Chapter Content
Alors, euh... chapitre, euh, vingt-neuf... Attendez, non, je me suis trompé. On va dire... euh... chapitre, euh... seize, voilà ! Bon, on y va.
"Planète Solitaire". Ouais, c'est pas facile d'être un être vivant, hein ? D'après ce qu'on sait, dans tout l'univers, il n'y a que... euh... que la Voie Lactée, et encore, un coin paumé qui s'appelle la Terre qui est, euh, qui est d'accord pour t'accueillir, et même elle, c'est pas sûr, hein.
De... du fin fond des abysses... jusqu'au sommet des plus hautes montagnes, la zone où la vie existe, euh, elle fait à peu près vingt-huit kilomètres d'épaisseur. C'est rien du tout comparé à l'immensité de l'univers. C'est... c'est... c'est ridicule quoi.
Alors, pour nous, les humains, c'est encore pire. On fait partie... d'une catégorie d'animaux qui, il y a quatre cents millions d'années, a, euh, a décidé un peu n'importe comment, hein, de sortir de l'eau pour vivre sur la terre ferme et respirer de l'oxygène. Du coup, on estime que... presque 99,5% de l'espace habitable sur Terre, c'est... c'est... c'est complètement inaccessible pour nous, quoi.
Non seulement on peut pas respirer dans l'eau, mais... on supporterait pas la pression. L'eau, c'est mille trois cents fois plus lourd que l'air, alors plus tu descends profond, plus la pression augmente... de ouf ! Genre, tous les dix mètres, c'est un atmosphère de plus. Sur terre, si tu montes à cent cinquante mètres de haut, genre la cathédrale de Cologne, la pression change... quasi pas. Mais dans l'eau, à la même profondeur, tes vaisseaux sanguins, ils se rétractent, tes poumons... ils sont réduits à la taille d'une canette de Coca. C'est fou, hein ? Y a des gens qui font ça pour le fun, sans bouteille, rien. Ça s'appelle l'apnée. Apparemment, c'est... c'est... c'est super excitant d'avoir les organes internes qui se déforment. Bon, après, quand tu remontes, c'est peut-être moins marrant quand tout se remet en place. Et encore, pour atteindre ces profondeurs, faut se faire tracter par un poids. Sans ça, la profondeur maximale que tu peux atteindre et en revenir vivant, c'est... soixante-douze mètres. C'est un Italien, Umberto Pelizzari, qui a fait ça en 1992. Il est descendu à soixante-douze mètres, il y est resté une milliseconde, et il est remonté aussi vite. Euh, soixante-douze mètres, c'est même pas la longueur d'un terrain de foot, hein. Donc, même en faisant les acrobates, on peut pas vraiment dire qu'on est les maîtres des océans.
Bon, évidemment, y a d'autres créatures qui sont adaptées à la pression des profondeurs, mais... on sait pas trop combien. L'endroit le plus profond de l'océan, c'est la fosse des Mariannes, dans le Pacifique. Là-bas, à onze kilomètres de profondeur, la pression... elle monte à plus de onze mille newtons par centimètre carré. On n'a envoyé des humains qu'une seule fois, dans un bathyscaphe super solide, et c'était pour... genre... quelques instants. Mais là-bas, y a des amphipodes qui vivent. Des espèces de crevettes, mais... transparentes. Elles, elles survivent sans problème. Bon, la plupart des océans sont moins profonds, hein, mais même à quatre kilomètres de profondeur, la pression, c'est comme si tu avais quatorze camions remplis de ciment sur le dos.
Presque tout le monde, y compris... certains auteurs de vulgarisation scientifique marine, pensent qu'en pleine mer, à cause de la pression, le corps humain... il est écrasé, hein. En fait, il paraît que non. On est surtout fait d'eau, et l'eau, comme dit Francis Ashcroft de l'université d'Oxford, "elle est pratiquement incompressible". Donc le corps... il reste à la même pression que l'eau autour, et... et on est pas tué, quoi. Le problème, c'est les gaz, surtout ceux dans les poumons. Là, ils se compriment vraiment, mais on sait pas jusqu'à quel point c'est dangereux. Avant, on pensait qu'à cent mètres de profondeur, les poumons implosaient, la cage thoracique explosait, et la personne mourait dans d'atroces souffrances. Mais les apnéistes ont prouvé le contraire. Ashcroft dit qu'on dirait que "l'homme peut se rapprocher plus qu'on ne le pensait des baleines et des dauphins".
