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Alors, chapitre onze, hein... Échapper à la tyrannie du but. C'est quelque chose, ça! On est tellement nombreux à penser que tout ce qu'on fait dans la vie, ça doit suivre une espèce d'histoire cohérente, avec un but ultime, tu vois? Ces dernières années, la société est devenue carrément obsédée par les carrières "axées sur un but", l'idée qu'on est tous là pour accomplir une mission unique et spéciale. Dans les livres, par exemple, l'expression "trouver son but" a vu sa popularité exploser de plus de 700 % ces vingt dernières années. C'est fou, non?
Souvent, on nous vend la recherche de ce "but" comme une alternative aux parcours traditionnels, conformistes, ou carrément égoïstes. Mais moi, je dirais que ça ne fait que remplacer une forme de conformisme par une autre, hein! En se concentrant sur ce "but", on croit qu'on trace un chemin unique, mais en réalité, et vous allez le voir dans ce chapitre, on ne fait que limiter notre potentiel d'évolution et d'apprentissage.
Tiens, prenons l'exemple de Ron Finley. Sa vie aurait été vraiment moins riche s'il s'était accroché à l'idée que sa vie professionnelle devait avoir un seul et unique but à atteindre absolument. Au début, Finley s'est fait connaître comme styliste à Los Angeles, avec une collection vendue dans les plus grands magasins du pays. Il s'était lancé dans la mode parce qu'il trouvait qu'il n'y avait pas assez de créateurs qui faisaient des vêtements spécialement pour les personnes de couleur. On pourrait dire que c'était un projet passion, avec un succès commercial impressionnant, hein! Mais après, patatras, la récession! Les magasins ont arrêté de l'appeler, et le rêve de devenir un grand couturier, c'était plus vraiment possible, quoi.
À peu près à ce moment-là, Finley a commencé à en avoir marre de devoir faire des kilomètres pour trouver des produits sains. C'était plus facile d'acheter de la drogue que des tomates bio, quoi! Son quartier, South Central Los Angeles, c'était un désert alimentaire. Il appelait ça une "prison alimentaire", parce qu'il fallait s'en échapper pour avoir accès à une nourriture saine. Du coup, au lieu de se taper des heures de route pour acheter une tomate, il a décidé de planter des fruits et des légumes sur le terrain entre le trottoir et la rue, devant chez lui.
Et là, l'expérience est devenue une vraie révolution! Quand Finley a reçu une contravention pour avoir jardiné sans permis, il s'est battu, il a lancé une pétition, et finalement, la ville de Los Angeles a changé la loi! Il a été invité à faire une conférence TED, ce qui a donné naissance au mouvement du "guerrilla gardening", le jardinage urbain comme acte révolutionnaire, une libération d'un système alimentaire pourri, tu vois?
Quand Finley et moi, on s'est parlé en visio, lui à Los Angeles et moi à Londres, il m'a fait visiter son jardin. Ce qui avait commencé comme une envie de faire pousser quelques tomates s'était transformé en un Éden communautaire. "Là, c'est un poirier. Là, c'est un oranger. Là, c'est le compost. On a des figues, des grenades, des mandarines, des abricots, des pommes. On a mis des bananiers il y a un an, et ils commencent à donner des fruits", il me disait en se baladant sur le trottoir devant sa maison.
Et puis, comme souvent, le succès appelle le succès. Cette notoriété inattendue de Finley en tant que leader écolo a rouvert des portes à sa carrière de styliste, qui semblait au point mort. Alors maintenant, il est à la fois créateur et éducateur, et aussi père, militant, artiste, et qui sait quoi d'autre! Le fait d'appartenir à plusieurs "tribus", chacune reflétant une facette de son identité complexe, ce que les psychologues appellent "la complexité de soi", l'a rendu beaucoup plus sûr de lui. Contrairement à un réseau vaste mais superficiel, ces communautés soudées lui offrent un soutien stable, un ancrage dans les moments d'incertitude dans un domaine ou un autre.
