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Calculating...

Euh… alors, voilà. Je voulais vous parler d'un truc, euh... d'un chapitre que j'ai trouvé super intéressant sur le partage. Vous savez, ces petits gestes, ces trucs qu'on fait tous les jours sans forcément y penser.

Alors, ça commence avec une histoire, un peu mignonne, je dois dire. Y'a Eric, célibataire, qui swipe, qui swipe encore sur une application de rencontre. Et puis, BAM ! Il tombe sur le profil de Laura. Une beauté, apparemment, et surtout, des intérêts intellectuels... intéressants, quoi ! Y'avait une photo d'elle en blouse de labo, mais aussi une autre, carrément fun, où elle faisait du sport à la mode des années 80, toute enthousiaste. Bon, Eric, il craque, quoi. Il envoie une rose virtuelle, le truc un peu ringard mais qui marche, et devinez quoi ? Laura laisse un message vocal à son frère (à Eric, pas à moi hein!). Et là, elle parle des tomates cerises avec un accent anglais... à tomber par terre. "A good tomato," elle disait, "is a thing of beauty". Trop chou ! Mon frère, il était fou, il m'a dit : "Tu devrais l'épouser direct !"

Mais ce qui est marrant, c'est que… pourquoi il me montrait ça, vous vous demandez peut-être? Ben, je pense qu'il était juste super content, super fier de parler avec elle, et qu'il avait envie de partager son bonheur. Et puis, il sait que moi aussi, j'adore les bonnes tomates. Vous voyez le truc, quoi.

Ce genre de petits partages, même si on rencontre pas l'âme sœur tous les jours, c'est super courant. Et c'est ça qui construit nos relations. Euh... réfléchissez un peu à votre journée d'hier. Vous avez forcément partagé quelque chose avec quelqu'un. Peut-être que vous avez raconté votre journée à un ami, peut-être que vous avez filé un conseil à un collègue. Ou alors, un truc plus banal : une photo de votre chat trop mignon sur les réseaux, ou une photo de vacances où vous êtes particulièrement à votre avantage. Bon, ok, c'est peut-être pour faire un peu jalouser les autres, faut avouer !... Mais bon.

Et puis parfois, c'est plus sérieux. Peut-être que vous avez été bouleversé par des images d'incendies, d'inondations, ou d'histoires de conflits. Vous avez appelé un ami pour en parler, ou partagé un article de presse qui vous a mis en colère. Peut-être que vous n'étiez pas vraiment en colère, mais que vous vouliez montrer aux autres que vous étiez quelqu'un qui se soucie de ces problèmes.

Ou alors, un partage plus intime. Pour l'anniversaire de mariage de mes parents, on était au resto, ma mère, ma grand-mère et moi. On a partagé des souvenirs de mon père, qui est décédé il y a quelques années. Ma mère m'a raconté une histoire que je connaissais pas, sur les chansons que mon père lui chantait sur son répondeur. Il adorait la musique, il y en avait toujours à la maison. Il la prenait dans ses bras et ils dansaient dans la cuisine ou dans les soirées. Ma grand-mère, elle souriait en se souvenant des jardins qu'il cultivait, et des surprises qu'il faisait à ma mère en plantant les fleurs qu'elle aimait, comme les capucines, les asperges, toutes sortes de salades. Ma mère disait qu'il adorait partager les choses qu'il aimait, et qu'une année, pour son anniversaire, il avait demandé à ma mère de le laisser préparer tous ses repas pendant deux semaines, de lire les articles qu'il lui donnerait, et de regarder cinq documentaires avec lui. En écoutant tout ça, et en partageant mes propres souvenirs, je me suis sentie plus proche de mon père, mais aussi de ma mère et de ma grand-mère.

Partager, c'est un peu comme tisser des liens, ça nous fait sentir moins seuls, et ça nous aide à donner un sens à nos expériences. Quand on partage, on décide aussi, consciemment ou pas, comment on veut se montrer aux autres. Et on essaie de deviner ce qu'ils vont penser de ce qu'on partage. Tout ça, à grande échelle, ça peut influencer les normes culturelles, changer les choses. Le partage, ça façonne ce que les gens croient, leurs goûts, les mouvements politiques, et même la culture populaire.

