Chapter Content
Euh...bon, alors, on va attaquer la quatrième partie, euh, "Au-delà de l'espace et du temps". Ouais, carrément !
Bon, j'ai, euh, posé les bases de la gravité quantique, et, du coup, la vision du monde qui en découle, hein. Et dans les derniers chapitres, je vais, comment dire, décrire quelques conséquences de cette théorie. Ce qu'elle nous dit, quoi, sur des phénomènes comme le Big Bang et les trous noirs. On parlera aussi de l'état actuel des expériences qui tentent de vérifier cette théorie, et, surtout, ce que, à mon avis, la nature est en train de nous dire, surtout... ah oui, concernant ces particules supersymétriques qu'on n'arrive pas à observer, contrairement à ce qu'on pensait.
Et puis, il y a encore des trucs qui manquent à notre compréhension du monde, hein. Je finirai donc par quelques réflexions là-dessus. Notamment, le rôle de l'information en thermodynamique, dans une théorie comme la gravité quantique, qui n'inclut ni le temps ni l'espace, et, euh... le retour du temps, quoi.
Tout ça, ça nous amène, vraiment, aux frontières du connu. Et depuis ce point de vue privilégié, on peut, voilà, contempler l'inconnu, le vrai, et s'interroger sur les grands mystères qui nous entourent.
Alors, chapitre 8: "Au-delà du Big Bang".
En 1927, un jeune scientifique belge, aussi prêtre catholique jésuite, il a étudié les équations d'Einstein. Et comme Einstein lui-même, il s'est rendu compte qu'elles prédisaient forcément, soit une expansion, soit une contraction de l'univers. Mais, bon, lui, le prêtre belge, il a pas fait comme Einstein, hein. Il a pas nié ce résultat, il a pas essayé de l'éviter à tout prix. Non, lui, il y a cru, et il a cherché des données astronomiques pour le vérifier.
À l'époque, les "galaxies", hein, on disait pas "galaxies", on disait "nébuleuses". Parce que, dans les télescopes, ça ressemblait à des petits nuages blanchâtres autour des astres. On savait pas encore que c'était d'immenses ensembles d'étoiles, comme notre galaxie, quoi. Mais le jeune prêtre belge, il a compris que les quelques données qu'on avait sur ces nébuleuses, en fait, elles suggéraient que l'univers était bien en expansion. Que les galaxies proches s'éloignaient à grande vitesse, comme si on les avait balancées dans le ciel. Et les galaxies lointaines, elles, s'éloignaient encore plus vite. L'univers, il était en train de gonfler comme un ballon.
Deux ans plus tard, deux astronomes américains, Henrietta Leavitt et Edwin Hubble, ils ont confirmé cette idée. Leavitt, elle a trouvé une bonne méthode pour mesurer la distance des nébuleuses, et elle a confirmé qu'elles étaient super loin, en dehors de notre galaxie. Hubble, lui, il a utilisé cette méthode et le grand télescope du Mont Palomar pour récolter des données précises. Et il a confirmé que les galaxies s'éloignaient à une vitesse proportionnelle à leur distance.
Mais, le truc, c'est que le jeune prêtre belge, en 1927, il avait déjà pigé la conséquence de tout ça. Si on voit une pierre qui monte, c'est qu'avant elle était plus bas, et qu'on l'a lancée vers le haut, hein. Et bah là, c'est pareil. Si on voit les galaxies s'éloigner, si l'univers est en expansion, c'est qu'avant, elles étaient plus proches, que l'univers était plus petit, et que quelque chose l'a fait commencer à gonfler. Le jeune prêtre belge, il a proposé que l'univers était, au début, minuscule, hyper comprimé, et que c'est une gigantesque explosion qui l'a fait se dilater. Il a appelé cet état initial "l'atome primitif". C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le "Big Bang".
Son nom, c'était Georges Lemaître. En français, ça sonne un peu comme "Le Maître", quoi. Y a pas de nom plus approprié pour le premier à avoir compris l'existence du Big Bang. Bon, à part le nom, Lemaître, c'était quelqu'un de très discret. Il évitait les polémiques, il a jamais revendiqué la paternité de la découverte du Big Bang. Du coup, elle a fini par être attribuée à Hubble. Y a deux anecdotes qui montrent sa grande intelligence, une avec Einstein, l'autre avec le Pape.