L'histoire de Finley, elle illustre une vérité magnifique : on a tous en nous des possibilités illimitées, et donc, il n'y a pas un seul et unique "but" à trouver. La vie, c'est une opportunité permanente. Comme dit Finley :
"Quand les gens me demandent ce que je fais dans la vie, je leur dis que je respire. Je suis un respirateur professionnel! C'est nous qui créons ces fausses transitions, on fait comme si tout était séparé, comme on sépare un jardin d'un État, d'un pays, et nous de la nature. Je ne suis pas passé de la mode au jardinage pour devenir un humanitaire. En tant que jardinier, j'étais déjà un humanitaire. Quand je crée des vêtements, je suis toujours un jardinier. Je suis toujours créatif. Et je suis toujours un père. Même si tu passes de médecin à auteur. Pour moi, c'est une question de liberté. Tout est déjà en nous."
Dans sa MasterClass, il encourage ses élèves à concevoir la vie qu'ils veulent vraiment mener, une vie faite de rebondissements, de détours, qui font que c'est leur vie à eux, pas la vie linéaire et prédéfinie qu'on leur propose, une vie qui fait une belle histoire, quoi.
Quand vous réfléchissez à votre vie, imaginez que vous voulez écrire une histoire captivante. Mais pas une tragédie grecque avec des règles créatives strictes, hein! Imaginez plutôt que vous voulez écrire le début d'un roman qu'on ne peut plus lâcher, le genre d'histoire qui sort des sentiers battus. La scénariste Leslie Dixon, qui a écrit "Madame Doubtfire", dit qu'il n'y a qu'une seule règle en scénario : "Est-ce que le lecteur a envie de tourner la page?"
Quand on se fixe sur la recherche d'un seul et unique but, on s'interdit les quêtes secondaires qui nous font le plus grandir. Votre vie, elle n'a pas besoin de suivre des actes et des arcs narratifs prévisibles. Les meilleures histoires, elles sont pleines de surprises, avec des personnages hauts en couleur et des rebondissements inattendus. Pour éviter de recycler de vieilles histoires, il faut qu'on se libère des scénarios qu'on écrit pour nous-mêmes.
L'éducateur et homme politique John W. Gardner a écrit : "En vieillissant, on réduit progressivement le champ et la variété de nos vies. Parmi tous les intérêts qu'on pourrait poursuivre, on en choisit quelques-uns. Parmi toutes les personnes qu'on pourrait fréquenter, on en sélectionne un petit nombre. On se retrouve pris dans un réseau de relations figées. On développe des façons de faire bien établies." C'est tellement vrai, hein?
Dans une étude importante de 1979, des chercheurs en sciences cognitives ont demandé à des participants de décrire les composantes d'une scène particulière, comme aller chez le médecin. Et là, surprise! Les participants ont donné globalement les mêmes réponses, en mentionnant les mêmes personnages, les mêmes objets, les mêmes actions, et même l'ordre dans lequel ces actions devaient se dérouler : s'annoncer à l'accueil, lire des magazines dans la salle d'attente, entendre son nom...
Depuis, les chercheurs ont développé cette idée, en découvrant un nombre pratiquement infini de schémas internalisés qui régissent nos pensées, nos actions et nos décisions, que ce soit au travail, dans nos relations ou dans nos études. C'est ce qui a donné naissance à une branche des sciences cognitives qu'on appelle la "théorie des schémas cognitifs".
Tout comme on a une idée de la façon dont on doit se comporter quand on va chez le médecin et de la façon dont les événements doivent se dérouler là-bas (on serait paniqué si on nous demandait de nous déshabiller dans la salle d'attente, non?), on a aussi une idée de la façon dont les choses "devraient" se passer dans d'autres domaines de notre vie. Quand on navigue dans le monde, le cerveau essaie de faire correspondre les informations qu'il reçoit avec une représentation similaire qu'il a déjà en mémoire : un schéma cognitif.
Ces schémas cognitifs, ils offrent un moule prévisible où les résultats sont clairement définis et les avantages convenus à l'avance. Ils agissent comme des instructions programmées qu'on suit dans certaines situations, en fonction de nos expériences passées. On suit ces schémas parce qu'ils nous donnent un sentiment de confiance. Les normes établies et les schémas prévisibles réduisent la peur de l'inconnu. On a aussi tendance à se sentir plus confiant quand on agit d'une manière qui correspond aux attentes de la société, parce que ça augmente les chances que nos choix et nos actions soient validés et renforcés par les autres.