Bon, après, y a d'autres problèmes qui peuvent survenir, hein. À l'époque où les plongeurs utilisaient des scaphandres... reliés à la surface par un long tuyau, parfois, il y avait un phénomène horrible qui s'appelait "le squeeze". C'était quand la pompe à air tombait en panne, et que le scaphandre perdait sa pression d'un coup. L'air s'échappait violemment du scaphandre, et le plongeur... il était aspiré dans le masque et le tuyau. Quand on le remontait, "il ne restait plus que les os et un peu de chair". Le biologiste J.B.S. Haldane a écrit ça en 1947, en précisant, pour que personne ne doute, que "ça s'est vraiment produit".
Au fait, le premier masque de plongée, il a été inventé en 1823 par un Anglais, Charles Deane, mais pas pour plonger, pour... euh... pour les pompiers. Ça s'appelait un "casque de fumée". Sauf que... il était en métal, c'était super lourd, et ça brûlait. Deane s'est rendu compte que les pompiers... ils voulaient pas mettre ça sur la tête pour aller dans des bâtiments en feu. Du coup, pour pas perdre son investissement, Deane l'a essayé sous l'eau, et il a trouvé que c'était parfait pour le sauvetage en mer.
Mais le vrai danger en pleine mer, c'est la maladie des caissons, ou la maladie de décompression. Pas parce que c'est désagréable – c'est le cas – mais parce que... c'est beaucoup plus probable. L'air qu'on respire, il est composé à 80% d'azote. Si tu mets le corps sous pression, l'azote, il se transforme en petites bulles, et... il se balade dans le sang et les tissus. Si la pression change trop vite – genre, le plongeur remonte trop vite – les bulles... elles font comme du champagne qu'on ouvre, et elles bloquent les petits vaisseaux sanguins. Les cellules ne reçoivent plus d'oxygène, et... ça fait super mal. C'est pour ça que ça s'appelle la maladie des caissons : "caisson" = douleur intense.
La maladie des caissons, c'était la maladie des pêcheurs d'éponges et des pêcheurs de perles, mais le monde occidental s'en est rendu compte... avec les travailleurs des caissons. Les caissons, c'étaient des pièces sèches, étanches, qu'on construisait sur le fond des rivières pour construire des ponts. On remplissait le caisson d'air comprimé, et quand les ouvriers sortaient après avoir travaillé longtemps sous pression, ils avaient des symptômes légers, genre des picotements. Mais parfois, ils avaient des douleurs articulaires terribles, ils tombaient par terre, et parfois, ils ne se relevaient plus.
C'était... c'était incompréhensible. Des fois, les gars se couchaient en pleine forme, et ils se réveillaient paralysés. Des fois, ils ne se réveillaient pas du tout. Ashcroft raconte l'histoire de la construction d'un nouveau tunnel sous la Tamise. À la fin des travaux, les chefs ont fait une fête. Ils ont débouché des bouteilles de champagne dans l'air comprimé du tunnel, et ils ont vu que le champagne ne faisait pas de bulles, c'était... incroyable. Mais quand ils sont sortis dans l'air frais de Londres, les bulles... elles ont jailli, et tout le monde a pu trinquer.
Bon, à part éviter la pression, il y a deux façons d'éviter la maladie des caissons. La première, c'est de ne pas rester longtemps sous pression. C'est pour ça que les apnéistes, ils peuvent descendre à cent cinquante mètres sans problème. Ils restent pas longtemps, l'azote n'a pas le temps de se dissoudre dans les tissus. L'autre, c'est de remonter lentement, par paliers, pour que les petites bulles d'azote s'échappent sans faire de dégâts.