Je vous ai dit qu'Einstein, il était sceptique sur l'expansion de l'univers. Il pensait que l'univers était statique, il arrivait pas à accepter l'idée qu'il puisse gonfler. Même les plus grands scientifiques peuvent se tromper, et être bloqués par leurs idées préconçues, hein. Lemaître, il a rencontré Einstein, et il a essayé de le convaincre d'abandonner ses préjugés. Einstein, il a refusé, et il a répondu à Lemaître: "Vos calculs sont corrects, mais votre physique est abominable". Einstein a dû se rendre à l'évidence plus tard, Lemaître avait raison. C'est pas tout le monde qui ose contredire Einstein, hein.
Et puis, rebelote. Einstein, il avait introduit la constante cosmologique, je vous en ai parlé dans le chapitre 3. Une toute petite modification de ses équations, mais importante, pour qu'elles collent avec un univers statique, comme il voulait. Quand il a dû admettre que l'univers n'était pas statique, il s'en est pris à la constante cosmologique. Et Lemaître, il a, une deuxième fois, convaincu Einstein de changer d'avis. La constante cosmologique, même si elle rendait pas l'univers statique, elle était quand même correcte, et y avait aucune raison de l'enlever des équations. Et là encore, Lemaître avait raison. La constante cosmologique, elle produit une accélération de l'expansion de l'univers, et cette accélération, elle a été mesurée. Encore une fois, Einstein s'était planté, et Lemaître avait vu juste.
Quand l'idée que l'univers était né d'un Big Bang a commencé à être acceptée, le Pape Pie XII, il a déclaré, dans un discours public, que cette théorie, elle confirmait la description de la Création dans la Genèse. Lemaître, il était super inquiet de l'interprétation du Pape. Il a contacté les conseillers scientifiques du Pape, et il a tout fait pour convaincre le Pape de ne pas faire de lien entre création divine et Big Bang. Lemaître pensait que c'était une erreur de mélanger science et religion. La Bible, elle connait rien à la physique, et la physique, elle connait rien à Dieu. Pie XII, il a écouté ses conseils, et l'Église catholique n'a plus jamais publiquement évoqué le sujet. C'est pas tout le monde qui ose contredire le Pape, hein.
Et, bien sûr, Lemaître avait raison. Maintenant, on parle beaucoup de la possibilité que le Big Bang, c'était peut-être pas le vrai début, qu'il y avait peut-être un autre univers avant. Imaginez si Lemaître avait pas convaincu le Pape, et que le Big Bang et la Création, c'était la même chose. Dans quelle situation embarrassante l'Église catholique se retrouverait aujourd'hui! "Que la lumière soit" deviendrait "Rallumez la lumière!".
Contredire Einstein et le Pape, et les convaincre tous les deux qu'ils s'étaient trompés, et avoir raison à chaque fois, c'est quand même un exploit. Il méritait bien son titre de "Maître".
Aujourd'hui, les preuves sont, quasiment, irréfutables. L'univers était, il y a très longtemps, extrêmement chaud et dense, et il est en expansion depuis. On peut, avec une grande précision, reconstituer l'histoire de l'univers, à partir de cet état initial chaud et comprimé. On sait comment les atomes, les éléments, les galaxies et les astres se sont formés, et comment ils ont évolué pour devenir l'univers qu'on voit aujourd'hui. Les nombreuses observations du rayonnement qui baigne l'univers, réalisées notamment par le satellite Planck, elles ont confirmé, une fois de plus, complètement la théorie du Big Bang. On comprend assez bien ce qui s'est passé à grande échelle, depuis que l'univers est sorti d'une boule de feu, il y a environ 14 milliards d'années.
Et dire que l'expression "théorie du Big Bang", au début, elle avait été inventée par les adversaires de cette théorie pour se moquer de cette idée qui paraissait absurde... Et finalement, on a tous été convaincus: oui, l'univers, il était bien une boule de feu comprimée, il y a 14 milliards d'années.
Mais, avant cet état initial chaud et comprimé, qu'est-ce qui s'est passé?