C'est rassurant de penser qu'on a une bonne idée de la façon dont les choses "devraient" se passer, et c'est utile de ne pas être dépassé par chaque nouvelle situation pour pouvoir prendre des décisions au quotidien. Mais ces schémas cognitifs, ils peuvent aussi devenir des chaînes qui nous enferment dans des limites artificielles, en limitant notre perception de ce qui est possible. Leur influence sournoise peut nous amener à avoir des ambitions qui ne sont en fait que des prolongements des vieux objectifs linéaires auxquels on s'est accroché. Il existe une multitude de schémas cognitifs, mais j'en vois trois grandes catégories qui ressortent quand les gens réfléchissent à la suite de leur parcours : la Suite, le Plaisir à la foule et l'Épopée.
Alors, parlons un peu de la "Suite". C'est quand on suit notre passé. On pense que notre vie, elle doit être un voyage continu vers un seul et unique but. Ces chemins bien établis, c'est comme des ornières, des rails creusés au fil du temps qui guident les véhicules sur une trajectoire déjà tracée. Imaginez une charrette à cheval qui arrive à un carrefour avec des ornières profondes. Si les ornières vont à droite, le conducteur aura beaucoup de mal à tourner à gauche.
Bien sûr, c'est indéniable que notre passé influence notre avenir, mais on peut créer un faux sentiment de but en se fixant des limites plus rigides qu'il n'en existe en réalité, en essayant de faire en sorte que nos décisions soient conformes à nos comportements passés. En gros, on continue à écrire des suites basées sur nos expériences précédentes.
Le schéma de la "Suite", il est basé sur un phénomène tellement répandu qu'il a plein de noms différents. Les psychologues parlent de "biais de continuation", les économistes de "dépendance au sentier", et les philosophes pourraient le considérer comme une forme de fatalisme. Moi, j'appelle ça le "sophisme de l'auto-cohérence", l'idée que "j'ai toujours agi d'une certaine manière, donc je dois continuer à agir de cette manière".
Si la suite logique après une école de commerce, c'est d'entrer dans un cabinet de conseil, ça peut sembler un peu bizarre de lancer sa propre petite entreprise de conseil juste après avoir obtenu son diplôme. Si le chemin classique, c'est de finir le lycée et de s'inscrire directement à l'université, ça ne va pas forcément venir à l'esprit de prendre une année sabbatique pour voyager ou faire du bénévolat. Si Ron Finley avait suivi le schéma de la "Suite", il aurait peut-être abandonné son combat pour le jardinage, en se disant que ça s'éloignait trop de la carrière qu'il avait mis des années à construire.
Le schéma de la "Suite", c'est ce qui fait qu'on garde les mêmes rôles et les mêmes comportements dans nos relations, comme être toujours le "timide" dans notre groupe d'amis, même quand on a envie de s'exprimer plus ouvertement. Ça nous pousse à nous accrocher à nos succès passés, en essayant de les reproduire. Ça limite notre imagination en nous faisant ressasser de vieilles histoires au lieu d'affronter l'inconfort d'une page blanche.
Et puis, il y a le "Plaisir à la foule". C'est quand on suit la masse. Pour Ron Finley, être un créateur de mode célèbre, c'était une forme de succès socialement reconnue. Par contre, vous imaginez bien que le rôle de "jardinier guérillero", ça ne lui conférait pas automatiquement le même statut, hein.
À moins de vivre complètement isolé, on subit forcément la pression de ceux qui nous entourent pour qu'on se conforme aux définitions établies du succès, ou simplement à leur propre définition personnelle. Adapter ses décisions pour répondre aux attentes d'un groupe, c'est un comportement profondément ancré, qui peut être motivé par la peur de l'exclusion sociale ou un sentiment de culpabilité à l'idée de suivre un chemin différent. Des études de neuroimagerie ont montré que la même partie du cerveau qui gère les conflits est active quand nos choix diffèrent de ceux du groupe.