Bon, après, faut pas se voiler la face. Les mêmes motivations, comme le besoin de se sentir connecté, de faire partie d'un groupe, ou d'avoir du pouvoir, ça peut aussi avoir des effets négatifs, surtout en ligne. Notre envie de partager peut être exploitée pour nous faire scroller sans fin, cliquer sur tout et n'importe quoi, modifier nos préférences, et même notre cerveau. Ça peut mener à l'extrémisme, au harcèlement, à des arnaques, ou à des déferlements de haine. Et ça donne aux politiciens, aux marketeurs et aux trolls la possibilité de manipuler nos opinions, et de saper la démocratie. C'est un vrai problème... Mais bon, on va pas rentrer dans les détails ici. C'est un sujet compliqué, qui demande une analyse approfondie. Ce qu'il faut retenir, c'est que comprendre pourquoi on partage, c'est important pour profiter des avantages de la connexion avec les autres, et aussi pour éviter de se faire manipuler par ceux qui n'ont pas les mêmes intérêts que nous.

Finalement, ce qu'on choisit de partager, c'est toujours une question de valeurs, de ce qui est important pour nous et pour les autres. Et ce qu'on partage, ça nous influence, nous et les autres. Mais pas toujours comme on l'imagine.

Mais alors, qu'est-ce qui nous pousse à partager, en fait ?

C'est devenu une question qui m'a intéressée quand j'étais étudiante en neurosciences à Los Angeles. Tout le monde autour de moi bossait dans le cinéma ou la télé. Et moi, j'essayais de comprendre comment rendre les campagnes de sensibilisation à la santé plus efficaces. On s'est dit que si les gens qu'on arrivait à convaincre de changer de comportement en parlaient à leurs amis, ça marcherait encore mieux. C'est logique, non ? Mais les gens ne racontent pas tout ce qu'ils apprennent à leurs amis. Alors on voulait comprendre qu'est ce qui nous fait partager certaines infos, et pas d'autres. Alors on a imaginé une étude où les étudiants jouaient le rôle d'assistants dans une chaîne de télé. Ils devaient évaluer des idées de nouvelles séries. On avait inventé des pitchs, des trucs un peu clichés, du genre une série sur la mafia, ou une comédie sur une équipe de sport qui fait des bêtises à la fac. Bref, on était loin de gagner un Emmy Award, mais en même temps, quand on regarde ce qui se fait à la télé, on était peut-être pas si loin de la réalité... On aurait peut-être dû faire une série sur notre labo, tiens, vu le succès de *The Big Bang Theory* !

Donc, les étudiants regardaient ces pitchs, et on mesurait l'activité de leur cerveau pendant qu'ils décidaient quelles idées ils allaient proposer à leur patron. Après, ils enregistraient une vidéo où ils pitchaient les séries qu'ils aimaient, et critiquaient celles qu'ils n'aimaient pas. Et on montrait ces vidéos à un autre groupe d'étudiants, les "producteurs", qui devaient dire s'ils avaient envie de partager ces infos. Ça nous permettait de voir ce qui se passait dans le cerveau des "assistants" quand ils décidaient quoi partager, et de voir si cette activité cérébrale correspondait aux idées qui étaient partagées avec succès aux "producteurs", et même au-delà.

Sans surprise, on a découvert que l'activité dans certaines zones du cerveau (celles qui sont liées à l'importance personnelle, à l'importance sociale, et à nos valeurs) était plus forte quand les "assistants" avaient envie de recommander une idée à leur patron. Et le plus intéressant, c'est que cette même activité prédisait aussi si les "producteurs" allaient choisir de recommander ces idées plus tard.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Eh bien, on ne peut pas lire dans les pensées, mais on peut imaginer que les "assistants" se demandaient si l'idée était importante pour eux, ce qu'ils en pensaient, si elle était importante pour les gens à qui ils allaient la partager, et ce que ces gens allaient en penser. En gros, ils se demandaient si partager cette idée allait les faire bien paraître.

Mais je pense aussi que ces résultats montrent quelque chose de plus profond. Nos petits choix de partager un mème ou une idée de série, ça peut répondre à des besoins fondamentaux : se sentir bien dans sa peau, se connecter aux autres, et avoir un certain statut social. Des besoins dont on n'est même pas conscients parfois.