Si on remonte le temps, la température augmente, la densité de la matière et l'énergie augmentent aussi. Et à un moment donné, à 14 milliards d'années dans le passé, on atteint l'échelle de Planck. À ce moment-là, les équations de la relativité générale, elles sont plus valables. Parce qu'on peut plus négliger la mécanique quantique. Là, on entre dans le domaine de la gravité quantique.
Bon, "Cosmologie quantique", quoi.
Pour comprendre ce qui s'est passé avant 14 milliards d'années, il faut la gravité quantique. Alors, qu'est-ce que la théorie des boucles nous raconte sur ce sujet?
Prenons une situation similaire, mais plus simple. Selon la mécanique classique, un électron qui tombe directement dans le noyau d'un atome, il serait avalé par le noyau et il disparaitrait. Mais en réalité, ça se passe pas comme ça. La mécanique classique, elle est incomplète. Il faut prendre en compte les effets quantiques. Un électron, le vrai, c'est un objet quantique. Il a pas de trajectoire définie, on peut pas le confiner dans une zone hyper petite. Plus il s'approche du centre, plus il repart vite. Et si on veut le maintenir autour du noyau, on peut, au mieux, le faire passer sur l'orbite atomique la plus petite. On peut pas le rapprocher davantage du noyau. La mécanique quantique, elle empêche l'électron de tomber dans le noyau. Y a une force de répulsion quantique qui le repousse, quand il est trop près du centre. Donc, grâce à la mécanique quantique, la matière, elle est stable. Sans la mécanique quantique, les électrons, ils tomberaient dans les noyaux, il y aurait pas d'atomes, et on existerait pas.
Et bah, c'est pareil pour l'univers. Imaginons un univers hyper dense, comprimé par son propre poids, jusqu'à devenir minuscule. Selon les équations d'Einstein, cet univers, il serait comprimé à l'infini, et il finirait par disparaitre, comme un électron qui tombe dans le noyau. Si on néglige la mécanique quantique, c'est ça le Big Bang prédit par les équations d'Einstein.
Mais, si on prend en compte la mécanique quantique, l'univers, il est pas comprimé à l'infini. Y a une force de répulsion quantique qui le fait rebondir. L'univers qui se contracte, il s'effondre pas en un point. Il rebondit, et il se met à gonfler, comme s'il était né d'une explosion.
C'est peut-être comme ça que le passé de notre univers s'est déroulé, hein. Un grand rebond, qu'on appelle le "Big Bounce", plutôt que le "Big Bang". C'est ce qui ressort, apparemment, quand on applique les équations de la gravité quantique à boucles à l'expansion de l'univers.
Faut surtout pas prendre l'image du rebond au pied de la lettre. Si on revient à l'exemple de l'électron, si on veut le placer le plus près possible d'un atome, il reste pas une particule, hein. On peut l'imaginer étalé dans un nuage de probabilités. La notion de position définie, elle a plus de sens pour l'électron. Et bah, c'est pareil pour l'univers. Dans la phase cruciale du Big Bounce, on peut pas l'imaginer comme un espace et un temps uniques et distincts, mais plutôt comme un nuage de probabilités étalé, où l'espace et le temps fluctuent énormément. Dans le Big Bounce, le monde se dissout en un nuage de probabilités. Mais ces probabilités, on peut encore les décrire avec des équations.
Donc, notre univers, il est très probablement né d'un rebond après une compression. Il a traversé une phase quantique où l'espace et le temps se sont dissous en probabilités.
Le mot "univers" devient flou, quoi. Si on utilise le mot "univers" pour désigner "tout ce qui existe", alors, par définition, il peut pas y avoir un deuxième univers. Mais le mot "univers" en cosmologie, il a un autre sens: c'est le continuum espace-temps qu'on voit directement autour de nous, rempli de la géométrie et de l'histoire des galaxies qu'on observe. Et dans ce sens-là, y a aucune raison de penser que cet univers, c'est le seul qui existe. On peut remonter dans le passé jusqu'à ce que le continuum espace-temps se brise en morceaux, comme l'écume d'un océan, et se transforme en nuage de probabilités quantiques, comme le proposait Wheeler. Y a aucune raison d'exclure la possibilité qu'au-delà de cette écume bouillonnante, il y ait un autre continuum espace-temps, semblable à celui qu'on perçoit autour de nous.
