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Calculating...

Alors, euh, on va parler d'un truc aujourd'hui, enfin, un chapitre en particulier, c'est le chapitre 10, et, euh, ça parle de, en gros, pourquoi la fixation d'objectifs, comme on la connaît, elle est un peu cassée, quoi.

C'est marrant parce que, tu vois, on nous dit souvent que le succès, c'est... c'est une question de talent inné, ou de persévérance à toute épreuve. Mais en fait, si on regarde l'histoire d'Amelia Earhart, par exemple, ben, ce qui l'a vraiment menée à découvrir son chemin, c'était surtout une curiosité sans fin. Elle, elle disait, hein, je crois, que ce qui la motivait dans la vie, c'était "aimer expérimenter", c'est-à-dire, ce truc en elle qui a toujours eu envie d'essayer de nouvelles choses, quoi. Bien sûr qu'elle avait peur de l'échec des fois, hein, mais elle embrassait ses peurs. Elle était ambitieuse, ça c'est sûr, mais elle voulait aussi avoir un impact positif. Elle était motivée, hyper, mais sans se focaliser sur un but final précis, tu vois. Pour elle, l'aventure, c'était ça qui valait le coup en soi.

On ne parle jamais de toutes ces autres facettes de sa vie dans les livres d'histoire. Et pourtant, c'est justement parce qu'elle a pris plein de chemins de traverse pour devenir une aviatrice que son histoire est aussi dingue, quoi. Elle a sans arrêt réinventé sa carrière, remis en question l'ordre établi et elle a cherché à aider les autres à s'élever, tout en traçant sa propre voie.

Et c'est un peu dommage, parce qu'on est tous nés avec ce sens de l'aventure, tu vois. Les enfants, c'est dans leur nature d'expérimenter, d'explorer l'inconnu. Ils apprennent en bougeant, et ça, c'est essentiel pour développer leurs compétences émotionnelles, cognitives et sociales. Ils absorbent et connectent des infos en explorant constamment leur environnement. Ils essaient des trucs qui dépassent leurs capacités, ils tentent de prévoir les conséquences de leurs actions et ils n'arrêtent pas de demander "Pourquoi ?". En fait, les enfants posent plus d'une centaine de questions par heure, en moyenne ! En se plantant vite et souvent, ils apprennent de chaque expérience pour aller de l'avant. Ce sont des aventuriers insatiables, les gosses.

Mais bon, il y a un moment où quelque chose change. On nous apprend à performer, au sens propre comme au figuré, hein : à atteindre des objectifs précis, à l'école ou au travail, mais aussi à se présenter d'une manière conforme aux attentes de la société. Bon, certains arrivent à garder une attitude d'enfant aventureux, en gardant leurs options ouvertes, toujours à l'affût de ce qui pourrait arriver. Mais la plupart d'entre nous, on s'accroche à ce qu'on connaît. Quand on pense à notre avenir professionnel, on cherche une histoire lisible, qui donne une impression de stabilité, avec un récit cohérent et des étapes claires vers le succès. Si tout va bien, on est embauché pour donner des réponses basées sur notre expertise, pas des questions basées sur notre curiosité. On commence à se soucier de ce que les autres pensent de nous et on projette une image de confiance, en se concentrant plus sur l'emballage que sur l'amélioration personnelle. On accueille tout ce qui donne l'impression de contrôler, qu'il s'agisse d'un outil de productivité, d'une méthode de gestion du temps ou d'une méthode pour se fixer des objectifs.

Ce passage de la curiosité sans bornes à la détermination étroite, c'est ça qui explique pourquoi l'approche traditionnelle des objectifs nous déçoit toujours. Ça entrave notre créativité et ça nous empêche de voir et de saisir de nouvelles opportunités.

On tombe dans le piège des objectifs linéaires, quoi. Déjà, les philosophes en parlaient il y a plus de deux mille ans, hein. "Que tous vos efforts soient dirigés vers quelque chose, gardez ce but en vue", conseillait Sénèque. Pour Épictète, se fixer des objectifs, c'était une question de clarté et de détermination : "Dites-vous d'abord ce que vous voulez être, et ensuite faites ce que vous devez faire".