Trois jours, et un date virtuel à faire des cookies après qu'Eric a envoyé la rose virtuelle à Laura, Eric était convaincu. Il voulait officialiser la relation. Il n'avait pas encore rencontré Laura en personne, vu qu'on était en pleine pandémie de COVID-19, donc c'était encore plus important de planifier le rendez-vous virtuel parfait. C'est là qu'il s'est souvenu des cartes que j'avais laissées chez lui un an avant.

À l'époque, il m'avait aidé à préparer un atelier pour des chefs d'entreprise. Je leur avais parlé des recherches sur ce qui se passe dans le cerveau quand on partage des infos sur soi avec quelqu'un d'autre, et je leur avais fait utiliser ces cartes, avec une question différente sur chaque carte. Vous l'avez deviné, c'était "Fast Friends". Alors Eric a feuilleté les cartes en pensant à Laura.

"Il a commencé par les questions faciles", m'a raconté Laura. Mais après, ils sont passés aux questions plus profondes, dans le troisième jeu de cartes. "Il y avait une question du genre : 'Si tu mourais ce soir, qu'est ce que tu serais triste de ne pas avoir dit ?'". Laura a ri en racontant ça. "Je me suis dit : 'Je crois que je vais tomber amoureuse de cette personne', mais je ne l'ai pas dit à ce moment-là". Le plan d'Eric a marché, et ils se sont vite rencontrés en vrai.

Et c'est pas juste les nouveaux couples qui aiment partager des choses sur eux. Je me souviens de la première fois où mon fils, Theo, s'est blotti contre moi et m'a demandé : "Comment s'est passée ta journée ?". J'ai souri et je lui ai raconté ma journée. Il a écouté avec attention, et quand j'ai eu fini, il a dit : "On a un tableau de bingo de la gentillesse dans notre classe. Poser la question 'Comment vas-tu ?' ou 'Comment s'est passée ta journée ?' ça te donne une case".

J'ai rigolé. Poser ces questions, c'était vraiment un acte de gentillesse ? Mais en y réfléchissant, j'ai réalisé que ça me faisait du bien de lui raconter ma journée. Il avait l'air tellement curieux. Ça m'a rappelé les histoires que mes parents me racontaient sur leur enfance. J'adorais entendre les détails banals, comme mon père qui mangeait des hot-dogs au bord d'un ruisseau, ou ma mère qui se demandait si elle devait jeter des rondelles de banane par la fenêtre de son appartement quand elle était petite. Mes parents aimaient partager ces histoires, eux aussi.

Que ce soit avec des amis, en couple, ou au travail, on a tous partagé des histoires et des détails sur nous-mêmes des milliers de fois. Les humains adorent parler d'eux-mêmes. Mais pourquoi ?

Quand Theo m'a demandé comment s'était passée ma journée, ça m'a fait du bien de lui raconter, et je suis pas la seule. Diana Tamir, une psychologue de Princeton, a découvert que les gens trouvent naturellement gratifiant de partager des infos sur eux avec les autres. Elle a étudié l'activité du cerveau de volontaires qui devaient choisir entre partager des infos sur eux-mêmes ou sur d'autres sujets. Et elle a vu que l'activité du cerveau était plus forte dans les zones liées aux valeurs quand ils parlaient d'eux-mêmes. En fait, ils étaient même prêts à renoncer à de l'argent pour pouvoir partager des infos sur eux, plutôt que de répondre à des questions de culture générale, même si ça leur rapportait plus d'argent. Partager des infos sur soi, c'est sa propre récompense.

Ça peut sembler égoïste, mais il y a de bonnes raisons pour lesquelles notre cerveau valorise le fait de se dévoiler. Déjà, partager nos préférences, ça nous permet de mieux nous coordonner avec les autres. Autre raison pour laquelle se dévoiler est puissant, c'est que ça renforce nos liens avec les autres. C'est difficile d'être proche de quelqu'un qu'on ne connaît pas. Et même si on a l'impression qu'on partage plus de choses avec les gens qu'on aime, les expériences montrent que parfois, c'est l'inverse. Partager des infos personnelles nous fait nous sentir plus proches de la personne à qui on se confie, et les gens ont tendance à apprécier ceux qui se dévoilent à eux (dans certaines limites, bien sûr).

