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Calculating...

Euh, bon, alors, on va parler un peu de... comment dire... des entreprises "hollow", des entreprises vides, quoi. C'est un concept assez intéressant. En gros, l'idée, c'est... on a toujours eu ce débat, hein, du "faire ou acheter", "make or buy", comme ils disent en anglais.

Pendant longtemps, on avait des mecs comme Henry Ford, vous voyez, qui voulaient tout contrôler, absolument tout. De la matière première jusqu'à la voiture finie. C'était vraiment, euh... l'obsession du contrôle total. Il voulait même cultiver son propre caoutchouc au Brésil, c'est dire ! Fordlandia, ils appelaient ça. Ça a pas marché, hein, mais bon, l'intention était là. Et William Morris, pareil, le mec qui a monté Morris Motors, super pointilleux. Il paraît que le seul truc qu'il fabriquait pas, c'était le manuel d'utilisation.

Mais après, tu as des mecs comme Sloan, chez General Motors, qui pensaient différemment. Plus de décentralisation, quoi. C'est peut-être pour ça que leur décision d'acheter Fisher Body, qui fabriquait des pièces de carrosserie, a tellement marqué l'histoire. Y'a même un mec, Demsetz, qui en avait marre d'entendre parler de Fisher Body et GM lors d'une réunion économique ! Coase, lui, était à fond sur le sujet.

D'ailleurs, Coase expliquait qu'il avait hésité à parler de cette histoire de Fisher Body dans son article de 1937 parce que A. O. Smith, qui fabriquait les châssis, était restée indépendante. Bon, Fisher avait construit une usine près de GM, à Détroit, mais Smith était basé à Milwaukee, à des centaines de kilomètres. Une relation était contractuelle, l'autre hiérarchique.

Même Ford, avec son obsession de l'intégration verticale, achetait des carrosseries à Briggs, une entreprise de Détroit qui fournissait d'autres constructeurs. Et Morris, en Angleterre, a essayé de collaborer avec Budd, une entreprise américaine, pour la carrosserie. Ça a mal tourné, et finalement, Pressed Steel est devenue une entreprise indépendante.

Alors, pourquoi GM a acheté Fisher Body et pas A. O. Smith ? Peut-être que les frères Fisher voulaient des postes importants chez GM, tandis que les Smith voulaient rester indépendants. C'est souvent une question de... de gens, quoi, de qui aura les postes les plus importants.

Bref, ce "faire ou acheter", ça a été une question cruciale pour les entreprises. On est passé de l'obsession du contrôle total à... à la "hollow corporation", à l'entreprise vide. C'est Norman Jonas qui a utilisé ce terme pour la première fois, je crois, dans BusinessWeek, pour décrire les entreprises qui externalisent de plus en plus leurs activités.

Et puis, cette question est devenue politique aussi. Est-ce que l'externalisation a détruit les économies occidentales ? Quels services publics l'État devrait-il assurer lui-même et lesquels devraient être confiés au privé ?

Aujourd'hui, on trouve des usines comme celle de Carron Works ou de River Rouge... mais au Mexique ou en Asie, pas aux États-Unis ou en Europe. C'est marrant, hein, le discours traditionnel du capitalisme décrit mieux les affaires en Chine communiste que dans l'Amérique soi-disant capitaliste.

On se souvient de la catastrophe de Triangle, hein? Et bien un siècle après, dans une usine Tazreen Fashions au Bangladesh, y'a eu un incendie, pas d'issue de secours, les portes étaient fermées... plus de cent morts. Le procès du patron a commencé y'a quelques années et... et c'est toujours en cours. Le Bangladesh est un gros exportateur de vêtements, fabriqués dans des usines comme Tazreen, avec des jeunes femmes qui fuient la campagne pour trouver du travail. C'est un peu comme le début de la révolution industrielle, quoi.

Alors, ce que je veux dire, c'est que c'est plus une question de niveau d'industrialisation, en fait. On est pas au même niveau aux États-Unis, en Chine et au Bangladesh. C'est pas juste une question de capitalisme contre socialisme.

Après, y'a eu des mecs comme Thomas Friedman, le journaliste du New York Times, qui ont beaucoup parlé de mondialisation. Pour lui, le monde est plat, les marques sont globales, les chaînes d'approvisionnement sont internationales.

Nike, par exemple, est l'archétype de la "hollow corporation". Ils ne fabriquent rien eux-mêmes. Tout est fait en Asie, y compris au Bangladesh. Même le logo, le "swoosh", a été externalisé !

Le premier McDonald's dans un pays communiste, c'était à Belgrade, en Serbie. Avant la guerre, paraît-il, les supporters serbes chantaient "On a un McDonald's, et vous ?". C'est une façon de dire... que Friedman pensait même que les chaînes d'approvisionnement intégrées empêcheraient les guerres. Sa théorie des Arches Dorées, il l'appelait ça. Bon, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a un peu cassé cette idée.

Mais bon, la "Nikefication", c'est pas forcément un compliment. On critique l'externalisation, qui a déplacé beaucoup d'usines d'Europe et des États-Unis vers l'Asie. Y'a la destruction des communautés, le fait que les conditions de travail sont mauvaises dans les pays comme le Bangladesh.