Dans les années 60, le psychologue américain Edwin Locke s'est inspiré des travaux de ces philosophes antiques. Sa théorie de la fixation d'objectifs a lancé une vague de recherches sur la relation entre les objectifs et la performance. Un de ces modèles de fixation d'objectifs, imaginé au début des années 80, préconisait des objectifs "SMART", c'est-à-dire spécifiques, mesurables, assignables, réalistes et temporellement définis. Ce modèle est encore utilisé aujourd'hui par des milliers d'entreprises dans le monde et a même dépassé la sphère du management pour envahir celle du développement personnel.

Toutes ces approches de la fixation d'objectifs sont basées sur des objectifs linéaires. Elles ont été créées pour des environnements contrôlés qui se prêtent à des résultats facilement mesurables avec des échéances prévisibles.

Le problème, c'est que cette approche linéaire est complètement décalée par rapport à nos vies d'aujourd'hui. Les défis auxquels on est confrontés et les rêves qu'on poursuit sont de plus en plus difficiles à définir, à mesurer et à encadrer dans un calendrier précis. En fait, un défi courant pour beaucoup de gens, en ce moment, c'est de se sentir bloqué quand il s'agit de décider des prochaines étapes. Au lieu de motiver, l'idée de se fixer un objectif bien défini les paralyse. Quand l'avenir est incertain, les paramètres précis des méthodes rigides de fixation d'objectifs ne servent pas à grand-chose. C'est comme lancer des fléchettes sans cible.

Ce manque de clarté dans un monde qui change sans arrêt a conduit à une ambivalence généralisée à l'égard des objectifs. Certains ont même annoncé la fin de l'ambition, une nouvelle ère où le concept de satisfaction au travail est devenu un paradoxe.

Mais l'ambition n'est pas cassée. C'est toujours ce que ça a toujours été : le désir humain inné de grandir, un désir qui est à la fois universel et très personnel. Les gens ne sont pas cassés non plus. Ils ont toujours envie de créativité et de connexion. C'est la façon dont on se fixe des objectifs qui est cassée.

Les objectifs linéaires, ils stimulent la peur. Commencer quelque chose de nouveau, c'est intimidant, surtout quand c'est loin de notre zone de confort. On n'est pas sûr par où commencer, et parfois, le nombre d'options est tellement grand qu'on est paralysé par l'analyse. On est submergé par les choix et on n'arrive pas à agir. D'autres fois, on a l'impression qu'on n'est pas assez qualifié et on doute de nous. On pense qu'on n'a pas le temps ou les ressources financières nécessaires. Ou alors, on commence à imaginer ce qui va se passer si on échoue, et l'anxiété nous arrête net.

Les objectifs linéaires, ils encouragent la productivité toxique. On en vient à développer une mentalité trop stricte où on pense que si on ne termine pas chaque tâche, tout va s'écrouler. On travaille de longues heures, on culpabilise de prendre des pauses, on annule des sorties avec des amis pour travailler plus. On se fixe des échéances irréalistes et on se blâme quand on ne les respecte pas. On recherche l'outil de productivité parfait au lieu de simplement se demander comment on se sent. On travaille même quand on est malade. Tout pour éviter de ralentir sur le tapis roulant du succès. Cet accent mis sur la vitesse au détriment d'une progression durable nous épuise mentalement et, ironiquement, nous rend moins productifs.

Les objectifs linéaires, ils créent de la compétition et de l'isolement. Quand tout le monde autour de nous grimpe la même échelle, en se bousculant, on devient compétitif pour de mauvaises raisons. Même quand on considère les objectifs comme notre propre échelle individuelle, on regarde les autres sur la leur et on essaie d'arriver en haut le plus vite possible. Dans les deux cas, les objectifs linéaires favorisent une mentalité individualiste qui peut nous faire considérer les collaborateurs potentiels comme des concurrents, ce qui entraîne de l'aliénation, un manque de soutien et moins d'opportunités. La comparaison constante et l'accent mis sur la réussite individuelle nous empêchent de mettre nos ressources en commun et d'apprendre les uns des autres, au détriment de nos carrières et de nos communautés.