On sait faire ça maintenant, grâce à une famille géniale, les Haldane, père et fils : John Scott Haldane et J.B.S. Haldane. Même pour des intellectuels britanniques, ils étaient... euh... spéciaux. Le père, il est né en 1860 dans une famille noble écossaise, mais il a passé sa vie à Oxford, comme professeur de physiologie. Il était... distrait. Un jour, sa femme lui a dit de monter se changer pour un dîner, mais il est jamais revenu. Elle l'a trouvé endormi dans son lit en pyjama. Il a dit qu'il s'était mis à se déshabiller, et qu'il a cru qu'il était l'heure d'aller au lit. Il allait en vacances en Cornouailles pour étudier l'ankylostomiase chez les mineurs. Le romancier Aldous Huxley, le petit-fils de T.H. Huxley, a vécu avec les Haldane, et il s'est inspiré du père pour créer le personnage du scientifique Edward Tantamount dans son roman "Point Contre Point". Euh... c'est pas très gentil, hein.
Haldane, il a calculé les paliers de décompression pour éviter la maladie des caissons. Mais il s'intéressait à tout, de la maladie d'altitude chez les alpinistes aux coups de chaleur dans le désert. Il s'intéressait surtout aux effets des gaz toxiques sur le corps. Pour comprendre comment le monoxyde de carbone tuait les mineurs, il s'est empoisonné lui-même, tout en prélevant des échantillons de sang pour les analyser. Il a arrêté quand ses muscles étaient presque paralysés, et que son sang était saturé à 56%. D'après Trevor Norton, dans son histoire de la plongée "Stars Beneath the Sea", à ce niveau-là, il était à deux doigts de la mort.
Le fils, J.B.S., c'était un génie. Il s'intéressait au travail de son père depuis tout petit. On raconte qu'à trois ans, il demandait à son père : "C'est pas de l'oxyhémoglobine ou de la carboxyhémoglobine, ça ?". Pendant sa jeunesse, il a aidé son père dans ses expériences. Vers l'âge de dix ans, ils testaient ensemble des gaz et des masques à gaz, à tour de rôle, pour voir combien de temps ils mettaient à s'évanouir.
Le fils n'a pas eu de diplôme scientifique, mais il est devenu un scientifique brillant. Il a travaillé pour le gouvernement à Cambridge. Le biologiste Peter Medawar, qui a fréquenté des gens super intelligents, a dit de lui que c'était "l'homme le plus intelligent qu'il ait jamais rencontré". Huxley s'est inspiré de lui pour créer un personnage dans son roman "Antic Hay". Il a aussi utilisé ses idées sur l'influence de l'hérédité sur le comportement humain pour son roman "Le Meilleur des Mondes". Entre autres, J.B.S. Haldane a réuni la théorie de l'évolution de Darwin et les travaux de Gregor Mendel sur l'hérédité. Les généticiens appellent ça "la nouvelle voie".
Le truc, c'est que J.B.S. Haldane a trouvé que la Première Guerre mondiale, c'était "une expérience agréable". Il a dit qu'il "aimait bien avoir l'occasion de tuer". Il a été blessé deux fois. Après la guerre, il est devenu un vulgarisateur scientifique. Il a écrit vingt-trois livres et plus de quatre cents articles scientifiques. Ses livres sont encore lisibles et instructifs. Il est devenu un fervent marxiste. Certains pensent que c'était juste par esprit de contradiction. S'il était né en Union Soviétique, il serait devenu un monarchiste fanatique. Quoi qu'il en soit, la plupart de ses articles ont été publiés dans le "Daily Worker", un journal communiste. Alors que son père s'intéressait surtout aux mineurs et aux empoisonnements, J.B.S. Haldane s'est concentré sur la prévention des maladies professionnelles chez les sous-mariniers et les plongeurs. Avec l'aide de l'Amirauté, il a obtenu une chambre de décompression qu'il appelait "la cocotte-minute". C'était un cylindre métallique où l'on pouvait enfermer trois personnes pour faire des tests douloureux et dangereux. On demandait aux volontaires de s'asseoir dans de l'eau glacée ou bouillante, tout en respirant des "gaz bizarres" ou en subissant des changements de pression rapides. Une fois, Haldane a imité lui-même une remontée rapide pour voir ce qui se passait. Ses plombages ont sauté. "Presque toutes les expériences", écrit Norton, "se terminaient avec quelqu'un qui convulsait, qui saignait, ou qui vomissait." La chambre de décompression était insonorisée, alors pour dire qu'ils allaient mal, les gens devaient taper contre les parois ou montrer des panneaux par une petite fenêtre.
