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Calculating...

Alors, bon, aujourd'hui, je voulais vous parler d'un truc... c'est un peu une réflexion sur l'industrie manufacturière, la production, quoi. On a tendance à penser que c'est *la* base de tout, que si on ne fabrique pas des trucs, on est foutus. Un peu comme, euh, l'idée que seuls les trucs tangibles comptent, que seul le travail physique est "vrai" travail.

C'est marrant, parce que ça vient de loin, hein? Du temps où fallait chasser, pêcher, construire des abris... Si t'étais pas bon à ça, bah, tu crevais. Et puis, on a cette espèce de hiérarchie des besoins: d'abord la bouffe, le logement, ensuite le reste. Donc, forcément, l'agriculture, l'extraction de matières premières, la fabrication de base, ça passe avant le coiffeur, le commercial, la télé…

Mais bon, ça, c'est plus trop vrai aujourd'hui, non? On n'a plus besoin de passer nos journées à labourer pour manger. On a dépassé ça, depuis des siècles ! Du coup, on a commencé à faire d'autres trucs, des trucs un peu plus "luxe", quoi. Des services. Le prêtre qui chasse les mauvais esprits, le chef qui organise le pillage des tribus voisines, le réparateur de cailloux... et puis, l'assureur qui te protège si ta vache crève.

Et c'est là qu'arrive la division du travail, comme disait Adam Smith. Chacun fait ce qu'il fait le mieux. Y'en a qui chassent, d'autres qui proposent des services.

Et là, t'as toujours les gens qui râlent: "Mais comment on va survivre avec des coiffeurs et des vendeurs de hamburgers?" Bah, évidemment, on ne peut pas se contenter de ça. Mais on ne peut pas se contenter d'acier et de voitures non plus! Faut de la diversité. La Suisse et le Danemark, par exemple, sont hyper riches, mais ils ne produisent pas de voitures. Bon, ok, la Suisse, c'est un peu spécial, ils font quand même pas mal de fabrication, surtout des produits chimiques et de la mécanique de précision. Mais c'est pas le genre d'usine où tu rentres chez toi plein de sueur et de poussière.

En fait, ce qui compte, c'est pas de faire des trucs "essentiels" en premier. Ce qui compte, c'est de faire des trucs que les gens veulent. Et les services, les réparations, l'assurance, la chirurgie esthétique, les gens en veulent! Et après, ce qui fait le prix, c'est la rareté des compétences nécessaires et la position dans la hiérarchie. Le chirurgien gagne bien parce qu'il est doué, le chef gagne bien parce qu'il est le chef.

Parfois, ceux qui ont la chance d'avoir des talents rares ou d'être au pouvoir se sentent mal de gagner plus que ceux qui font des trucs plus "basiques". Mais bon, c'est rare, hein? Y'en a même qui se sont persuadés qu'ils méritent leurs salaires de dingue!

La révolution industrielle, elle, a remplacé le travail humain ou animal par des machines. Le métier à tisser, la machine à vapeur... Aujourd'hui, un robot peut faire presque n'importe quel travail répétitif. Les chaînes de montage sont soit en pays à bas salaires, soit automatisées. Mais y'a plein de services qui ne peuvent être faits que par des humains, près des gens. Tes cheveux, c'est pas un robot en Chine qui va te les couper!

Mais y'a toujours des gens qui disent que ces services, ce n'est pas du "vrai" travail. Que seul le travail manuel dans l'industrie est "noble". Y'en a même qui disent: "C'est pas un vrai boulot si tu peux le faire en pyjama!". C'est souvent une question de genre, d'ailleurs. Quand tu demandes des exemples de "vrai boulot", c'est souvent des trucs faits par des hommes: la mine, la métallurgie... alors que la cuisine, le soin, c'est "moins bien".

L'industrie, c'était le principal employeur des hommes peu qualifiés. Mais ce n'est plus vrai. Donc, la disparition des usines est associée à une perte de virilité, à la destruction de liens sociaux et politiques masculins. L'industrie textile, elle, qui emploie surtout des femmes, on en parle moins.

Et puis, ces usines, c'était souvent des gros complexes qui dominaient des villes entières. Detroit, Pittsburgh... Aujourd'hui, les services sont plus dispersés. Bon, y'a les hôpitaux, les universités... qui ont une meilleure longévité que les usines. L'université d'Oxford a sept siècles, l'usine Morris Motors a fermé après soixante-dix ans.

À l'usine, l'ouvrier pensait que c'était son travail qui faisait marcher la boîte. À l'université, le concierge sait que c'est le travail des profs qui fait rentrer l'argent. Si la révolution industrielle a commencé en remplaçant le travail physique par des machines, elle continue en remplaçant le travail physique par l'intelligence collective.