Certains chemins ont plus de prestige que d'autres. Médecin, avocat, professeur, ce sont des exemples évidents, mais on peut aussi attacher un statut plus important au nom d'une entreprise, à un salaire plus élevé, ou même à un lieu, comme trouver un emploi en ville quand on a grandi dans un petit village.
Même si vos amis, votre famille et vos collègues ne vous poussent pas explicitement vers une carrière spécifique, la société en général nous a inculqué certaines normes auxquelles on ne peut s'empêcher de se mesurer. Ces normes prennent la forme d'étapes qu'on considère comme essentielles à notre histoire : finir ses études, trouver un emploi, rencontrer un partenaire, fonder une famille.
Quand on s'écarte de ce qui est communément perçu comme le chemin le plus raisonnable, des questions angoissées fusent souvent, à la fois de l'intérieur et de l'extérieur : "Tu ne devrais pas te concentrer sur tes études au lieu de travailler sur un projet parallèle? Tu es sûr de vouloir changer de carrière alors que tu as un prêt immobilier? Est-ce que c'est raisonnable de tout recommencer dans une nouvelle ville à ton âge?"
Ma mère, elle était terrifiée quand je lui ai dit que j'allais quitter mon travail chez Google. Je sautais dans l'inconnu en renonçant à un emploi prestigieux et, surtout, sûr, auquel beaucoup de gens aspiraient. Il a fallu des années pour que son anxiété se calme, et seulement après que j'ai prouvé que j'étais capable de garder un toit au-dessus de ma tête et de la nourriture dans mon assiette.
Personne n'aime inquiéter ses proches, et le conformisme social peut sembler offrir le chemin le moins risqué. Mais ça a un coût. Pour obtenir la validation des autres, ou simplement pour les apaiser, on peut se retrouver à suivre le schéma du "Plaisir à la foule" et à poursuivre une voie conformiste au lieu de suivre sa curiosité. On risque de vivre une vie de rêve, mais le rêve de qui?
Et puis, il y a l'"Épopée". C'est quand on suit sa passion. Même si on réussit le miracle de se libérer du passé et de la foule, on risque de tomber dans un autre piège, un piège omniprésent dans les livres de développement personnel : "Fais ce que tu aimes!" "Poursuis tes rêves!" "Suis ta passion!"
C'est la manifestation la plus aiguë de notre obsession du but : un chemin "idéal" trompeur qui est construit autour d'une destination imaginaire qui est loin de l'endroit où on se trouve actuellement. C'est encore un objectif linéaire, plus axé sur la cible que sur le voyage. Ron Finley a réussi, pendant un temps, à transformer sa passion d'enfance en une carrière de créateur. Mais bien plus souvent, les "Épopées" se terminent comme la mienne quand j'ai quitté mon travail pour créer une start-up axée sur un but : par un échec.
La popularité de l'"Épopée", elle est surtout due au biais de survie, quand on prend un sous-groupe qui a réussi pour l'ensemble du groupe, en oubliant ceux qui ont échoué. Ce phénomène est particulièrement courant dans l'entrepreneuriat, où on essaie d'imiter le succès de quelques fondateurs qui ont réussi sans se rendre compte que le discours sur le but qu'ils mettent en avant ne tient pas compte de tous les autres facteurs qui entrent en jeu : la chance, l'argent, le réseau de soutien...
Bien sûr, l'"Épopée", elle est complètement inutile si, comme beaucoup de gens, on n'a pas de passion claire à suivre. Et pour ceux qui ont une passion, l'"Épopée" réduit les options qu'ils peuvent explorer. L'idée que les gens trouvent leur but complètement développé implique qu'on a seulement un nombre limité de vocations potentielles, ce qui peut amener les gens à négliger d'autres chemins intéressants.
