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Calculating...

Alors, euh... on va parler un peu d'un truc assez fondamental, quoi. C'est cette idée, un peu... comment dire... mythique, de la propriété. Hein?

Y'a Rousseau qui disait, déjà... je cite de mémoire, hein: "Les fruits de la terre appartiennent à tous, et la terre à personne." Ça pose la question, non?

Friedman, lui, était super clair, hein : le but d'une entreprise, c'est de maximiser ses profits. Bon. Et il a gagné son prix Nobel, tout ça. Mais en fait, son argument, il est pas tellement économique, hein. Il disait, grosso modo: "Un dirigeant d'entreprise, c'est un employé des actionnaires. Sa responsabilité, c'est de faire ce que les actionnaires veulent." Voila. En gros, le manager est un agent des actionnaires et doit agir pour eux.

Du coup, ça soulève pas mal de questions, non? Déjà, est-ce que les actionnaires sont vraiment les propriétaires de l'entreprise? Et puis, est-ce que les dirigeants peuvent, ou même doivent, prendre en compte d'autres intérêts que ceux des actionnaires? Parce que bon, depuis l'époque des grands chemins de fer, euh, le truc c'est que la direction est assurée par des cadres salariés, hein. Du coup, comment faire pour que ces cadres agissent vraiment dans l'intérêt des actionnaires? C'est pas simple, hein?

Bon, évidemment, tout ça dépend des pays, des systèmes juridiques, des cultures... C'est pas pareil partout, quoi.

Cette tension entre la personnalité morale d'une entreprise et cette idée de "nexus de contrats" entre ses membres, c'est surtout un truc qu'on retrouve dans les pays de common law, les pays anglo-saxons, quoi, qui ont hérité du droit anglais médiéval. C'est le système où les tribunaux se basent sur un ensemble de décisions passées. Alors que dans la plupart des autres pays, genre les pays de l'Union Européenne, la Chine, le Japon, c'est le droit civil qui prime, avec des codes de lois bien précis et un juge qui doit appliquer ces règles à chaque cas. C'est different, quoi!

Bon, alors, les actionnaires, propriétaires de l'entreprise? Ah là là...

Y'a une histoire intéressante, tiens. En 1943, en pleine guerre, le gouvernement britannique a pris le contrôle d'un constructeur d'avions, Short Brothers. Les actionnaires ont reçu une compensation, basée sur la valeur boursière des actions. Un des actionnaires, Oswald Short, a attaqué l'État en justice, en disant que l'État avait pris non seulement ses actions, mais toute l'entreprise. Il pensait qu'il aurait dû recevoir plus d'argent, en calculant la valeur des actifs de l'entreprise et en divisant cette somme entre les actionnaires.

L'affaire est allée jusqu'à la plus haute cour du Royaume-Uni, et ils ont débouté Short. Ils ont dit que les actionnaires ne sont pas "propriétaires" de l'entreprise. Ils avaient reçu un prix juste pour leurs actions, point barre. Ils ont reconfirmé ça en 2003, dans une autre affaire, concernant les réserves de trésorerie d'une entreprise. Ils ont dit que l'entreprise possède ses biens et que ce n'est pas une "fiducie" pour ses membres.

C'est comme quand des parents détiennent un bien pour un enfant, hein: ils sont propriétaires légaux, mais ils doivent utiliser ce bien dans l'intérêt de l'enfant. Dans le cas d'une entreprise, c'est différent. Les biens de l'entreprise ne sont pas détenus pour le bénéfice des actionnaires, mais par l'entreprise elle-même. Les actionnaires bénéficient des dividendes et de la valeur de leurs actions, mais pas des biens eux-mêmes. Et puis, il y a souvent des intermédiaires, des banques, des fonds de pension… toute une chaîne, quoi.

Un juge anglais a dit qu'une action, c'est un "intérêt d'une personne dans l'entreprise", avec des droits et des obligations définis par la loi. Genre le droit de recevoir des dividendes, de voter, de recevoir une part des actifs en cas de liquidation... Mais bon, il a quand même ajouté que l'entreprise est à la fois une "personne juridique" et une "chose" possédée par ses actionnaires. C'est pas super clair, hein? C'est pas facile à définir, cette histoire d'actions!

Si on regarde en Allemagne, c'est encore différent. La constitution allemande dit que la propriété est garantie, mais qu'elle implique des obligations et qu'elle doit servir le bien public. Ça veut dire que les actionnaires et les entreprises doivent tenir compte de l'intérêt général quand ils exercent leurs droits de propriété. C'est une réaction à l'époque nazie, où des entreprises ont collaboré avec le régime. C'est que la propriété, ça implique des devoirs, hein.

Aux États-Unis, en général, on considère que les actionnaires sont les propriétaires de l'entreprise. Bon, après, il y a des débats sur les conséquences de ça.

