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Calculating...

Euh, bonjour à tous ! Enfin, bonjour à... vous, si vous m'écoutez. Je vais vous parler d'un truc qui me trotte dans la tête depuis un moment, enfin... depuis que j'ai lu ce... ce texte, quoi. Ça parle de relations, de comment tisser des liens, des trucs un peu... ben, qui nous font du bien, quoi.

Alors, au début, y'a l'histoire de Carl et Aaron, deux mecs... enfin, deux papas, avec leur gamin, qui déménagent d'une grande ville dans un petit bled pendant le Covid. Ils étaient super motivés, tu vois, pour cette nouvelle étape de leur vie. Ils avaient pas besoin de changer de boulot, tout ça. Mais... après quelques semaines, ils remarquent un truc bizarre. Les gens traversaient la rue quand ils les voyaient arriver ! Au début, ils rigolent, genre "Ah, ben dis donc, ils aiment pas les gays ici !". Mais après, ils se disent que... en fait, tout le monde flippait du Covid, et donc, ils évitaient tous les nouveaux, quoi.

Sauf que, ben, ils se sentaient seuls, perdus. Ils en avaient marre de leur petite famille, tu vois. Ils se demandaient s'ils avaient pas fait une connerie en déménageant. Heureusement, ils avaient gardé des contacts de la ville, qui avaient déménagé en banlieue quelques années avant. Et grâce à ces connexions, ils ont commencé à se refaire une vie. Carl, le plus extraverti, s'est inscrit à l'association des parents d'élèves, à d'autres trucs. Et Aaron, avec son humour discret, s'est lié d'amitié avec des voisins, des parents des copains de son fils. Et puis... quelques années plus tard, ils étaient entourés de gens sur qui ils pouvaient compter pour garder leur fils, ou s'occuper de leur vieux chien malade quand ils partaient en voyage. Des gens qui, évidemment, ne traversaient plus jamais la rue quand ils les croisaient.

En fait, ce que je retiens, c'est que ces liens, ça prend du temps à se construire, mais une fois qu'ils sont là, ça change tout. Même loin de leur famille, ils se sentent aimés, intégrés à leur communauté.

Et ça me fait penser à une question importante: c'est quoi, un ami ? C'est quoi, une relation qui marche ? Parce qu'aujourd'hui, avec internet, on a plein de "amis" Facebook, des "followers" Instagram, mais... est-ce qu'on a vraiment des connexions profondes ? Est-ce que tous ces contacts virtuels, ça nous empêche pas de créer des vraies relations dans la vraie vie ?

Y'a un truc que j'ai trouvé intéressant, c'est qu'on confond souvent "amis" et "amitiés". Les "amis", c'est sympa, mais les "amitiés", c'est ce dont on a vraiment besoin.

Un auteur, C.S. Lewis, disait que l'amitié, c'est le lien le plus rare et le plus profond, plus fort même que l'amour entre un chien et son maître, que l'amour passionné, ou que l'amour inconditionnel qu'on a pour sa famille. Il expliquait que chacun de ses amis révélait une facette de lui que les autres ne pouvaient pas voir. Qu'il avait besoin de "plusieurs lumières" pour se révéler complètement. C'est joli, non ?

En fait, pour qu'une relation marche, faut pas forcément avoir les mêmes centres d'intérêt. Genre, adorer la même série, c'est bien pour lancer la conversation, mais ça suffit pas à créer une amitié solide. Et même, parfois, avoir trop de points communs, ça empêche d'apprendre l'un de l'autre !

Une vraie amitié, ça repose sur la réciprocité. Les deux personnes doivent donner et recevoir librement. Faut pas compter les points. Pour certains, c'est plus facile d'aider les autres que de se laisser aider. Mais pour qu'il y ait une vraie intimité, faut que ça aille dans les deux sens. Comme disait Lewis, l'amitié "naît au moment où un homme dit à un autre : ‘Quoi ! Toi aussi ? Je pensais que personne à part moi…’ ".