La probabilité qu'un univers passe de la contraction à l'expansion, en traversant la phase du Big Bounce, on peut la calculer avec la méthode de la boite d'espace-temps dont je vous ai parlé au chapitre précédent. On fait le calcul avec une écume de spin qui relie l'univers en contraction et l'univers en expansion.
Tout ça, c'est encore de l'exploration, hein. Mais ce qui est remarquable dans cette histoire, c'est qu'on a, aujourd'hui, des équations qui permettent d'essayer de décrire ces évènements. Même si, pour l'instant, c'est purement théorique, on commence, timidement, à jeter un coup d'œil au-delà du Big Bang.
Chapitre 9: "Des preuves expérimentales?"
L'exploration théorique fascinante de la cosmologie quantique, c'est pas seulement pour savoir ce qui se passe au-delà du Big Bang. Y a une autre raison d'étudier les applications cosmologiques de cette théorie. C'est peut-être une occasion de vérifier si la théorie est vraiment correcte.
Ce qui fait la validité de la science, c'est qu'après les hypothèses et les raisonnements, après les intuitions et les éclaircissements, après les équations et les calculs, on peut vérifier si on a bien fait le boulot. La théorie, elle fait des prédictions sur des choses qu'on a pas encore observées, et on peut vérifier si ces prédictions sont justes ou pas. C'est ça la force de la science, sa fiabilité repose sur une base solide, qui permet d'avoir confiance, parce qu'on peut vérifier si une théorie est juste ou fausse. C'est ça qui distingue la science des autres modes de pensée, où c'est souvent galère de savoir qui a raison et qui a tort. Voire, parfois, ça a même pas de sens.
Quand Lemaître, il défendait l'idée que l'univers était en expansion, Einstein, il y croyait pas. Y en avait forcément un des deux qui se trompait, et l'autre qui avait raison. Tous les succès d'Einstein, sa renommée, son influence dans le monde scientifique, son immense autorité, tout ça, ça servait à rien. Les données d'observation ont prouvé qu'il avait tort. Et basta. Un obscur prêtre belge avait raison. C'est pour ça que la pensée scientifique, elle est puissante.
La sociologie des sciences, elle a bien montré la complexité du processus de connaissance scientifique. Comme toutes les entreprises humaines, ce processus, il est traversé par des aspects irrationnels, il est pris dans des jeux de pouvoir, il est influencé par des facteurs sociaux et culturels de toutes sortes. Mais tout ça, ça diminue pas la force pratique et théorique de la pensée scientifique. Contrairement à ce que racontent certains postmodernistes et relativistes culturels. Parce qu'au final, dans la plupart des cas, on peut quand même déterminer clairement qui a raison et qui a tort. Même le grand Einstein, il finit par dire "Ah, je me suis trompé!". Si on tient à la fiabilité, la science, c'est la meilleure stratégie.
Ça veut pas dire que la science, c'est juste l'art de faire des prédictions observables. Certains philosophes des sciences, ils réduisent la science à des prédictions numériques. C'est une vision trop étroite de la science. Ils passent à côté de l'essentiel, parce qu'ils confondent les moyens et la fin. Les prédictions quantitatives vérifiables, c'est un moyen de tester les hypothèses. Mais le but de la recherche scientifique, c'est pas seulement de faire des prédictions, c'est aussi de comprendre comment le monde fonctionne, de construire et de développer une vision du monde, de nous fournir des structures conceptuelles pour penser. La science, avant d'être technique, elle est visionnaire.
Les prédictions vérifiables, c'est un outil puissant qui nous permet de nous rendre compte qu'on s'est trompé, si c'est le cas. Une théorie sans preuve expérimentale, c'est une théorie qui a pas encore passé le test. Le test, il se termine jamais. Une théorie, elle est jamais complètement prouvée par une, deux ou trois expériences. Mais, au fur et à mesure que ses prédictions se révèlent vraies, la crédibilité de la théorie augmente. Des théories comme la relativité générale et la mécanique quantique, au début, elles ont dérouté beaucoup de monde. Mais, au fur et à mesure que toutes leurs prédictions, même les plus incroyables, ont été progressivement confirmées par les expériences et les observations, elles ont gagné en confiance.
