'individus et ont commencé à désigner chaque personne comme un holobionte, qui comprend un hôte central (dans notre cas, un humain) ainsi que le zoo d'organismes vivant dans ou autour de nous. Cela peut sembler étrange, mais nous ne sommes pas seulement nous-mêmes, mais plutôt une collection de cellules humaines combinées à nos micro-organismes associés, y compris les champignons, les bactéries, les archées et les virus. Les meilleures estimations suggèrent que nous avons environ 1,3 cellule bactérienne à l'intérieur de nous pour chaque cellule humaine. Comme l'a dit le biologiste Merlin Sheldrake, "Il y a plus de bactéries dans votre intestin que d'étoiles dans notre galaxie." De nouvelles preuves émergent que les virus affectent nos horloges biologiques, les parasites altèrent nos pensées et notre microbiome peut causer des troubles de l'humeur. Scientifiquement, nous n'avons jamais été singuliers, bien qu'il ait été impossible de le savoir jusqu'à tout récemment. L'état d'esprit individualiste, de contrôle indépendant et autoritaire sur un monde domptable, a moins de sens si nous savons que nos pensées sont en partie influencées par les minuscules organismes invisibles qui vivent en nous. Déroutant, mais vrai.

Cette façon de penser va à l'encontre de toutes les intuitions que nous avons. Mais feu Derek Parfit, l'un des philosophes les plus originaux des temps modernes, a imaginé un scénario hallucinant qui expose les hypothèses erronées que nous avons sur les individus facilement délimités. Imaginez que vous avez la plus petite paire de pinces au monde, si minuscule et précise qu'elle peut saisir une seule cellule humaine à la fois. Vous entrez dans une salle d'opération aux côtés, disons, de Madonna. Vous vous asseyez sur une chaise du côté gauche de la pièce. Elle s'assoit sur la droite. Ensuite, avec une grande minutie, un chirurgien philosophique commence à échanger une

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