Y'a une affaire ancienne, Foss contre Harbottle. Harbottle était un dirigeant qui avait détourné des fonds de l'entreprise. Un actionnaire minoritaire, Foss, a porté plainte. Il a perdu, parce que le préjudice était subi par l'entreprise, et c'était à l'entreprise d'agir, pas à l'actionnaire. Ce principe est toujours d'actualité. Un actionnaire ne peut pas attaquer en justice pour un préjudice subi par l'entreprise, même si ça fait baisser la valeur de ses actions.

Il aurait peut-être eu plus de chances dans l'état du Delaware, où les dirigeants sont considérés comme des "fiduciaries", un peu comme des mandataires, quoi. Mais bon, ils ont quand même fini par adopter des lois pour les protéger de poursuites judiciaires.

Chaque État américain a ses propres lois sur les entreprises. Et les entreprises choisissent souvent de s'enregistrer dans l'État qui leur est le plus favorable. C'est le cas du Delaware, où sont enregistrées deux tiers des 500 plus grandes entreprises américaines. Du coup, c'est le droit du Delaware qui s'applique souvent aux litiges concernant ces entreprises.

En fait, la décision de s'enregistrer dans un État ou un autre est prise par la direction de l'entreprise. Le Delaware est particulièrement favorable aux dirigeants. Les juges donnent une grande marge de manœuvre aux dirigeants, sauf en cas de mauvaise foi manifeste. Du coup, il y a des pratiques courantes au Delaware qui ne seraient pas autorisées dans d'autres pays.

Genre les "pilules empoisonnées", qui permettent aux entreprises d'émettre des actions pour décourager les prises de contrôle hostiles. Ou les "conseils d'administration échelonnés", où les élections des membres du conseil se font à des moments différents, pour empêcher un acquéreur de prendre le contrôle rapidement. Et puis, il n'y a pas de droit d'"accès par procuration", qui permettrait aux actionnaires de proposer leurs propres résolutions, y compris la nomination d'administrateurs, lors des assemblées générales.

Bon, le gouvernement fédéral a quand même adopté des lois pour limiter les abus, après les scandales Enron et autres. Mais, à moins d'une législation fédérale plus forte, le pouvoir reste surtout entre les mains des dirigeants. Ça sert pas à grand-chose d'être actionnaire si on n'a pas vraiment les moyens d'exercer ses droits. Mais au fait, c'est quoi les droits de propriété, hein?

Un truc important, c'est que les contrats sont souvent incomplets. On ne peut pas tout prévoir. Du coup, les économistes Grossman et Hart ont dit que le propriétaire d'un bien, c'est celui qui a tous les droits sur ce bien qui ne sont pas explicitement attribués à quelqu'un d'autre. C'est celui qui décide quand il y a un problème qui n'est pas prévu dans le contrat. C'est le "droit de contrôle résiduel". C'est ça, pour Hart, l'essence de la propriété. Il a d'ailleurs reçu le prix Nobel pour ça.

Il prend l'exemple d'une location de voiture. Si on loue une voiture pour six mois et qu'on veut installer un lecteur CD (c'était en 1995, hein!), mais que le contrat ne dit rien là-dessus, il faut demander l'autorisation au loueur. C'est lui qui a le contrôle résiduel.

Mais cet exemple est un peu simpliste. Souvent, quand on a une voiture neuve, on la finance avec un prêt, une location avec option d'achat, etc. Et souvent, c'est l'organisme financier qui a le titre de propriété. Il nous le transfère seulement après un certain nombre de paiements. En Angleterre, il y a un registre des "gardiens" des voitures. C'est la personne responsable des infractions au code de la route, etc. Et aux États-Unis, on fait souvent la distinction entre le "registered owner" et le "legal owner". Bref, la personne qui utilise la voiture dit souvent que c'est "ma" voiture.

C'est pareil pour l'immobilier. La plupart des actifs des entreprises sont de l'immobilier, et souvent, l'entreprise ne possède pas les locaux qu'elle occupe. On "achète" un appartement dans un immeuble. Mais il y a des tas de structures juridiques différentes pour ça, selon les pays. La propriété, c'est compliqué.

Il y a des tonnes de lois, de jurisprudence, de règles qui régissent la location et l'occupation de biens immobiliers. Et la comptabilisation des biens loués est un truc super complexe. Les juristes et les comptables ont passé des années à trouver des solutions pratiques aux problèmes qui se posaient. C'est pas les économistes qui ont inventé ça! La propriété, c'est vraiment pas simple.

Un juriste, Honoré, a dit que la propriété, ce n'est pas un concept simple. Ça varie selon les pays et les époques. Mais il y a des points communs. Le propriétaire d'un parapluie, en Angleterre, en France, en Russie ou en Chine, peut l'utiliser, empêcher les autres de l'utiliser, le prêter, le vendre, le léguer. Mais il ne peut pas l'utiliser pour blesser son voisin.