Et puis, pour que ça marche, faut qu'il y ait un sentiment d'égalité. Bien sûr, y'a des relations où y'a pas d'égalité, genre entre parents et enfants, ou entre un patron et ses employés. Mais même dans ces cas-là, on peut envoyer un message positif, genre "Je te vois, tu as ta place ici, on est pareils".

Et à partir de cette base d'égalité et de réciprocité, faut être prêt à faire preuve d'empathie, à comprendre l'autre, à collaborer, à faire des compromis, même quand il y a des conflits. Quand tu galères, un vrai ami, il sait que t'as besoin de plus qu'un simple mot de compassion ou d'une solution toute faite. Et s'il sait pas quoi faire, ben, il te le demande. Avec un vrai ami, tu te sens chez toi, même quand t'es pas chez toi.

Alors, concrètement, ça ressemble à quoi, une amitié profonde ?

Ben, au lieu de dire "Journée pourrie au boulot ? Ah, moi aussi, mon chef m'a dit...", tu dis "Journée pourrie au boulot ? Je suis désolé(e). Moi aussi, en fait. Ça te dit d'aller boire un verre quelque part pour en parler ?"

Au lieu de dire "Ton fils s'est fait renvoyer de l'école ? Mon gamin s'est fait renvoyer plusieurs fois au lycée, t'inquiète pas, ça va aller", tu dis "Ton fils s'est fait renvoyer de l'école ? Oh là là, ça doit être super stressant pour toi et pour lui. Tu veux en parler ?"

Au lieu de dire "Ta mère est à l'hôpital après une chute ? Oh là là, c'est horrible. Elle va bien ?", tu dis "Ta mère est à l'hôpital après une chute ? Oh là là, c'est horrible. Je peux te conduire à l'hôpital ? Je peux garder ton chien pendant que tu es occupée ? Je peux apporter de la nourriture à l'hôpital pour ta famille ?"

Voilà, il y a rien de mal à avoir des amis sympas, hein, on en a tous besoin. Et y'a rien de mal à donner des réponses simples, parfois, c'est ce qu'on a besoin d'entendre. Mais on a aussi besoin d'amis qui nous offrent plus, qui nous voient vraiment, et qui nous soutiennent de la manière dont on en a besoin.

Alors, comment on fait, concrètement ? Ben, faut se concentrer sur la qualité, pas la quantité. On passe tellement de temps à "bosser", à s'occuper du quotidien, qu'on oublie parfois de prendre soin de nos relations. On a peut-être déjà des amitiés profondes, ou qui pourraient le devenir, mais on s'en rend pas compte tant qu'il se passe rien. Mais quand on vieillit, on comprend à quel point ces relations sont précieuses. On voit à quel point il est important de privilégier les connexions profondes.

Et faut pas non plus se contenter de vouloir être populaire ou occupé. Faut vraiment prendre le temps, l'énergie mentale, pour que ces relations puissent s'épanouir.

Et ça me fait penser à un autre truc. Y'a une dizaine d'années, j'ai donné une conférence sur le bien-être. Et pendant la séance de questions-réponses, on m'a posé une question qui m'a un peu déstabilisé : "Est-ce que vous pensez que les membres des Hells Angels peuvent être épanouis ?"

Les Hells Angels, c'est un gang de motards, connu pour faire des trucs illégaux. Et la question, c'était : est-ce qu'on peut trouver le bonheur dans des communautés "alternatives" qui font des trucs illégaux ?

Parce que, faut dire, c'est pas facile, pour tout le monde, d'avoir des relations. Pas seulement pour les jeunes mamans, les ados timides, ou les personnes âgées isolées, mais pour plein d'autres gens. Et les relations sont tellement importantes que certains sont prêts à tout pour trouver un semblant de connexion, même à transgresser les règles, ou à enfreindre la loi, pour se sentir appartenir à quelque chose, pour se sentir utiles, protégés, et pour ne plus être seuls.