C'est pour ça que "Fast Friends" marche si bien. Et ces infos personnelles ne sont pas forcément strictement "personnelles". Partager des idées, des news, des mèmes, des infos qui ne parlent pas directement de nous, c'est aussi une façon de dire aux autres qui on est et ce qui nous importe. Ça nous aide à comprendre certains comportements négatifs qu'on voit en ligne (comme la polarisation, ou l'extrémisme), mais je pense aussi à mon père qui m'envoyait des emails pour expliquer pourquoi il était parti en retraite de méditation de dix jours, avec des vidéos YouTube sur la méditation. Ou à Eric qui m'a envoyé le message vocal de Laura sur les tomates. Ou à moi qui partage mes playlists de musique avec mes amis. J'étais nerveuse, parce que j'avais l'impression de partager une partie de moi.

Comprendre que le partage est une forme d'expression de soi, ça nous aide à comprendre pourquoi les gens amplifient certains messages en ligne. Avec mon équipe, on a cherché à comprendre comment encourager les gens à partager des articles de presse de qualité, ou des posts sur les réseaux sociaux qui encouragent un mode de vie sain, qui parlent du changement climatique, ou qui appellent les gens à voter. On s'est dit que si les gens partageaient des infos de qualité, ça pourrait changer les normes et faciliter les choix positifs pour la santé. On a demandé aux participants d'écrire de brefs posts pour expliquer pourquoi certains messages étaient importants pour eux, ou simplement pour décrire le message. Et on leur a demandé s'ils avaient envie de partager le message en ligne.

Sans surprise, quand les participants disaient que les articles de presse et les posts étaient importants pour eux, ils avaient plus envie de les partager. Mais ce qui était plus intéressant, c'est que quand on leur demandait d'écrire pourquoi un article était important pour eux personnellement, ils avaient encore plus envie de le partager. "La maison de ma famille a été touchée par un ouragan", a écrit un participant. "Le changement climatique pourrait affecter plus de gens, et plus gravement, à l'avenir". Ce simple fait de connecter l'information à leur propre expérience leur donnait plus envie de la partager. Et plus les participants disaient qu'un article était important pour eux, plus on voyait de l'activité dans les zones du cerveau liées à l'importance personnelle, et plus ils avaient envie de le partager en ligne.

On a plus envie de partager les infos qu'on trouve importantes pour nous. Et demander aux gens d'écrire pourquoi un contenu est important pour eux, ça peut augmenter leur envie de le partager. Les gens sont prêts à payer pour partager des infos sur eux. Donc si vous voulez que les gens parlent d'une idée, demandez-leur pourquoi cette idée leur tient à cœur. Mais faites aussi attention quand on utilise les mêmes techniques pour vous inciter à partager des choses qui ne viennent pas de sources fiables, ou qui risquent de créer des divisions politiques.

Quand on partage, on fait aussi attention à l'image qu'on donne, si on va paraître intelligent, cool... Le partage est une activité sociale, donc c'est logique que les zones du cerveau liées à l'importance sociale jouent un rôle important. On se demande : "Qu'est ce que mon choix de partager va dire de moi ? Comment les autres vont réagir ? Et comment ça va affecter nos relations ?"

Je me souviens de la première fois où j'ai rencontré Ruth Katz, une musicologue mariée à mon collègue, Elihu Katz. On était à un événement en l'honneur d'Elihu. Ruth m'a invitée à m'asseoir à côté d'elle et à discuter. Elle m'a demandé comment allait ma vie, elle m'a regardée droit dans les yeux, et elle m'a donné des conseils. Les enfants, les amis, la carrière, ça prend beaucoup de temps et d'énergie, elle a dit. Elle m'a dit que la clé d'un bon mariage, c'était de faire de son partenaire son "premier public". Elle a dit que travailler avec Elihu pour qu'ils soient chacun le premier public de l'autre avait enrichi leur carrière et leur vie.

J'ai de la chance, mon compagnon, Brett, est un super "premier public" quand j'ai envie de parler du cerveau, ou de trucs qui me tracassent au travail. Et je pense aussi aux mots de Ruth quand Brett veut me parler de son travail de cryptographie avec des détails trop techniques (maintenant, on a une règle : il peut parler de maths autant qu'il veut, à condition qu'il me caresse les cheveux). Mais j'y pense aussi quand il partage des trucs plus banals. C'est aussi une façon de se connecter.