D'un autre côté, l'importance des preuves expérimentales, ça veut pas dire qu'on peut pas progresser sans données expérimentales. On entend souvent dire que la science, elle progresse seulement quand on a de nouvelles données expérimentales. Si c'était le cas, on aurait quasiment aucun espoir de découvrir la gravité quantique avant d'observer de nouvelles choses. Mais c'est clairement pas le cas. Quelles nouvelles données Copernic avait à sa disposition? Aucune. Il avait les mêmes données que Ptolémée. Newton, il avait de nouvelles données? Presque pas. Ses vraies données, c'était les lois de Kepler et les travaux de Galilée. Einstein, il avait de nouvelles données pour découvrir la relativité générale? Non plus. Ses données, c'était la relativité restreinte et la théorie de Newton. C'est clairement faux de dire que la physique, elle progresse seulement quand de nouvelles données apparaissent.
Ce que Copernic, Newton, Einstein et beaucoup d'autres scientifiques ont fait, c'est qu'ils ont trouvé une façon d'intégrer et de repenser des théories préexistantes qui synthétisaient déjà des connaissances empiriques dans de nombreux domaines de la nature. Et ils ont amélioré la compréhension générale.
C'est sur cette base que fonctionne la meilleure recherche en gravité quantique. En science, la source de la connaissance, au final, c'est l'expérience. Mais les données sur lesquelles on construit la gravité quantique, elles viennent pas de nouvelles expériences. Elles viennent de l'édifice théorique qui constitue déjà notre vision du monde, même si c'est sous une forme partiellement incohérente. Les "données expérimentales" de la gravité quantique, c'est la relativité générale et la mécanique quantique. En partant de ça, on essaie de comprendre comment un monde quantique et à espace courbe peut coexister de manière cohérente. Et on essaie d'explorer l'inconnu.
Et on est encouragés par les grands succès qu'ont eu, avant nous, les géants qui se sont trouvés dans des situations similaires, comme Newton, Einstein, Dirac. On ose pas imaginer atteindre leur niveau, mais on a l'avantage d'être assis sur leurs épaules. Ça nous permet de voir plus loin qu'eux. En tout cas, faut qu'on se donne à fond.
Il faut distinguer les indices et les preuves solides. Les indices, ils permettent à Sherlock Holmes de résoudre des affaires mystérieuses. Mais les juges, ils ont besoin de preuves solides pour condamner les coupables. Les indices, ils nous mettent sur la voie de la bonne théorie. Les preuves solides, ensuite, elles nous convainquent que la théorie qu'on a construite, elle est bonne ou mauvaise. Sans indices, on cherche dans la mauvaise direction. Sans preuves, la théorie, elle est pas crédible.
C'est pareil pour la gravité quantique. Cette théorie, elle est encore à l'état embryonnaire. Ses briques théoriques, elles sont en train de se solidifier. Les idées fondamentales, elles sont en train d'être précisées. Les indices sont bons, et ils sont concrets. Mais ce qui manque encore, ce sont des prédictions confirmées. La théorie, elle a pas encore passé le test.
Bon, "Les signaux de la nature", quoi.
Dans la direction de recherche que je vous ai racontée dans ce livre, l'autre théorie la plus étudiée, c'est la théorie des cordes. La plupart des physiciens qui ont travaillé sur la théorie des cordes ou sur des théories apparentées, ils espéraient qu'avec la mise en route du nouvel accélérateur de particules du CERN, à Genève, le LHC, ou "Grand collisionneur de hadrons", hein, une particule qu'on avait jamais observée, mais qui était prévue par la théorie, une particule supersymétrique, elle allait apparaitre tout de suite. La théorie des cordes, elle a besoin de ces particules pour que la théorie soit cohérente. Donc, les théoriciens des cordes, ils attendaient impatiemment la découverte de ces particules. D'un autre côté, la théorie de la gravité quantique à boucles, elle se définit très bien, même sans ces particules supersymétriques. Les théoriciens des boucles, ils ont tendance à penser que ces particules existent peut-être pas.