Une autre fois, Haldane a respiré de l'oxygène à des concentrations de plus en plus fortes. Il a tellement convulsé qu'il s'est cassé des vertèbres. Les poumons qui se collapsent, c'était courant, les tympans qui se perforent, c'était normal. Mais Haldane a écrit dans un article : "En général, le tympan se referme. S'il reste un petit trou, on devient un peu sourd, mais si on fume, la fumée sort par l'oreille. C'est un atout pour la société."
Ce qui est extraordinaire, ce n'est pas que Haldane acceptait de prendre des risques ou de souffrir pour la science, c'est qu'il arrivait à convaincre ses collègues et ses proches de monter dans sa chambre de décompression. Sa femme a convulsé pendant quinze minutes pendant une simulation de descente. Quand elle a enfin arrêté de se tortiller par terre, on l'a aidée à se relever, on l'a renvoyée chez elle pour préparer le dîner. Haldane profitait de tous ceux qui étaient là, comme une fois, avec l'ancien Premier ministre espagnol, Juan Negrín. Le docteur Negrín s'est plaint d'avoir des picotements et une "sensation de glissement sur les lèvres", mais sinon, il allait bien. Il a eu de la chance. Pendant une expérience similaire avec de l'oxygène raréfié, Haldane a perdu la sensibilité des fesses et du bas du dos pendant six ans.
Haldane étudiait beaucoup de choses, dont l'intoxication à l'azote. On sait pas trop pourquoi, mais à plus de trente mètres de profondeur, l'azote devient un gaz très toxique. On sait que sous l'effet de l'azote, des plongeurs ont donné leur tuyau d'air à un poisson qui passait, ou ont décidé de fumer une cigarette pour se détendre. Ça rend aussi très instable. Une autre fois, Haldane a remarqué que la personne qui faisait le test était "parfois déprimée, parfois euphorique ; tantôt elle se sentait 'terriblement mal' et demandait à être décompressée, tantôt elle riait aux éclats et voulait perturber les tests de sensibilité de ses collègues". Pour mesurer la vitesse à laquelle les testeurs allaient mal, les scientifiques devaient aussi monter dans la chambre de décompression pour faire des calculs simples. Mais au bout de quelques minutes, Haldane s'est souvenu : "Les testeurs étaient généralement aussi intoxiqués que les sujets, et souvent ils oubliaient d'arrêter le chronomètre, ou d'écrire ce qu'il fallait." Même maintenant, on sait pas pourquoi ça arrive. Certains pensent que c'est comme l'ivresse. Mais on sait pas non plus pourquoi on est ivre, alors... Quoi qu'il en soit, si on fait pas attention, on peut vite avoir des problèmes en quittant la terre ferme.
Bon, et en parlant de ça, on est... presque de retour au point de départ. C'est pas facile de vivre sur Terre, même si c'est le seul endroit où on peut vivre. Il y a qu'une petite partie de cette planète qui est sèche et où on peut marcher, et encore, une grande partie est trop chaude, trop froide, trop sèche, trop raide, ou trop haute pour nous être utile. Faut dire qu'on n'est pas très doués pour nous adapter. Comme la plupart des animaux, on aime pas quand il fait trop chaud. On transpire, on a vite des coups de chaleur, on supporte pas. Dans les pires conditions, si on marche dans le désert sans eau, on devient confus, on s'évanouit, et on risque de plus se relever, en sept ou huit heures. On est aussi mauvais face au froid. Comme tous les mammifères, on produit pas mal de chaleur, mais comme on n'a pas beaucoup de poils, on ne la garde pas. Même quand il fait assez chaud, on utilise la moitié de nos calories juste pour nous réchauffer. Bien sûr, on peut compenser avec des vêtements et des maisons, mais même avec ça, la partie de la Terre où on est prêts ou capables de vivre est limitée : 12% de la surface terrestre, et 4% de la surface totale si on compte les océans.