L'"Épopée", elle sous-entend aussi que suivre sa passion va automatiquement mener au succès, ce qui rend toute difficulté beaucoup plus difficile à gérer. La psychologue de Stanford Carol Dweck et ses collègues ont constaté que les mantras comme "trouve ta passion" augmentent la probabilité que les gens abandonnent leur nouvel intérêt quand ils rencontrent des obstacles inévitables. Comme ils l'écrivent dans leur article : "Encourager les gens à trouver leur passion peut les amener à mettre tous leurs œufs dans le même panier, mais à laisser tomber ce panier quand il devient difficile à porter."
En te faisant rêver trop grand, l'"Épopée" peut t'empêcher de faire des petites expériences significatives qui pourraient ouvrir des portes inattendues. Elle peut aussi t'amener à opter pour des expériences inutilement risquées alors qu'une version plus petite et plus sûre de la même expérimentation aurait donné suffisamment d’éléments d'information.
On s'entend encore penser quand on est bombardé de conseils sur ce qu'il faut faire? Dans le brouhaha de toutes ces injonctions à écrire son histoire selon les règles bien définies des schémas cognitifs, c'est facile de se déconnecter de soi-même et de sa curiosité. Heureusement, tout comme on a appris ces schémas, on peut les désapprendre.
Alvin Toffler, le futurologue qui a inventé le terme de "surcharge d'informations" dans les années 1970, a écrit que les analphabètes de notre époque ne seront pas ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais ceux qui ne savent pas apprendre, désapprendre et réapprendre. Dans le théâtre nô japonais, on dit aux artistes d'aller au-delà de la simple imitation des techniques qu'ils ont apprises pour atteindre une expression plus profonde et plus spontanée de leur art. De la même manière, avant de pouvoir réapprendre à expérimenter et à faire de la vie le terrain de jeu géant qu'elle devrait être, il faut d'abord désapprendre ses schémas cognitifs.
Ce qui est génial avec le fait de passer d'objectifs linéaires à des expérimentations, c'est qu'on n'a pas besoin de forcer ses décisions à entrer dans une notion de qui on pensait être ou de qui on voulait être. On a le droit de sortir du scénario. On peut avoir plusieurs passions. On peut progresser sans but précis.
Quand vous réfléchissez à votre prochaine expérimentation, trois questions peuvent vous aider à éviter le piège de la Suite, du Plaisir à la foule et de l'Épopée, et à reprendre votre liberté cognitive :
Est-ce que vous suivez votre passé ou est-ce que vous découvrez votre chemin?
Est-ce que vous suivez la foule ou est-ce que vous découvrez votre tribu?
Est-ce que vous suivez votre passion ou est-ce que vous découvrez votre curiosité?
Un peu de désapprentissage, ça peut faire des merveilles. Armé de ces principes, vous pouvez activement remettre en question vos schémas cognitifs et réécrire votre propre histoire pour concevoir une vie vraiment expérimentale. Parce que le monde change, et vous aussi, vous pouvez jouer avec les règles et décider quelle question pique vraiment votre curiosité.
Le principal obstacle au renouveau, ce n'est pas le manque de temps ou d'argent, c'est de ne pas savoir par où commencer. Est-ce que je garde mon travail actuel ou est-ce que je prends le risque de lancer ma propre entreprise? Est-ce que je reste dans ma ville natale ou est-ce que je déménage dans une nouvelle ville? Est-ce que je continue mes études ou est-ce que je me concentre sur l'acquisition d'une plus grande expérience professionnelle? Ces questions, elles peuvent être paralysantes, mais elles peuvent aussi être le point de départ d'une découverte. Il suffit d'avoir le courage d'être curieux.
Comme vous l'avez vu, il est possible de se libérer des schémas cognitifs et de tracer son propre chemin, mais ça demande une remise à zéro. Pour reprendre les mots de l'économiste et philosophe du XXe siècle John Maynard Keynes : "La difficulté ne réside pas dans les idées nouvelles, mais dans le fait de se débarrasser des anciennes, qui se ramifient, pour ceux qui ont été élevés comme la plupart d'entre nous, dans tous les coins de notre esprit."
Pour échapper à ces vieilles idées, imaginez que vous êtes un anthropologue et que votre propre vie est votre sujet d'étude. L'anthropologie exige "l'ouverture d'esprit avec laquelle il faut regarder et écouter, enregistrer avec étonnement et émerveillement ce qu'on n'aurait pas pu deviner".