Les gangs, de toutes sortes, existent dans plein de villes, même dans les pays riches. Et c'est un vrai problème, pour les communautés et pour les membres eux-mêmes. Mais alors, pourquoi autant de jeunes rejoignent un gang ?

Un gang, c'est un groupe d'ados et de jeunes adultes, souvent des garçons, qui ont des signes distinctifs, un langage particulier, et qui font souvent des trucs illégaux. Sauf le côté illégal, c'est pas si différent d'une équipe de foot ou d'un groupe de scouts, non ? En fait, on a tous besoin de se sentir connecté aux autres. Et la seule différence, c'est que les gangs utilisent la violence et l'intimidation pour arriver à leurs fins.

On appartient à des groupes, des familles, des quartiers, qui nous apportent un sentiment d'appartenance, mais aussi de sécurité et de protection. C'est dur d'être épanoui si on se sent pas en sécurité. La sécurité physique, c'est la base pour créer des liens. Et puis y'a d'autres types de sécurité qui sont importants. La sécurité psychologique, qui nous permet de nous sentir acceptés. La sécurité émotionnelle, qui nous donne la paix de l'esprit pour partager nos sentiments. Et la sécurité sociale, qui nous permet de nous sentir utiles.

Pendant des millions d'années, la survie de nos ancêtres a dépendu de leur capacité à trouver ces différentes formes de sécurité. Ils trouvaient la sécurité physique et psychologique en étant des membres utiles d'un groupe de chasseurs-cueilleurs. Et c'est pour ça qu'on a toujours ce besoin de faire partie de quelque chose, que ce soit une chorale, un gang, ou un groupe d'amis.

En fait, les gens qui n'ont pas de relations sûres et stables ont plus de chances de rejoindre un gang. Ça montre à quel point on est câblé pour la connexion. Faire partie d'une communauté, quelle qu'elle soit, c'est essentiel pour la dignité humaine.

Et on a tous, à un moment ou à un autre, eu du mal à trouver notre place. On a souvent du mal à croire qu'on est égaux aux autres, qu'ils sont tous plus intelligents, plus forts, plus performants que nous, ce qui nous empêche de nous sentir à notre place.

Et ça commence tôt. Les bébés, de toutes les cultures, ont besoin d'avoir un impact sur leur environnement. Ce besoin se transforme en besoin de développer des compétences et des qualités utiles, qui peuvent nous permettre, à l'âge adulte, de contribuer à la société. Le racisme, le sexisme, l'homophobie, les violences, empêchent de développer ces compétences.

Et je sais de quoi je parle. Quand j'étais petit, j'ai eu une enfance difficile, pleine d'abandon, d'addictions, de violences physiques et émotionnelles. J'avais du mal à l'école, j'étais tout le temps en retenue, ou je redoublais mes classes. Et puis, quand j'ai été adopté par mes grands-parents à l'âge de douze ans, ma vie a changé du tout au tout.

D'un coup, j'ai vécu dans un environnement calme et sûr, où mes grands-parents me couvraient d'amour et de soutien. J'ai éclos, presque du jour au lendemain. Je suis devenu un bon élève, je chantais dans la chorale, j'étais le quarterback de l'équipe de foot, et j'ai été élu "roi" de l'école. J'avais des amis, de vrais amis, pour la première fois de ma vie. J'avais de l'amour, une maison où je me sentais en sécurité, je n'étais plus seul au monde.

Quand je repense à tout ça, je me dis que c'est peut-être pas un hasard si je suis devenu sociologue. Un scientifique qui croit que si on change l'environnement dans lequel on vit, on peut changer les gens, pour le mieux. Parfois, on s'épanouit là où on est "planté", et parfois, il faut se faire "replanter" ailleurs, où on peut s'épanouir. Faut jamais penser que si quelqu'un ne va pas bien, c'est de sa faute.