Mais si on compare ça aux conditions ailleurs dans l'univers, c'est incroyable qu'on ait réussi à trouver une planète où on peut vivre, même un petit peu. Il suffit de regarder notre système solaire, ou... certaines époques de l'histoire de la Terre, pour voir que la plupart des endroits sont beaucoup plus impitoyables avec la vie que notre planète chaude, bleue et pleine d'eau.
On pense qu'il y a cent milliards de milliards de planètes dans l'univers. Les scientifiques en ont découvert environ soixante-dix en dehors du système solaire, alors on ne sait pas trop quoi en penser. Mais on dirait qu'il faut être super chanceux pour trouver une planète où la vie est possible, et encore plus pour trouver une planète où la vie évoluée est possible. Les chercheurs ont identifié une vingtaine de coups de chance qu'on a eu sur Terre, mais on va pas en parler en détail. On va juste résumer les quatre principaux :
La bonne position. On a une étoile correcte, à la bonne distance, qui est assez grande pour rayonner beaucoup de chaleur, mais pas trop pour pas s'éteindre trop vite. C'est... euh... parfait. Plus une étoile est grande, plus elle brûle vite. Si notre soleil était dix fois plus grand, il s'éteindrait dans dix millions d'années au lieu de dix milliards. On ne serait pas là. On a aussi la chance d'être sur l'orbite idéale. Trop près du soleil, tout se vaporiserait. Trop loin, tout gèlerait.
En 1978, l'astrophysicien Michael Hart a calculé que si la Terre était 1% plus loin ou 5% plus près du soleil, elle serait inhabitable. C'est pas beaucoup, hein ? En fait, on a affiné les calculs depuis, et on a élargi la zone : 5% plus près, 15% plus loin. Mais ça reste une zone étroite. (Depuis qu'on a trouvé des micro-organismes extrêmes dans les mares bouillonnantes du parc de Yellowstone, on sait que la vie peut exister dans des conditions beaucoup plus extrêmes. On parle juste des conditions nécessaires pour que des créatures complexes vivent à la surface.)
Pour comprendre pourquoi cette zone est si étroite, il suffit de regarder Vénus. Elle est à vingt-cinq millions de kilomètres du soleil. La chaleur arrive deux minutes plus tôt que chez nous. Vénus a à peu près la même taille et la même structure que la Terre, mais cette petite différence de distance a eu des conséquences énormes. On dirait qu'au début du système solaire, Vénus était juste un peu plus chaude que la Terre, et qu'elle avait peut-être des océans. Mais ces quelques degrés de plus ont fait que Vénus n'a pas pu garder l'eau à sa surface. Ça a eu des conséquences catastrophiques sur le climat. En s'évaporant, l'hydrogène s'est échappé dans l'espace, et l'oxygène et le carbone ont formé une épaisse couche de gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone. Vénus est devenue irrespirable. De mon temps, les astronomes espéraient qu'il y avait de la vie sur Vénus, peut-être même une végétation luxuriante, sous les nuages épais. Mais on sait maintenant que c'est un environnement trop hostile pour toute forme de vie qu'on peut imaginer. La température à la surface est de 470 degrés Celsius, le plomb fond. La pression atmosphérique est 90 fois supérieure à celle de la Terre. On pourrait pas survivre. On n'a pas les vêtements et les vaisseaux spatiaux pour y aller. On connaît la surface de Vénus grâce à des images radar et à quelques signaux d'une sonde soviétique sans pilote. Elle s'est posée avec optimisme en 1972, et elle a arrêté de fonctionner au bout d'une heure.
Voilà, c'est ce qui se passe si tu te déplaces de deux minutes-lumière vers le soleil. Et si tu t'éloignes, le problème, c'est plus la chaleur, c'est le froid. Mars est là pour le prouver. Avant, c'était un endroit plus agréable, mais elle n'a pas réussi à garder son atmosphère, et elle est devenue une terre stérile et glacée.