C'est en partie pour ça que l'ambition est devenue un gros mot. On suppose qu'être ambitieux, c'est suivre un scénario préécrit et grimper une échelle sans fin, parfois au détriment des autres. Ce défaut n'est pas nouveau, mais la vie moderne a créé un tableau de classement public géant qui amplifie le besoin artificiel de rivaliser. À cause des réseaux sociaux, on se compare plus que jamais à nos pairs. On est informé des prouesses professionnelles non seulement de nos collègues, mais aussi de toutes les personnes avec qui on a étudié. On reçoit des rappels constants de la vie soi-disant parfaite de tous les membres de notre réseau. Et donc, notre définition du succès ne cesse de s'étendre au fur et à mesure qu'on avance.

Nos objectifs ne sont même pas les nôtres, en fait. On les emprunte à nos pairs, aux célébrités et à ce qu'on imagine que la société attend de nous. Le philosophe français René Girard appelait ça le désir mimétique : on désire quelque chose parce qu'on voit les autres le désirer. En d'autres termes, nos objectifs imitent les objectifs des autres.

Bien sûr, c'est impossible de ne pas évaluer notre progression par rapport aux autres joueurs, sauf que le tableau de classement est truqué et que tout le monde ne montre qu'une version déformée de sa vie, des instantanés de bonheur fabriqué où toutes les difficultés et les doutes ont été gommés.

La peur de l'échec nous pousse à nous arrêter et à repartir sans cesse, ce qui donne un chemin irrégulier où on revient sans cesse à notre zone de confort avant de tenter de progresser à nouveau. La productivité toxique conduit à l'épuisement professionnel, ce qui crée des hauts et des bas. Travailler dans l'isolement signifie qu'on n'a pas les réseaux de soutien nécessaires pour faciliter le chemin.

Suivre ce chemin chaotique avec ses hauts et ses bas intenses a des répercussions. On progresse peut-être, mais on a l'impression d'être constamment en échec. Alors, au lieu d'inspirer des prochaines étapes audacieuses, nos objectifs suscitent de l'anxiété (Et si je n'y arrive pas ?), de l'apathie (Pourquoi s'en soucier alors que le voyage à venir est déjà tout tracé ?) et de la colère (Pourquoi suis-je obligé de jouer à ce jeu ?).

Mais cet effondrement des vieilles méthodes n'est pas une crise. C'est une occasion rare d'améliorer la façon dont on explore nos ambitions.

Imaginez que vous voyagez seul en avion sur un vol long-courrier sans Wi-Fi à bord. Vous voilà à 10 000 mètres d'altitude, suspendu dans le ciel, en transition d'un endroit à un autre, ni ici ni là. Les lieux et les personnes qui définissent et contrôlent habituellement votre vie quotidienne sont à des kilomètres. Vous ne savez pas exactement ce qui va se passer après votre atterrissage, mais vous ne pouvez pas vous précipiter vers votre destination pour le découvrir.

Comment réagissez-vous à cet environnement ?

Réponse 1 : Inconfort, peur, impuissance. Vous êtes en fait en train de foncer à 10 000 mètres d'altitude dans une boîte de conserve avec quelqu'un d'autre aux commandes. Vous vous envoyez de l'alcool pour calmer votre peur ou vous essayez de dormir pour chasser votre anxiété. Vous vous déconnectez au maximum et vous priez une puissance supérieure pour que le pilote réussisse à faire atterrir l'avion.

Ou…

Réponse 2 : Joie, calme, curiosité. Éloigné de votre quotidien, vous vous détendez, oui, même dans ce siège inconfortable. Dans cet espace étrange, vous ressentez un sentiment de possibilité revigorant. Vous pourriez lire un livre qui vous intrigue depuis longtemps, mais pour lequel vous n'aviez pas le temps. Regarder un film que vos amis seraient surpris de vous voir apprécier. Engager la conversation avec un inconnu. Peut-être que vous écrivez dans votre journal, en réfléchissant à ce qui s'est passé et en ruminant ce qui va arriver. Libéré de vos tâches habituelles, déchargé des contraintes de votre identité quotidienne, vous trouvez l'espace mental pour faire quelque chose d'un peu différent.