Par exemple, Brett m'a envoyé un lien vers un article sur les "signatures d'emails bizarres et hilarantes" des jeunes de la génération Z. Apparemment, une employée du nom de Céline termine ses emails professionnels par "Seeyas later", et un autre, Bryant, utilise "F*ck you, I'm out". D'autres signatures incluent "C'est tout" ou "C'est à peu près tout. Euh... ouais". Je me suis dit que Brett partageait ça avec moi pour souligner qu'on était en train de vieillir et qu'on ne savait plus ce qui est cool. C'est vrai que je demande souvent à ma petite sœur et aux jeunes de mon labo de m'expliquer les tendances, comme quels emojis on peut utiliser.

Plus tard, dans la journée, Brett a voulu en parler. "Pourquoi tu t'intéresses tellement aux signatures d'emails de la génération Z ?", j'ai demandé. Je croyais qu'il voulait juste me faire rire. Mais il m'a expliqué que cet article lui avait fait sentir que la génération Z était moins menaçante. Il avait lu des articles sur les jeunes qui préfèrent passer du temps avec leur famille et leurs amis plutôt que de travailler de longues heures, et ça lui avait donné l'impression qu'on jugeait son propre comportement de workaholic. Mais ces signatures d'emails bizarres lui ont fait voir ses jeunes collègues différemment : il a eu l'impression qu'ils s'amusaient au travail. Et j'ai partagé avec lui que j'aimais la façon dont les jeunes de mon labo insistaient pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Partager des infos sur soi, ça renforce nos liens avec les autres, mais partager d'autres types d'infos, comme des idées, des histoires, des news, ça peut faire la même chose. Je me suis rendu compte que Brett utilise souvent le partage d'articles pour se connecter à moi. Il est content quand je lis les articles qu'il partage, et il est déçu quand je ne l'ai pas encore fait. Je comprends ça, maintenant. Ces articles, c'est une façon de se connecter, de renforcer nos liens, et d'apprendre des choses sur l'autre.

Mon équipe a fait une étude pour vérifier ça. On a invité des étudiants à jouer à un jeu vidéo où ils devaient se lancer une balle virtuelle avec deux autres joueurs. Les étudiants croyaient qu'ils jouaient avec d'autres étudiants, mais en réalité, les autres joueurs étaient contrôlés par un ordinateur. Ces "joueurs" étaient programmés pour jouer soit un jeu "fair", où ils lançaient la balle à tout le monde, soit un jeu "unfair", où ils ne lançaient la balle à l'étudiant que quelques fois, et après ils se la lançaient qu'entre eux, en laissant l'étudiant de côté. Les étudiants se sentaient exclus, comme Brett quand il se sentait menacé par la génération Z.

Après le jeu, on a demandé aux étudiants de nous aider à tester une nouvelle application de partage de news. On avait pré-rempli l'application avec les noms d'amis et de membres de la famille proches, et avec les noms d'amis et de membres de la famille moins proches. On a découvert que les étudiants partageaient plus de news avec leurs amis et leur famille proches, comme on pouvait s'y attendre. Mais après avoir été exclus du jeu, ils partageaient beaucoup plus de news avec leurs amis proches. Face à une menace sociale, même aussi banale que d'être exclu d'un jeu vidéo avec des inconnus, les étudiants cherchaient à partager, peut-être pour se connecter à leurs amis, renforcer leurs liens, et se sentir mieux.

C'est donc naturel que les zones du cerveau qui nous aident à comprendre ce que les autres pensent et ressentent (le système d'importance sociale) soient aussi liées à notre envie de partager des idées. Pensez aux choses que vous avez partagées récemment, ou que les autres ont partagées avec vous. Laura m'a partagé un podcast sur le fait d'être parent, par exemple. Elle savait que ce podcast (qui parlait de comment élever nos enfants avec respect, même quand on n'en reçoit pas toujours en retour) était important pour moi, vu que j'ai des jumeaux en bas âge. J'ai trouvé l'épisode intéressant et amusant, et je l'ai partagé avec mes amies qui ont des enfants du même âge que les miens. Mais je ne l'ai pas partagé avec Emma, qui n'a pas d'enfants, parce que je pensais que ça ne l'intéresserait pas. Par contre, quand Ashley m'a dit qu'elle avait vu notre ville natale dans une nouvelle série HBO, j'ai tout de suite envoyé une capture d'écran à Emma, parce que je savais que ça lui ferait plaisir.