Mais la distance au soleil ne suffit pas, sinon la Lune serait un endroit magnifique et rempli de forêts. Ce n'est pas le cas. Il faut aussi :
La bonne planète. Si vous demandiez à un géophysicien de compter ses chances, il ne compterait peut-être pas une planète remplie de magma. Mais sans ce magma sous nos pieds, on ne serait pas là. Entre autres, notre intérieur actif a dégagé beaucoup de gaz, ce qui a aidé à créer l'atmosphère. Il nous a aussi donné un champ magnétique qui nous protège des radiations cosmiques. Et il nous a donné la tectonique des plaques, qui renouvelle constamment la surface et qui la plie. Si la Terre était parfaitement plate, elle serait recouverte de quatre kilomètres d'eau. Il y aurait peut-être de la vie dans cet océan solitaire, mais pas de matchs de foot.
En plus d'un intérieur utile, on a la bonne quantité des bons éléments. On est faits des bons matériaux. C'est essentiel pour notre santé. On va en reparler plus tard. Parlons d'abord des deux autres facteurs, en commençant par celui qu'on oublie souvent :
On est une planète double. En général, on ne considère pas la Lune comme une planète, mais en fait, c'en est une. Phobos et Déimos, les lunes de Mars, ne font que dix kilomètres de diamètre. La nôtre fait plus du quart du diamètre de la Terre. Ça fait de nous une planète unique dans le système solaire : la seule à avoir une lune aussi grosse par rapport à elle (à part Pluton, mais elle est petite, alors...). C'est essentiel pour nous.
Sans l'influence constante de la Lune, la Terre vacillerait comme une toupie qui ralentit. On ne sait pas trop ce que ça ferait au climat. Grâce à la Lune, la Terre tourne à la bonne vitesse et avec le bon angle. Ça crée un environnement stable, nécessaire pour le développement de la vie. Ça ne va pas durer. La Lune s'éloigne de nous d'environ quatre centimètres par an. Dans deux milliards d'années, elle sera trop loin pour nous stabiliser. Mais en attendant, faut savoir que c'est pas juste un joli paysage dans le ciel.
Pendant longtemps, les astronomes ont pensé que la Lune et la Terre s'étaient formées en même temps, ou que la Terre avait capturé la Lune. On pense maintenant que vers 4,4 milliards d'années, un objet de la taille de Mars a heurté la Terre. Ça a projeté assez de matériaux pour former la Lune. C'était une bonne chose pour nous. Surtout que ça s'est passé il y a longtemps. Si ça s'était passé en 1896 ou mercredi dernier, on n'aurait pas été contents. Alors, on arrive au quatrième facteur, et le plus important :
Le bon moment. L'univers est un endroit instable, et notre présence est un miracle. Si une longue série d'événements complexes ne s'étaient pas déroulés d'une certaine manière, à un moment précis – par exemple, si les dinosaures n'avaient pas disparu à cause d'une météorite – on ferait quelques centimètres de long, avec des antennes et une queue, et on lirait ce livre dans une grotte.
On ne sait pas vraiment, parce qu'on n'a rien à comparer à notre existence. Mais il semble clair que si on veut devenir une société évoluée et pensante, il faut être à la fin d'une longue série de résultats. Il faut des périodes de stabilité, avec des difficultés et des défis bien dosés (les glaciations semblent importantes). Il faut surtout éviter les catastrophes. On va voir que on a eu de la chance d'être là.
Bon, parlons un peu des éléments qui nous composent.
Il y a 92 éléments naturels sur Terre, et une vingtaine créés en laboratoire. On peut en mettre de côté quelques-uns. On ne sait pas grand-chose sur certains. On n'a jamais étudié l'astate. Il a un nom et une place dans le tableau périodique, à côté du polonium de Marie Curie, mais c'est tout. C'est pas qu'on s'en fiche, c'est qu'il est rare. Il n'y en a pas beaucoup dans l'espace non plus. L'élément le plus insaisissable, c'est le francium. Il y en a tellement peu que, à n'importe quel moment, il y a moins de vingt atomes de francium sur toute la Terre. Sur tous les éléments naturels, il y en a qu'une trentaine qui sont répandus sur Terre, et cinq ou six qui sont essentiels à la vie.