Le fait qu'on ait pas observé les particules supersymétriques, ça a déçu beaucoup de monde. La même déception, elle était masquée en 2013 par ceux qui célébraient la découverte du boson de Higgs. Le fait que les particules supersymétriques soient pas apparues aux énergies où beaucoup de théoriciens des cordes s'attendaient à les voir, ça prouve pas grand-chose, hein, loin de là. Mais la nature, elle a donné un petit indice en faveur de la théorie des boucles.
Y a eu trois résultats expérimentaux importants en physique fondamentale ces dernières années. Le premier, c'est la découverte du boson de Higgs au CERN, à Genève. Le deuxième, c'est les observations du satellite Planck, dont les données ont été rendues publiques en 2013, et qui ont confirmé le modèle cosmologique standard. Et le troisième, c'est la première détection d'ondes gravitationnelles, annoncée au début de l'année 2016. C'est les trois signaux que la nature nous a envoyés récemment.
Ces trois résultats, ils ont un point commun: aucune surprise. Ça diminue pas leur importance, au contraire, ça les rend encore plus significatifs. La découverte du boson de Higgs, elle a prouvé de manière éclatante la validité du modèle standard des particules élémentaires, basé sur la mécanique quantique. C'est une vérification d'une prédiction faite il y a 30 ans. Les observations du satellite Planck, elles ont apporté un soutien solide au modèle cosmologique standard, basé sur la relativité générale et la constante cosmologique. La détection d'ondes gravitationnelles, c'est une confirmation spectaculaire de la relativité générale, qui a plus de 100 ans. Ces trois succès, obtenus grâce à des efforts techniques considérables et à la collaboration de centaines de scientifiques, ils ont juste renforcé notre compréhension actuelle de la structure de l'univers. Pas de vraie surprise.
Mais cette absence de surprise, c'est, en quelque sorte, une surprise en soi. Parce que beaucoup de gens s'attendaient à un coup de théâtre. À la découverte d'une "nouvelle physique" que les théories établies ne décrivaient pas. Au CERN, ils espéraient voir des particules supersymétriques, et pas seulement le boson de Higgs. Beaucoup de gens espéraient que le satellite Planck observerait des écarts par rapport au modèle cosmologique standard. Des écarts qui auraient soutenu d'autres théories cosmologiques, au-delà de la relativité générale.
Mais non. La nature, elle a donné un signal simple: la relativité générale, la mécanique quantique, et, à l'intérieur de la mécanique quantique, le modèle standard, tout ça, c'est correct.
Maintenant, beaucoup de physiciens théoriciens, ils cherchent de nouvelles théories en faisant des hypothèses un peu au hasard: "Imaginons que...". Je pense pas que cette façon de faire de la science, elle donne de bons résultats. Nos fantasmes, ils sont trop limités par notre "imagination" du monde, si on cherche pas l'inspiration dans les traces qu'on a à portée de main. Les traces qu'on a, nos indices, c'est soit les théories qui ont du succès, soit les nouvelles données expérimentales. Y a rien d'autre. C'est dans ces données et dans ces théories qu'on doit découvrir ce qu'on est pas encore capables d'imaginer. C'est comme ça qu'ont fait Copernic, Newton, Maxwell, Einstein. Ils ont jamais "deviné" une nouvelle théorie. Ils ont jamais fait comme trop de physiciens théoriciens essaient de le faire aujourd'hui.
Les trois résultats expérimentaux dont je vous ai parlé, pour l'instant, ils ont fait parler la nature: "Arrêtez de fantasmer sur des nouveaux champs ou des particules bizarres. Des dimensions supplémentaires, d'autres symétries, des univers parallèles, des cordes, ou quoi que ce soit d'autre. Le puzzle, il est simple. C'est la relativité générale, la mécanique quantique et le modèle standard. La prochaine étape, c'est peut-être 'juste' de les intégrer correctement." C'est un conseil réconfortant pour la communauté de la gravité quantique, parce que c'est l'hypothèse de la théorie. La relativité générale, la mécanique quantique et le modèle standard compatible avec elles, y a rien d'autre. Les conséquences conceptuelles fondamentales: la quantification de l'espace, la disparition du temps... c'est pas des hypothèses audacieuses. C'est des conséquences logiques qu'on tire en prenant au sérieux les intuitions fondamentales de nos meilleures théories.