Bref, cette obsession de l'industrie, elle n'a pas vraiment de base économique. Mais elle a une importance sociale et politique. Une partie du ressentiment de la classe ouvrière blanche aux États-Unis, qui soutient Trump, et au Royaume-Uni, qui a voté pour le Brexit, vient de la disparition de ces emplois masculins traditionnels. On ne va pas idéaliser ces mecs couverts de sueur travaillant dans des conditions épouvantables. C'était des boulots horribles! Mais ils créaient une solidarité, une stabilité qui ont disparu.

Alors, voilà... Dans l'économie moderne, la valeur ne vient plus de ce qui est gros et lourd. Elle vient de ce qui est intelligent. Tu peux acheter un costume sur Amazon pour 30 euros. Tu peux payer dix fois plus cher chez Marks & Spencer pour de la belle laine italienne. Et tu peux payer dix fois plus cher encore chez un tailleur de Savile Row. Ce qui compte, c'est pas le costume, c'est le style, la personnalisation.

Pareil pour les armes. Les canons sont de plus en plus puissants et légers. L'iPhone, il est cher au kilo. Le vaccin contre le Covid, encore plus!

Et puis, la construction, c'est pareil. L'Empire State Building coûtait moins cher au kilo que la voiture Ford. Aujourd'hui, le Burj Khalifa est plus cher que l'Empire State Building.

En gros, le développement économique moderne, c'est surtout "mieux", pas "plus". Avant, la pauvreté, c'était de ne pas avoir assez à manger. Maintenant, c'est de ne pas avoir d'ordinateur. L'obésité, c'est un problème de pauvre. Les riches achètent de la nourriture bio et des abonnements à la salle de sport. On dépense une fortune en santé, pas parce qu'on est plus malades, mais parce qu'il y a tellement plus de choses qu'on peut faire pour nous soigner.

Mes grands-parents n'ont jamais voyagé loin de leur village. Aujourd'hui, ce village exporte de l'eau dans le monde entier, et ses habitants peuvent voyager partout.

Le développement économique, c'est Facebook, Google, Siri, l'email, l'accès à des millions de chansons. C'est les vols low-cost, Uber, le conseil psychologique, la modification génétique. C'est les lunettes progressives, les écouteurs Bluetooth, le GPS, la banque en ligne. C'est les idées simples qui nous facilitent la vie: les conteneurs, les canettes à languette, les roulettes sur les poubelles.

Et même si on s'inquiète des limites de la croissance, il faut bien comprendre que le développement économique, ce n'est plus "plus de trucs". C'est utiliser notre intelligence collective pour améliorer les ressources existantes et créer de nouveaux produits.

Le problème, c'est que les statistiques économiques, comme le PIB, ne mesurent pas bien ça. Elles essaient de prendre en compte les nouveaux produits et les améliorations de qualité, mais c'est compliqué. Comment mesurer le bonheur qu'on a d'utiliser un iPhone, alors qu'on ne savait même pas qu'on en avait besoin avant qu'il existe?

Un économiste a calculé le prix de la lumière à travers les siècles. Avant, il fallait ramasser du bois et faire du feu. Ensuite, il y a eu les bougies. Et puis, l'électricité. Les mesures traditionnelles du coût de la lumière ne tiennent pas compte de ces nouvelles technologies. Mais son indice à lui montre que le coût a baissé considérablement. Ce qu'on veut, c'est de la lumière, pas des bougies! Et depuis qu'il a fait ses calculs, les LED ont encore fait baisser le prix de la lumière!

Alors, bon, je ne dis pas qu'il faut arrêter de critiquer le PIB. Il ne prend pas en compte le bien-être, l'environnement, les relations sociales, les inégalités, les droits de l'homme... Mais je dis qu'il ne mesure pas bien ce qu'il est censé mesurer: la valeur de la production économique. Donc, il faut faire attention aux conclusions qu'on tire des données sur le PIB. Quand on se dispute pour savoir si la croissance est de 1,8 % ou de 1,9 %, on se dispute pour des chiffres insignifiants.

En fait, y'en a qui font des prévisions sur le PIB sans même comprendre ce que c'est! Mais c'est pas grave, parce que ce qui compte, c'est de prévoir ce que vont dire les statistiques, parce que ça influence les marchés.

Mais bon, faut pas oublier d'où viennent les données et ce qu'elles veulent dire.

Une grande partie du monde n'a pas encore profité de ce passage à une économie du "mieux", plutôt que du "plus". L'Asie avance vite. L'accès à l'intelligence collective développée en Occident permet à ces pays de croître à un rythme sans précédent. Et l'Asie contribue de plus en plus à cette intelligence collective. Mais en Afrique, il faut encore de la croissance "classique", plus de trucs, pour satisfaire les besoins de base: nourriture, logement, santé.

Si on ne comprend pas que la croissance, c'est surtout "mieux", on risque d'empêcher les autres de se développer, au nom du développement durable.

C'est pour ça que ceux qui prédisent la fin de la croissance parce qu'on va manquer de ressources se trompent toujours. On n'a pas manqué de terres cultivables, et on ne manquera pas de lithium. Les ressources physiques sont limitées, mais l'ingéniosité humaine ne l'est pas.

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