On pourrait penser que l'oxygène est l'élément le plus abondant. Il représente près de 50% de la croûte terrestre. Mais après, c'est plus surprenant. Qui aurait cru que le silicium est le deuxième élément le plus commun sur Terre, ou que le titane est le dixième ? L'abondance des éléments n'a rien à voir avec notre familiarité avec eux, ou leur utilité. Beaucoup d'éléments peu connus sont plus abondants que les éléments connus. Il y a plus de cérium que de cuivre, et plus de néodyme et de lanthane que de cobalt ou d'azote. L'étain est à peine dans le top 50, derrière des éléments peu connus comme le protactinium, le samarium, le gadolinium et le dysprosium.
L'abondance n'a rien à voir avec la facilité de découverte. L'aluminium est le quatrième élément le plus commun sur Terre. Il représente presque un dixième de tout ce qu'on a sous les pieds. Mais Humphry Davy ne l'a découvert qu'au XIXe siècle. Pendant longtemps, c'était considéré comme un métal précieux rare. Pour montrer que les États-Unis étaient riches et importants, le Congrès a failli recouvrir le sommet du Washington Monument d'aluminium. À la même époque, la famille royale française a remplacé l'argenterie par de l'aluminium pour les dîners officiels. C'était à la mode, même si les couverts n'étaient pas pratiques.
L'abondance n'a rien à voir avec l'importance. Le carbone n'est que le quinzième élément le plus abondant. Il représente 0,048% de la croûte terrestre. Mais sans carbone, on n'existerait pas. Le carbone a la particularité de se lier avec presque tous les autres éléments. C'est le sociable du monde des éléments. Il s'accroche à beaucoup d'autres atomes (y compris à lui-même), et il forme des molécules solides et stables. C'est le secret de la création des protéines et de l'ADN. Comme Paul Davies l'a écrit : "Sans carbone, la vie telle qu'on la connaît ne serait pas possible. Probablement aucune forme de vie ne serait possible." Pourtant, même si on a besoin du carbone, on n'en a pas tant que ça dans le corps. Sur deux cents atomes dans votre corps, il y en a 126 d'hydrogène, 51 d'oxygène, et 19 de carbone. (Sur les quatre atomes restants, il y en a trois d'azote, et le dernier est partagé par tous les autres éléments.)
D'autres éléments sont importants, pas pour créer la vie, mais pour la maintenir. On a besoin de fer pour fabriquer l'hémoglobine. Sans fer, on meurt. Le cobalt est indispensable pour la B12. Le potassium et un peu de sodium sont bons pour le système nerveux. Le molybdène, le manganèse et le vanadium aident à garder les enzymes actives. Le zinc oxyde l'alcool.
On a appris à utiliser ou à supporter ces choses – sinon on ne serait pas là – mais on ne supporte pas tout. Le sélénium est essentiel, mais si on en mange trop, on meurt. Les besoins des êtres vivants sont le résultat de l'évolution. Les moutons et les vaches broutent ensemble, mais leurs besoins sont très différents. Les vaches ont besoin de beaucoup de cuivre, parce qu'elles ont évolué en Europe et en Afrique, où il y a beaucoup de cuivre. Les moutons ont évolué en Asie Mineure, où il y en a peu. En général, on supporte les éléments en fonction de leur abondance dans la croûte terrestre. On a évolué pour avoir – et parfois besoin de – de petites quantités d'éléments rares dans notre nourriture. Mais si on augmente la dose, même un petit peu, on peut mourir. On ne sait pas tout. Par exemple, on ne sait pas si un peu d'arsenic est bon ou mauvais pour la santé. Certains disent que c'est bon, d'autres disent que c'est mauvais. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas en manger trop.