On fait tous ce genre de calculs quand on décide de partager quelque chose, et avec qui. On se demande : "Est ce qu'Anna va aimer ça ? Est ce que ça va la faire rire ? Est ce que le conseil sur le fait d'être parent va lui paraître évident ? Qu'est ce qu'elle va penser de moi et de notre relation ?". On n'en est pas toujours conscients, mais on peut voir ce processus se dérouler dans le cerveau avec l'activation du système d'importance sociale quand on prend des décisions de partage. Demander aux gens d'écrire un post qui pourrait "aider quelqu'un" plutôt que de juste décrire l'article, ça augmente l'activation du système d'importance sociale (et aussi des systèmes de valeurs et d'importance personnelle), et ça augmente l'envie de partager.

Mais il y a aussi l'envie de paraître intelligent, cool, ou compétent, ou de persuader les autres. On a découvert que demander aux gens de personnaliser le contenu pour leur réseau peut aussi augmenter leur envie de partager. On pourrait leur demander ce que leurs amis pourraient gagner en lisant cette information, ou de taguer un ami qui a besoin de connaître ça, et d'expliquer pourquoi. Quand les gens disent que le contenu est important pour les gens de leur réseau, on voit aussi plus d'activité dans le système d'importance sociale du cerveau.

Et si on a la possibilité de partager anonymement ? Est ce que le système d'importance sociale réagit différemment ? Des chercheurs ont montré à des étudiants des news sur des actes moraux (des gens qui aident, qui sauvent, ou qui font des dons), et des news sur des actes immoraux (des gens qui blessent, qui abandonnent, ou qui trichent). Les étudiants pouvaient partager ces news, mais il y avait un piège : pour certaines news, on leur disait qu'elles seraient postées anonymement, et pour d'autres, elles seraient postées avec leur vrai nom.

Les chercheurs se demandaient si la possibilité de poster anonymement allait changer la façon dont les gens utilisaient leur système d'importance sociale. En gros, est ce que l'anonymat nous rend moins sensibles à ce que les autres pensent et ressentent ? Ils ont découvert que les étudiants partageaient plus de news sur les actes moraux que sur les actes immoraux. C'était surtout vrai quand ils postaient avec leur vrai nom, et ça se voyait aussi dans l'activation de leur système d'importance sociale. Ensuite, ils ont utilisé une technique de stimulation cérébrale non invasive pour modifier l'activation du système d'importance sociale. Et les gens ont réagi en conséquence. Quand ils ont diminué l'activation d'une zone clé du système d'importance sociale, les gens se souciaient moins de poster des histoires immorales avec leur vrai nom. En d'autres termes, quand les chercheurs perturbaient le système d'importance sociale des gens, ils étaient moins prudents sur le type de contenu qu'ils partageaient en ligne.

Quand les gens pensent que beaucoup d'autres partagent leur opinion, ça change aussi la façon dont ils utilisent leur système d'importance sociale. Les gens sont plus prêts à partager des infos sur des produits, comme des jeux pour téléphone, quand ils pensent que d'autres recommanderaient la même chose. On a plus envie de partager des idées qui sont déjà populaires.

Mais cette tendance peut se retourner contre nous si on se trompe sur ce qui est populaire. On pense souvent que les autres ne se soucient pas du réchauffement climatique. Et ça nous rend moins prêts à parler de ce sujet parce qu'on sous estime le nombre de personnes qui sont d'accord avec nous.

Par contre, si on montre le nombre de personnes qui ont déjà partagé ou pris des mesures spécifiques, comme adopter des comportements éco responsables, ça peut nous motiver à faire la même chose. Mettre en avant une tendance à la hausse (de plus en plus de gens s'y mettent) peut augmenter l'envie d'agir. Se sentir partie d'un groupe plus grand peut aussi nous encourager à agir personnellement, mais aussi à partager avec les autres et à créer encore plus d'élan.