Le vol que je viens de décrire est un espace liminal, un territoire intermédiaire où les anciennes règles qui régissent nos choix ne s'appliquent plus. La vie est pleine de ces moments, et la mesure dans laquelle on apprend à tirer les leçons de ces moments détermine la mesure dans laquelle on grandit et on améliore nos vies.

Mais notre cerveau est mal à l'aise dans ces moments intermédiaires. On est programmé pour étiqueter rapidement les situations comme bonnes ou mauvaises, un mécanisme d'évolution conçu pour nous protéger des risques inconnus. Sûr ou pas sûr ? Ami ou ennemi ? Passage secret ou impasse ? Cependant, cet instinct peut devenir problématique lorsqu'une réponse claire n'est pas facilement disponible.

Notre activité neuronale s'intensifie dans de telles situations, ce qui indique un état d'éveil accru. Tout comme une sentinelle en état d'alerte, le cerveau se prépare à des menaces potentielles. L'incertitude devient un carburant pour l'anxiété. En fait, l'incertitude s'avère plus stressante qu'une douleur inévitable. Quand on ne sait pas ce qui va arriver, on réfléchit trop à toutes les possibilités et on évoque des scénarios catastrophes. Bien qu'on aimerait lâcher prise et s'envoler dans le ciel, on se retrouve souvent à souffrir de la réponse 1 : malaise, voire terreur.

À ce moment-là, on a tendance à recourir à l'un des trois mécanismes de défense suivants, où on abandonne notre curiosité, notre ambition ou les deux :

Le cynisme : S'abrutir sur son téléphone, refuser des opportunités, se moquer des gens sincères. On considère la transformation comme une source de travail dénuée de sens, et on abandonne tout désir de bâtir une belle vie. Pourquoi souffrir quand on peut simplement survivre ?

L'évasion : Achats compulsifs, frénésie de séries, planification de rêves. On s'enferme sur une île où on peut se libérer du fardeau de nos responsabilités, un endroit idéalisé pour échapper à l'incertitude de nos vies.

Le perfectionnisme : Auto-contrainte, accumulation d'informations, productivité toxique. On se traite comme la belle-mère traite Cendrillon : "du matin au soir, elle devait effectuer des travaux difficiles, se lever tôt, porter de l'eau, faire le feu, cuisiner et laver", sans repos ni temps pour nous.

Ce ne sont pas des types de personnalité. Ce sont plutôt des boucliers qu'on lève face à l'incertitude. On peut passer de l'un à l'autre en fonction des circonstances.

Et ces mécanismes de défense sont tout à fait normaux. Ils font partie d'un processus cognitif que les psychologues appellent le contrôle compensatoire. Face à une expérience stressante, notre premier réflexe est de supprimer le facteur de stress. Et quand on ne peut pas éliminer la source de stress, on recherche d'urgence des activités qui rétablissent notre sentiment de contrôle, tout ce qui peut compenser notre impuissance.

Non seulement ces boucliers qu'on lève pour se protéger sont inefficaces dans notre monde moderne, mais ils bloquent aussi nos possibilités de croissance, de découverte de soi et ce qui rend la vie passionnante.

Les psychologues disent souvent que notre liberté se situe dans l'intervalle entre le stimulus et la réponse. On peut gérer le lourd fardeau de l'incertitude comme le voyageur effrayé, en fermant les yeux et en attendant qu'un pilote anonyme fasse atterrir l'avion, ou on peut tenter courageusement d'explorer les possibilités de cet espace intermédiaire.

Comme l'a dit Amelia Earhart : "Le plus difficile, c'est de prendre la décision d'agir." Bien qu'on n'ait pas toutes les informations à portée de main, on peut choisir le mouvement au lieu de la stagnation, l'exploration au lieu de la paralysie. Et quand on le fait, le ciel n'est que le début. C'est la promesse d'un état d'esprit expérimental.

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