Alors, c'est sûr, ton T-shirt peut représenter plus d'une semaine de salaire pour la personne qui l'a fabriqué. Mais c'est pas ton achat qui est la cause de la misère au Bangladesh, au contraire, c'est peut-être leur seule chance de s'en sortir. Si tu boycottes, tu leur fais du mal.

L'industrie du vêtement représente plus de 80% des exportations bangladaises. Et c'est souvent des petites entreprises qui ont appris leur métier dans des ateliers insalubres. Alors, c'est sûr, tu peux enrichir des intermédiaires pas toujours recommandables, mais il faut pas non plus chercher à imposer nos valeurs à tout le monde. Les entreprises occidentales peuvent aider les pays pauvres en exportant leur savoir-faire et en respectant des normes qui sont bonnes par rapport aux standards locaux, même si elles sont moins élevées que chez nous.

Apple, par exemple, externalise la fabrication de ses produits chez Foxconn, une entreprise chinoise. Et les processeurs Apple sont fabriqués par TSMC, une entreprise taïwanaise. Le développement économique de l'Asie de l'Est après la guerre est incroyable. Taïwan, la Corée... Et la Chine aussi, même si les chiffres sont parfois un peu... comment dire... douteux.

Ces pays ont pu adopter les technologies et les méthodes des pays les plus avancés. Ils ont profité du savoir mondial et sont maintenant eux-mêmes des "insourcers" et des "outsourcers". Foxconn fabrique des produits Apple en Chine, et Samsung a délocalisé certaines activités moins rentables au Vietnam. La mondialisation a des défauts, c'est clair, mais elle a permis une division du travail qu'Adam Smith n'aurait jamais imaginée. La réduction de la pauvreté en Asie est la preuve qu'il y a plus que des vêtements pas chers chez Primark et Walmart.

La pandémie de Covid a soulevé des questions sur la solidité des chaînes d'approvisionnement mondiales. On a peut-être privilégié les économies à court terme au détriment de la sécurité. Et puis, avec la guerre en Ukraine, les tensions autour de Taïwan, on s'inquiète encore plus.

Parlons un peu du *franchising* et des plateformes, tiens. Le *franchising*, c'est pas nouveau. L'époque colonialiste était un peu une forme de *franchising* aux entreprises privées, hein, en fait. Mais au XXe siècle, ça a pris une autre ampleur.

Ray Kroc, le mec de McDonald's, était un vendeur de machines à milkshakes. Il a rencontré les frères McDonald, qui avaient un restaurant à San Bernardino, en Californie. Ils avaient mis au point un système de service rapide avec un menu limité et un processus répétitif. Kroc est devenu leur agent pour vendre leur concept.

Tout le monde connaît la suite, hein. Le modèle de *franchising* de Kroc était basé sur une standardisation rigoureuse. Tu peux acheter un Big Mac presque identique partout dans le monde. Et ça a permis à des personnes sans expérience de créer leur propre entreprise avec peu de capital et une bonne chance de succès.

D'autres chaînes de restauration rapide et d'autres entreprises de services ont imité ce modèle. La marque commune facilite le marketing et donne plus de poids aux franchisés auprès des fournisseurs. Aujourd'hui, il y a même des cabinets d'expertise comptable mondiaux qui fonctionnent avec ce système. Et McDonald's et KPMG doivent contrôler le travail de leurs franchisés pour garantir la qualité de leur marque.

Les clients de Facebook, Twitter et YouTube sont aussi leurs fournisseurs. C'est pareil pour eBay et Google. L'ère numérique a créé un nouveau type d'entreprise. La fusion catastrophique entre AOL et Time Warner était basée sur l'idée fausse qu'il fallait posséder le contenu pour contrôler la plateforme. C'est la même erreur que William Morris, avec ses manuels d'utilisation.

En fait, il suffit de contrôler la source de ton avantage concurrentiel. Sloan l'avait compris, Ford non. Time Warner n'avait pas besoin de posséder AOL pour diffuser Casablanca ou "Happy Birthday". D'autres entreprises se seraient battues pour avoir ces droits sur leurs plateformes. Time Warner avait un avantage clair et durable, celui d'AOL était faible et temporaire.

La "gig economy", l'économie des petits boulots, va encore plus loin dans cette désintégration des chaînes d'approvisionnement. IKEA's TaskRabbit et Amazon's Mechanical Turk mettent en relation des personnes qui cherchent du travail avec des clients qui ont besoin de services. Une étude a montré qu'un tiers des Américains tirent une partie de leurs revenus de ce genre d'activités.

Airbnb et Uber ont des caractéristiques de plateformes et de *franchises*. Ce sont des plateformes qui mettent en relation des hôtes et des voyageurs, des chauffeurs et des passagers. Et ce sont des *franchises* qui doivent contrôler la qualité des logements et la fiabilité des chauffeurs. Uber avait plus de cinq millions de chauffeurs, et Airbnb, plus de quatre millions d'hôtes.

Toutes ces "hollow corporations" ont en commun de se concentrer sur le seul maillon de la chaîne de production où elles ont un avantage concurrentiel. C'est ça qui a changé le paysage économique, grâce au développement d'institutions qui permettent aux entrepreneurs d'externaliser les fonctions qu'ils ne maîtrisent pas. Si la chaîne de montage était l'innovation du XXe siècle, la "hollow corporation" est peut-être l'innovation du XXIe siècle.

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