J'étais assise sur le canapé dans mon bureau quand Christin Scholz est venue me parler de l'étude qu'on préparait. Je me demandais ce qui fait que certaines idées sont partagées par de grands groupes de personnes, alors que d'autres tombent à plat. Je me demandais aussi si on pouvait étendre les résultats de l'étude sur les séries télé que j'avais faite quand j'étais étudiante. Est ce qu'il y avait des points communs dans le cerveau de différents publics qui rendent certains contenus plus attrayants à partager, pas seulement dans un labo, mais dans la vraie vie ? Est ce que les mêmes principes marchent quand les idées voyagent de personne en personne dans le monde réel ? Est ce que l'activité dans le cerveau de la première personne qui partage une idée prédit les décisions de partage des personnes suivantes, comme les stagiaires l'avaient fait pour les producteurs dans mon étude ?

Christin m'a proposé qu'on regarde ce qui se passe dans le cerveau des gens quand ils lisent des titres de news sur la santé. Elle disait que l'on pouvait considérer ça comme une intervention de santé quotidienne. Heureusement, à l'époque, le New York Times donnait accès aux statistiques de chaque article : combien de personnes les avaient lus, et combien les avaient partagés.

Alors, on a cherché à voir si on pouvait prévoir le partage d'articles de news sur la santé dans le monde entier en se basant sur les réponses du cerveau d'un petit groupe de personnes. On a recruté deux groupes d'une quarantaine de personnes à Philadelphie, et on a mesuré leur activité cérébrale pendant qu'ils lisaient des titres d'articles et qu'ils disaient s'ils avaient envie de les partager. On a utilisé des articles qui avaient été partagés plus ou moins de fois. Et on a comparé les réponses du cerveau avec le nombre de fois où ces articles avaient été téléchargés et partagés par email et sur les réseaux sociaux par les lecteurs du New York Times dans le monde entier.

Étonnamment, on a découvert que les réponses du cerveau de ces deux petits groupes dans une seule ville américaine nous aidaient à prévoir quels articles étaient les plus susceptibles d'être partagés dans le monde. Les articles qui suscitaient le plus d'activité dans le cerveau de nos volontaires avaient tendance à être les plus partagés en ligne.

En analysant les données, on a vu que le cerveau de certaines personnes prédisait mieux le partage à grande échelle que le cerveau des autres. On avait pensé à recruter que des lecteurs réguliers du New York Times. Mais on a laissé n'importe qui participer. Et c'est bien qu'on ait fait ça. Quand un de mes collègues a analysé les données, il a découvert que les lecteurs réguliers du New York Times avaient une forte activité dans le système de valeurs pour presque tous les articles. C'est normal, ils adorent le New York Times ! Mais ça voulait dire que leur cerveau ne faisait pas bien la distinction entre les articles qui deviennent viraux, et ceux qui sont juste aimés par les lecteurs les plus fidèles. Par contre, le cerveau des gens qui lisaient rarement le New York Times était plus sélectif. Quand on voyait une forte activité dans leur système de valeurs, ça voulait dire que l'article avait plus de chances d'être partagé dans le monde entier. Finalement, c'était logique : pour qu'un truc soit adopté à grande échelle, il faut qu'il soit aimé non seulement par les gens qui l'aiment déjà, mais aussi par ceux qui sont moins impliqués.

Les entreprises ont compris ça, et elles s'en servent pour étendre le marché de leurs produits. Apple a révolutionné l'électronique grand public en créant des interfaces faciles à utiliser, et en captivant non seulement les passionnés de technologie, mais aussi un public plus large. Ou Fitbit, qui a popularisé le comptage des pas, et qui a sensibilisé les gens à l'activité physique. Pour résoudre des problèmes de société comme le changement climatique, il faudrait créer des produits et des technologies pratiques et abordables pour les gens qui ne sont pas particulièrement éco conscients, et qui risquent de privilégier d'autres facteurs dans leurs décisions.

Depuis nos premières recherches sur le cerveau et le partage d'informations, on a fait d'autres études pour voir si les calculs de valeurs d'un groupe peuvent représenter les autres. Christin Scholz est maintenant professeure de communication à l'Université d'Amsterdam. Si on faisait une étude similaire avec des Hollandais, est ce que les réponses du cerveau en termes de valeurs, d'importance personnelle et sociale correspondraient toujours au succès des articles, comme avec les volontaires américains ? En d'autres termes, est ce que nos recherches se traduiraient dans une autre culture, comme les Pays Bas ?

Comme dans l'étude originale, on a mesuré l'activité cérébrale des participants pendant qu'ils lisaient les titres d'articles, et on leur a demandé s'ils avaient envie de lire l'article. Et on a regardé si l'activité cérébrale et les réponses correspondaient au nombre de fois où chaque article avait été partagé sur Facebook.