Sauf que la relation entre moi et mon parapluie est simple. La relation entre Amazon et ses entrepôts est plus complexe. Et celle entre Amazon et ses actionnaires aussi. Honoré a dit que la propriété, c'est comme l'amitié. Ça a plein de caractéristiques. On est ami avec quelqu'un si on a suffisamment de caractéristiques de l'amitié avec cette personne. De même, une relation est une relation de propriété si elle a suffisamment d'attributs de la propriété.

Honoré a listé onze "attributs de la propriété". Le droit de posséder, d'utiliser, de gérer, de percevoir les revenus, de réclamer la valeur du capital. L'obligation de ne pas nuire. La possibilité de saisir le bien pour payer ses dettes. La protection contre l'expropriation. La possibilité de transmettre ses droits. Et le droit de contrôle résiduel. C'est ce dernier point qui intéressait Grossman et Hart. Mais le monde d'aujourd'hui est plus complexe que leur théorie.

Si je dis que "je possède mon parapluie", ça veut dire que je peux l'ouvrir, le fermer, le vendre, le louer, le léguer, le jeter. Je peux appeler la police si on me le vole. Et je dois accepter les conséquences si je l'utilise mal et accepter que mes créanciers le saisissent.

Si on applique ces critères à Amazon, on voit que les actionnaires possèdent leurs actions. Mais est-ce qu'ils possèdent Amazon elle-même? Pas vraiment. Ils n'ont pas le droit de possession, ni le droit d'utilisation. S'ils vont dans un entrepôt Amazon, ils seront refoulés. Ils ont les mêmes droits que les autres clients. Ils ne sont pas responsables des actes d'Amazon, et la trésorerie d'Amazon ne peut pas servir à payer les dettes de ses actionnaires. Ils n'ont pas le droit aux produits de la vente des actifs d'Amazon. Ils ont le droit de recevoir une part des actifs en cas de liquidation, mais la valeur d'Amazon s'évanouirait en cas de liquidation. Ils ont le droit de nommer les dirigeants, mais ce droit est théorique. Ils ont le droit à une part des bénéfices sous forme de dividendes. Mais Amazon n'en a jamais versé. Sur les onze critères d'Honoré, la relation entre Amazon et ses actionnaires en satisfait seulement deux, et ils sont mineurs. Trois sont partiellement satisfaits, et six ne le sont pas du tout.

Et puis, il y a les actions collectives en justice, où des actionnaires attaquent l'entreprise en justice. En 1993, Philip Morris a annoncé une baisse du prix de ses cigarettes Marlboro. Le cours de l'action a chuté. Des groupes d'actionnaires ont attaqué l'entreprise pour récupérer les pertes. Mais ces pertes étaient dues aux décisions de l'entreprise que ces actionnaires sont censés "posséder"! Les tribunaux ont rejeté ces plaintes.

Et pareil avec l'affaire Arkansas Teacher contre Goldman Sachs. Les enseignants attaquaient l'entreprise qu'ils "possédaient". En 2019, après l'entrée en bourse de Lyft, des actionnaires ont attaqué l'entreprise en justice.

C'est dur de concilier ça avec l'idée que les actionnaires possèdent l'entreprise. Est-ce que je peux attaquer mon parapluie en justice s'il ne me protège pas assez bien de la pluie? Et récupérer une compensation auprès du propriétaire du parapluie, c'est-à-dire moi-même? Une transaction dans une action en justice intentée par des actionnaires contre leur propre société provient essentiellement des actifs que les actionnaires, ex hypothesi, possèdent déjà. Étant donné que le résultat s'accompagne d'un prix de transaction extrêmement élevé sous la forme d'honoraires d'avocats, la poursuite produira nécessairement un rendement net négatif.

Si un Martien lisait l'article d'Honoré et visitait les installations d'Amazon, il conclurait probablement que, si quelqu'un possède Amazon, ce sont ses dirigeants. Jeff Bezos est le plus grand actionnaire d'Amazon, mais le Martien identifierait probablement Tim Cook plutôt que Laurene Jobs comme le "propriétaire" d'Apple.

Alors, qui possède Amazon ou Apple? Personne, pas plus que personne ne "possède" le Mississippi, la théorie de la relativité, la Royal Economic Society ou l'air qu'on respire. Une chose peut exister sans être possédée par personne. Il y a plein de types de contrats et d'obligations dans le monde d'aujourd'hui. Et la propriété, c'est pas toujours la bonne façon de décrire tout ça. La différence entre mon parapluie et une entreprise comme Amazon est tellement grande qu'on ne peut pas décrire ma relation avec les deux de la même manière. On se trompe en utilisant des analogies inappropriées. Comme l'a dit Charles Handy, "quand on regarde l'entreprise moderne, le mythe de la propriété nous gêne." Voilà.

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