Les anthropologues posent des questions fondamentales comme : Qu'est-ce que ça signifie de vivre dans notre monde en tant qu'être humain? Comment l'étude de l'humanité peut-elle révéler de nouvelles façons d'être humain et nous aider à imaginer notre avenir collectif? Pour trouver des réponses, ils mènent un travail de terrain : ils vont sur le terrain et ils écrivent des notes de terrain. Ces notes peuvent être des observations écrites, ou elles peuvent prendre la forme de cartes visuelles pour cartographier les relations et découvrir des liens intéressants.
Pendant une seule journée, je vous invite à jouer à un jeu d'auto-anthropologie. C'est un jeu de curiosité, un exercice de réceptivité, une façon de désactiver vos schémas cognitifs. C'est une occasion amusante de faire un audit de votre vie et de réévaluer vos objectifs.
Pas besoin d'outils sophistiqués ou de matériel scientifique. Il suffit de créer une nouvelle note sur votre téléphone pour pouvoir noter vos pensées au fur et à mesure de la journée. Appelez-la "Notes de terrain" ou un autre titre qui vous semble ludique ou significatif. Ensuite, chaque fois que quelque chose vous traverse l'esprit, notez l'heure et quelques mots.
Pour recueillir des données représentatives, il est préférable de faire cet exercice un jour de travail typique. Vous pourriez noter quelque chose après avoir lu un article inspirant ou écouté un podcast énervant, enregistrer une phrase qui vous a fait réfléchir lors d'une conversation avec un ami, ou noter ce que vous avez ressenti quelques minutes avant de faire une présentation importante. Vous pourriez aussi noter une idée qui vous est venue dans le train ou les émotions que vous avez ressenties.
Le but, ce n'est pas de créer un long récit détaillé de votre journée, ou de tenir un journal de bord méticuleux comme quand on compte les calories. N'essayez pas de tout noter. Utilisez votre curiosité comme une boussole.
Les notes de terrain, c'est une façon de devenir un observateur actif et de découvrir des schémas intéressants dans votre vie. Parce que vous prenez des notes sur le moment, au lieu d'attendre la fin de la journée pour réfléchir, vous avez moins de chances d'oublier des éclairs d'inspiration et des idées fugaces qui pourraient se perdre dans le tumulte de la journée.
Quand vous collectez beaucoup de petits points de données, vous créez un "chemin de miettes de pain" et vous avez plus de chances de remarquer des tendances générales que si vous vous concentrez seulement sur les expériences les plus marquantes. Grâce aux heures, vous vous souviendrez facilement de l'endroit où vous étiez.
Il n'y a pas de limites à ce que vous pouvez inclure dans vos notes de terrain. Voici quelques idées pour vous inspirer :
Les idées : Vos moments de curiosité, vos pensées aléatoires, vos nouvelles idées et les questions qui suscitent votre intérêt.
L'énergie : Vos variations de niveau d'énergie tout au long de la journée, ainsi que ce qui vous donne de l'énergie ou vous en prend.
L'humeur : Vos émotions pendant ou après une expérience, que ce soit une réunion, une séance de sport, un podcast, etc.
Les rencontres : Vos interactions sociales ou vos nouvelles connexions, et les idées ou les sentiments qui en découlent.
Pour compléter ces notes écrites, vous pouvez aussi créer un album photo où vous stockez des images de choses, de lieux ou de personnes qui vous ont marqué, ou un carnet de croquis pour dessiner et griffonner. Tout comme les anthropologues ont de nombreuses façons de capturer leurs observations, soyez créatif et laissez vos modes d'expression préférés déterminer la portée et la forme de vos notes de terrain.
En tant que compte rendu de vos activités, de vos pensées et de vos émotions, vos notes de terrain seront une riche source d'observations que vous pourrez ensuite transformer en idées pour guider le choix de votre prochaine expérimentation. Après seulement vingt-quatre heures, vous aurez un trésor de données sur une journée typique de votre vie. Prenez le temps de lire vos notes et de réfléchir. Recherchez les thèmes récurrents, les détails intéressants et les sentiments généraux qui reviennent sans cesse.