Une fois que les éléments se combinent, leurs propriétés changent. L'oxygène et l'hydrogène sont très inflammables, mais quand ils sont combinés, ils deviennent de l'eau, qui n'est pas inflammable. (L'oxygène n'est pas inflammable, il aide juste les autres choses à brûler. Heureusement, sinon l'air s'enflammerait à chaque fois qu'on allume une allumette. L'hydrogène est très inflammable, comme l'accident du Hindenburg l'a montré. Le 6 mai 1937, l'hydrogène qui faisait voler le dirigeable a explosé. 36 personnes sont mortes.) Le mélange de sodium et de chlore est encore plus étrange. Le sodium est très instable, et le chlore est très toxique. Si on met un morceau de sodium pur dans l'eau, il explose et il est mortel. Le chlore est très dangereux. On l'utilise en faible concentration pour tuer les microbes (c'est ce qu'on sent dans l'eau de Javel), mais à forte dose, il est mortel. Pendant la Première Guerre mondiale, on utilisait du chlore dans les gaz de combat. Les nageurs qui ont mal aux yeux savent que même à faible dose, le corps n'aime pas le chlore. Mais si on mélange ces deux éléments dangereux, qu'est-ce qu'on obtient ? Du chlorure de sodium : du sel de table.
En général, si un élément ne se trouve pas naturellement dans notre corps – s'il ne se dissout pas dans l'eau, par exemple – on ne le supporte pas. Le plomb nous empoisonne parce qu'on n'y était pas habitué, jusqu'à ce qu'on commence à l'utiliser pour faire des récipients pour la nourriture et des tuyaux. (Le symbole du plomb, c'est Pb, pour Plumbum en latin. Ce n'est pas un hasard si le mot "plomberie" vient de là.) Les Romains utilisaient du plomb pour adoucir le vin. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles ils sont devenus moins puissants. On n'a pas de quoi être fiers de notre propre utilisation du plomb (sans parler du mercure, du cadmium et d'autres polluants industriels avec lesquels on s'empoisonne souvent). Tous les éléments qui ne sont pas naturellement présents sur Terre sont toxiques. On ne supporte pas le plutonium : la moindre trace peut nous tuer.
Je vous ai raconté tout ça pour dire une chose : la Terre semble être un endroit parfait pour nous, mais c'est surtout parce qu'on s'est adaptés à ses conditions. Ce qui est étonnant, c'est pas qu'elle soit habitable, c'est qu'elle soit habitable pour nous. On est satisfaits de beaucoup de choses : un soleil à la bonne taille, une lune gentille, du carbone sociable, du magma, etc. On est peut-être satisfaits juste parce qu'on a évolué pour dépendre de ces conditions. On ne sait pas.
Les créatures d'autres mondes apprécieraient peut-être des mares de mercure et des nuages d'ammoniac. Elles seraient contentes que leur planète ne vacille pas à cause de la tectonique des plaques, qu'elle ne crache pas de magma. Elles seraient à jamais tranquilles. Des visiteurs venus d'ailleurs se moqueraient de notre atmosphère composée d'azote et d'oxygène. L'azote est trop paresseux pour réagir chimiquement. L'oxygène s'enflamme tout le temps, alors on doit mettre des pompiers partout pour éviter qu'il nous fasse des dégâts. Même si nos visiteurs étaient des créatures bipèdes qui respirent de l'oxygène, qu'ils aiment les films d'action, ils trouveraient peut-être que la Terre n'est pas un endroit idéal. On ne pourrait même pas leur offrir à manger, parce que notre nourriture contient des traces de manganèse, de sélénium, de zinc et d'autres éléments qui seraient toxiques pour eux. Pour eux, la Terre serait peut-être un endroit inhabitable.
Le physicien Richard Feynman se moquait souvent des conclusions après coup. Il disait : "Vous savez, il m'est arrivé quelque chose de très étonnant ce soir. J'ai vu une voiture avec la plaque ARW357. Vous imaginez ? Sur des millions de plaques, comment j'ai pu voir celle-là ? C'est incroyable !" Il voulait dire qu'on peut rendre n'importe quoi extraordinaire, si on y fait attention.
Alors, les événements et les conditions qui ont mené à la vie sur Terre sont peut-être moins inhabituels qu'on le pense. Mais ils sont quand même inhabituels. Pour l'instant, on ne peut que dire que c'est inhabituel.