Bon, c'est peut-être pas encore des preuves définitives, hein. Les particules supersymétriques, elles finiront peut-être par apparaitre. Peut-être à des échelles qu'on a pas encore atteintes. Et même si la gravité quantique à boucles, elle est correcte, elles pourraient quand même apparaitre. Le fait que les particules supersymétriques soient pas apparues là où on s'y attendait, ça a un peu déprimé les théoriciens des cordes, et ça a un peu remonté le moral des théoriciens des boucles. Mais ça reste une question d'indices. Y a pas encore de preuves solides, quoi.
Pour trouver des preuves plus solides, faut qu'on regarde ailleurs. L'univers primitif, il nous ouvre une fenêtre pour faire des prédictions qui pourraient confirmer la théorie. J'espère que ce sera dans un futur pas trop lointain. Ou peut-être qu'elles pourront prouver que la théorie est fausse.
Bon, "Une fenêtre sur la gravité quantique", quoi.
Si on a les équations qui décrivent l'évolution de l'univers dans la phase quantique, on peut calculer l'influence des phénomènes quantiques sur l'univers qu'on observe aujourd'hui. L'univers, il est rempli de rayonnement cosmologique. Une grande quantité de photons qui restent de la phase chaude initiale. Le souvenir de la chaleur primordiale, quoi.
Les champs électromagnétiques dans les immenses espaces entre les galaxies, ils vibrent comme la surface de la mer après une tempête. Ces vibrations qui baignent tout l'univers, on les appelle le fond diffus cosmologique. Et ces vibrations, elles ont été étudiées ces dernières années par des satellites comme COBE, WMAP et, plus récemment, Planck. Une image des petites fluctuations de ce rayonnement, elle est présentée dans le chapitre 9. Les détails de la structure de ce rayonnement, ils peuvent nous raconter l'histoire de l'univers. Les indices de l'origine quantique de l'univers, ils sont peut-être cachés là-dedans.
Un des domaines de recherche les plus actifs en gravité quantique, c'est justement d'étudier comment la dynamique quantique de l'univers primitif se reflète dans ces données. C'est encore au stade des balbutiements, mais c'est encourageant. Avec plus de calculs et des mesures plus précises, on devrait pouvoir tester la théorie.
En 2013, Abhay Ashtekar, Ivan Agullo et William Nelson, ils ont publié un article où ils calculaient, sous certaines hypothèses, que la distribution statistique des fluctuations de ce rayonnement cosmologique, elle devrait révéler l'influence du rebond initial. Les fluctuations à grande échelle, elles devraient être différentes de ce que prédisent les théories qui ne tiennent pas compte de la quantification. L'état actuel des mesures, il est représenté dans la figure du chapitre 9. La ligne noire, elle représente la prédiction d'Ashtekar, Agullo et Nelson. Les points gris, ce sont les données expérimentales. Pour l'instant, ces données, elles sont pas assez précises pour qu'on puisse dire si la ligne noire, qui remonte vers le haut, prédite par les trois auteurs, elle est correcte. Mais les mesures, elles deviennent de plus en plus précises, et la situation, elle évolue. Et ceux qui, comme moi, ont consacré leur vie à essayer de comprendre les mystères de l'espace quantique, ils suivent de près, avec espoir et angoisse, les progrès constants de nos capacités d'observation, de mesure et de calcul. En espérant que la nature nous dise un jour si on a raison ou tort.
Bon, "Les trous noirs quantiques", quoi.
Il existe des trous noirs en grande quantité dans notre univers. Des zones où l'espace est tellement courbé qu'il finit par s'effondrer sur lui-même, et où le temps s'arrête. Je vous l'ai dit, quand une étoile, elle a épuisé tout son hydrogène combustible, elle s'effondre, et elle forme un trou noir.
Les étoiles qui s'effondrent, elles sont souvent en couple avec une étoile voisine. Dans ce cas-là, le trou noir et son "partenaire" qui a survécu, ils se tournent autour. Et le trou noir, il aspire constamment de la matière à l'autre étoile.