On a découvert que l'activité cérébrale collective de notre petit groupe de volontaires était toujours un indicateur du partage d'articles sur la santé et le changement climatique à plus grande échelle. Mais en comparant les prévisions des cerveaux américains et hollandais, on a vu que les réponses des Américains correspondaient bien au partage en ligne, mais pas celles des Hollandais. Par contre, l'activité cérébrale des Hollandais correspondait bien au partage d'articles dans le monde entier. Ça voulait dire que les Hollandais pensaient aux articles d'une façon qui rendait leurs réponses moins prédictives de ce qui allait être partagé. Mais leur cerveau donnait quand même des infos utiles.

Ça suggère que nos valeurs et nos décisions de partage reposent sur des mécanismes plus profonds. Même si les Américains et les Hollandais disaient des choses différentes sur ce qu'ils avaient envie de lire, les réponses enregistrées dans leur système de valeurs étaient plus similaires.

On ne sait pas encore pourquoi, mais on va faire d'autres études pour voir si l'activité cérébrale révèle des besoins fondamentaux qu'on a tous, ou s'il y a d'autres sources de valeurs qui sont partagées de façon plus universelle. Je trouve ça fascinant, l'idée que les idées qui activent nos systèmes d'importance personnelle, sociale et nos valeurs sont plus similaires que ce qu'on montre en surface.

Comprendre comment l'importance personnelle et sociale motivent les gens à partager des infos, ça peut nous aider à donner notre pleine attention aux autres, comme Theo quand il me demande comment s'est passée ma journée, ou comme Eric quand il a organisé son rendez-vous avec Laura. Et ça peut aussi nous aider à comprendre pourquoi on a envie de regarder notre téléphone ou les réseaux sociaux, même quand on voudrait être présent dans l'instant.

Quand Eric a demandé Laura en mariage, j'ai été la première personne de la famille à le savoir. On arrivait devant ma maison, où je savais qu'ils allaient l'annoncer à ma grand-mère et à ma mère. J'ai préparé l'appareil photo de mon téléphone. Je savais que ma mère et ma grand-mère allaient vouloir envoyer un email à tout le monde. Et après l'excitation du début, à la table de Thanksgiving, malgré la règle de la famille "pas de téléphone à table", je n'ai pas pu m'empêcher d'envoyer des photos à tous mes amis (ma famille m'a laissé faire, mais j'aurais pu attendre une demi heure après le repas).

On sait que le besoin de se connecter et de partager n'est pas que pour les moments joyeux, les moments où on tombe amoureux. Il est aussi là dans les moments difficiles, quand on a envie de créer une communauté et de changer les choses. Je m'en suis rendu compte quand on a diagnostiqué un glioblastome à mon ami Emile.

Moins de deux semaines après le diagnostic, Emile a réuni ses collaborateurs les plus proches dans son salon. Il y avait des neuroscientifiques, des politologues, des responsables d'ONG qui travaillent dans des zones de conflit. Emile était plein d'énergie et concentré. C'était une des premières choses qu'il a organisé après l'opération, parce que c'était important pour lui. Il savait que la seule façon de faire avancer ces projets, c'était de les partager avec tous ceux qui étaient là.

Il avait préparé une présentation, et il nous a expliqué comment il voyait son travail. Il savait que la situation était bizarre. Les gens qu'il avait réunis étaient en deuil. Il leur restait probablement moins de deux ans à vivre. Il comprenait cette tristesse, et l'importance de pouvoir la partager en communauté. Il voulait qu'on retienne de lui qu'il ne faut pas juste faire de la bonne science. Il faut faire plus. On a le potentiel de marcher dans l'obscurité, et de répandre la lumière.

Pour réaliser ce potentiel, Emile s'est assuré qu'on était connectés non seulement aux idées, mais aussi les uns aux autres. Il nous a expliqué qu'on pouvait trouver cette force en nous, qu'elle était collective. Il fallait être une communauté.

Quand un choix est lié à la connexion, il résonne différemment. Beaucoup de gens essaient de faire soutenir une cause en partageant des informations, sans donner aux gens la possibilité de se voir dans le message, ou d'y trouver une valeur sociale. Mais Emile nous a réunis, il a partagé avec nous non seulement des infos,

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