C'est un processus fluide. Vous remarquerez peut-être des catégories pour "les choses qui me rendent joyeux" et "les choses qui me vident", ou pour "ce que je veux plus" et "ce que je veux moins", ou de grandes catégories pour des aspects importants de votre vie comme l'apprentissage, les relations et la santé.
En regroupant simplement vos miettes de pain en tas plus importants, vous verrez des schémas émerger. Il peut s'agir d'un défi persistant ou d'un point de curiosité. Par exemple, vous pourriez remarquer que vous avez le cafard tous les matins quand il est l'heure d'aller travailler, ou que votre humeur a tendance à être meilleure quand vous participez à des projets de groupe. Il se peut qu'un type de tâche spécifique vous donne toujours l'impression d'être créatif, ou que les conversations avec certaines personnes aient tendance à générer plus d'idées. Peut-être qu'à chaque fois que vous lisez quelque chose sur un sujet particulier, vous aimeriez en savoir plus.
Les données peuvent aussi vous en dire beaucoup à travers ce qui n'est pas là. Faites attention aux trous invisibles et aux "attracteurs de curiosité" : Quand vous prenez du recul pour examiner une journée typique de votre vie, avez-vous l'impression qu'il manque quelque chose? Ressentez-vous un désir pour quelque chose de différent?
Comme un scientifique, vous pouvez maintenant utiliser vos observations pour formuler une hypothèse. Tout commence par une question de recherche. Par exemple, si vous observez que vous vous sentez plein d'énergie quand vous discutez de certains sujets, vous pourriez vous demander : Comment puis-je intégrer davantage de cela dans ma vie quotidienne?
Transformez ensuite cette question en une hypothèse. Ne vous prenez pas trop la tête. Formuler une hypothèse, c'est un processus intuitif basé sur vos expériences passées et vos inclinations actuelles. Il s'agit simplement d'une idée que vous voulez mettre à l'épreuve, une intuition d'une réponse à votre question de recherche.
Si vous avez observé que vous redoutez de faire des présentations, peut-être que des cours d'improvisation pourraient vous aider à renforcer votre confiance. Si vous vous sentez anxieux le matin, peut-être que la méditation pourrait vous aider à réguler vos émotions. Si vous aimez le graphisme, peut-être que le travail en freelance pourrait vous aider à renforcer votre portfolio.
Observation
Question
Hypothèse
Je redoute de faire des présentations.
Comment puis-je devenir plus confiant?
Des cours d'improvisation pourraient renforcer ma confiance.
Je me sens anxieux le matin.
Comment puis-je me sentir plus ancré avant d'aller travailler?
La méditation pourrait m'aider à réguler mes émotions.
Je suis enthousiaste quand je parle d'énergies renouvelables.
Comment puis-je en apprendre davantage sur le secteur des énergies renouvelables?
Le réseautage avec des professionnels pourrait ouvrir de nouvelles portes.
J'ai rarement le temps de lire.
Comment puis-je intégrer la lecture dans ma vie quotidienne?
Se réserver des moments précis pourrait m'aider à prendre l'habitude de lire.
J'aime le graphisme et je reçois des commentaires positifs sur mon travail.
Comment puis-je faire plus de graphisme?
Le travail en freelance pourrait être une façon amusante de renforcer mon portfolio.
Remarquez à quel point chaque question et son hypothèse correspondante sont différentes d'objectifs linéaires. Dans les exemples liés au travail ci-dessus, le but ultime n'est pas de devenir un orateur ou un graphiste à succès. Plutôt qu'une tentative d'atteindre une destination fixe, tester une hypothèse est une opportunité de croissance. Vous explorez simplement votre potentiel, motivé par une curiosité sincère, en vous demandant : Qu'est-ce que je pourrais trouver sur ce chemin? Une fois que vous avez une hypothèse, vous pouvez concevoir une expérimentation et transformer votre vie en un immense laboratoire de découverte de soi.