Les astronomes, ils ont découvert beaucoup de trous noirs qui ont la taille de notre soleil. En fait, un peu plus gros, hein, quand on parle de taille, on parle de masse. Mais il y a aussi des trous noirs gigantesques. Presque toutes les galaxies, elles ont un trou noir géant en leur centre, y compris la nôtre.
Le trou noir qui est au centre de notre galaxie, il est étudié de près en ce moment. Sa masse, elle est un million de fois supérieure à celle de notre soleil. Parfois, une étoile, elle s'approche trop près de ce monstre, et elle est déchirée par les forces de marée et avalée par le trou noir géant. Comme un petit poisson qui se fait avaler par une baleine. Imaginez un monstre qui a 100 millions de fois la taille du soleil, et qui avale notre soleil et ses petites planètes en une fraction de seconde...
Y a un projet super intéressant en cours pour construire un réseau d'antennes radio réparties dans le monde entier. Comme ça, les astronomes, ils pourront avoir une résolution suffisante pour "voir" les trous noirs géants. On s'attend à voir un petit disque noir, entouré par la lumière du rayonnement de la matière qui est en train d'être aspirée.
Ce qui entre dans un trou noir peut plus en sortir. En tout cas, si on néglige la théorie quantique. La surface du trou noir, c'est comme le présent: on peut la traverser dans un seul sens, on peut pas revenir du futur. Pour le trou noir, le passé, il est à l'extérieur, et le futur, il est à l'intérieur. Vu de l'extérieur, un trou noir, il ressemble à une sphère. On peut y entrer, mais rien peut en sortir. Une fusée, elle peut rester à une distance fixe de cette sphère. On appelle cette distance "l'horizon" du trou noir. Pour ça, faut que la fusée fasse tourner ses moteurs à fond, pour compenser l'attraction gravitationnelle du trou noir. La force gravitationnelle énorme du trou noir, ça veut dire que le temps, il passe plus lentement pour la fusée. Si la fusée, elle reste une heure à proximité de l'horizon, puis elle repart, elle constatera qu'il s'est passé des siècles à l'extérieur. Plus la fusée s'approche de l'horizon, plus le temps passe lentement par rapport à l'extérieur. Donc, voyager dans le passé, c'est difficile. Mais voyager dans le futur, c'est facile. Suffit d'approcher un vaisseau spatial près d'un trou noir, d'y rester un petit moment, puis de repartir.
À l'horizon, le temps, il s'arrête. Si on s'approche hyper près, et qu'on repart après quelques minutes, mesurées par notre horloge, il s'est peut-être passé un million d'années dans le reste de l'univers.
Ce qui est vraiment étonnant, c'est que les propriétés de ces objets étranges qu'on observe couramment aujourd'hui, elles avaient été prédites depuis longtemps par la théorie d'Einstein. Aujourd'hui, les astronomes, ils étudient ces objets dans l'espace. Mais, y a pas si longtemps, les trous noirs, ils étaient considérés comme un résultat bizarre d'une théorie curieuse. Je me souviens que mes professeurs à l'université, quand ils les présentaient comme des solutions des équations d'Einstein, ils disaient "Il est peu probable qu'il existe des objets réels qui leur correspondent". C'est la puissance étonnante des physiciens théoriciens: ils peuvent découvrir des choses avant qu'on les observe.
Les trous noirs qu'on observe, ils sont très bien décrits par les équations d'Einstein. Pour les comprendre, y a pas besoin de la mécanique quantique. Mais il y a deux énigmes concernant les trous noirs qui ont besoin de la mécanique quantique pour être résolues. Et la théorie des boucles, elle offre des réponses possibles aux deux. Et pour une des deux énigmes, elle offre une occasion de tester la théorie.
La première application de la gravité quantique aux trous noirs concerne un fait étrange découvert par Stephen Hawking. Au début des années 1970, il a théoriquement déduit que les trous noirs sont "chauds". Ils se comportent comme des objets chauds: ils émettent de la chaleur. Et en émettant de la chaleur, ils perdent de l'énergie et de la masse, parce que l'énergie et la masse, c'est la même chose. Ils deviennent de plus en plus petits