À la fin du lycée, j'étais l'un des trois élèves de ma classe qui ont décidé d'aller à l'université. J'étais le premier de ma famille à faire des études supérieures. Mais j'avais du mal à me sentir à ma place.

Mon lycée m'avait pas préparé à l'université. Ma première année a été un désastre, j'ai failli être renvoyé. J'étais incapable d'écrire une simple dissertation, et rien de ce que je faisais ne plaisait à mon prof d'anglais.

À la fin de l'année, j'ai eu la plus mauvaise note de ma vie : un D moins. Mon prof d'anglais est venu me voir pour me dire, avec un air de sagesse : "Corey, je ne pense pas que tu aies ta place ici". Sans le savoir, il avait touché une corde sensible, un sentiment que j'avais depuis mon enfance : "Tu n'as pas ta place, tu n'es pas voulu ici, tu n'es pas égal aux autres". Sa critique m'a blessé au plus profond de moi-même.

Mais mon traumatisme m'a aussi donné une rage de vaincre. Au moment où le prof m'a dit que j'avais pas ma place, j'ai eu envie de lui prouver, et au monde entier, qu'ils avaient tort. Cette motivation, elle m'a suivi toute ma vie. J'allais pas laisser mon traumatisme me vaincre. C'est un mantra que je me suis répété souvent : "Tu ne me vaincras pas, tu ne gagneras pas".

Et ça m'a bien servi. Malgré mes débuts difficiles, j'ai fini par sortir de la fac avec les honneurs, et j'ai été accepté dans le meilleur programme de sociologie au monde, à l'université du Wisconsin. J'ai eu mon doctorat en cinq ans, et j'ai publié une thèse sur le bien-être social.

Ce sentiment que j'étais pas égal aux autres, que personne ne me verrait jamais comme un égal, ça m'a poussé dans mes études, dans mes recherches. Je voulais savoir si les autres avaient les mêmes difficultés, les mêmes aspirations que moi : se sentir plus intégré socialement, être plus tolérant envers les autres, vouloir contribuer à la société, essayer de comprendre le monde qui nous entoure. En fait, j'étudiais ce dont j'avais besoin dans ma propre vie.

Quand on réussit en tant que premier de sa famille à faire des études supérieures, on se retrouve dans une situation bizarre. On est fier, peut-être même surpris, de sa réussite, mais on se sent coincé entre deux mondes. Y'a le monde d'où on vient, et où on ne peut jamais vraiment retourner sans avoir l'impression que les autres pensent qu'on a changé. On se sent plus accepté là d'où on vient.

En même temps, on a jamais vraiment l'impression d'être à sa place dans le nouveau monde où on a réussi à entrer. On parle leur langue, on marche comme eux. Mais on oublie jamais d'où on vient. Et même si on travaille dur, on a toujours l'impression de pas tout à fait correspondre.

Ce sentiment d'être coincé entre deux mondes rend les relations sociales plus difficiles. C'est en partie dû à la disparition progressive des petites villes rurales. Aujourd'hui, la majorité de la population mondiale vit dans des zones urbaines, des villes. Il y a pas si longtemps, la population était plus équitablement répartie entre les zones rurales et urbaines. L'urbanisation a commencé quand j'étais enfant, et le genre de vie que j'ai eu dans ma petite ville de Three Lakes, dans le Wisconsin, est en train de disparaître.

Des années après la mort de ma grand-mère, j'étais en vacances dans le Wisconsin avec ma femme et ses parents. J'ai demandé si ça leur disait de voir où j'avais grandi. On a décidé d'aller à Three Lakes, et de visiter le camping de Lake Terrace où j'avais grandi. Et là, surprise, la maison mobile de mes grands-parents avait disparu. Il restait juste un trou dans le sol, les fondations vides où ils avaient posé leur maison. La plupart des arbres, des buissons, des fleurs que mes grands-parents avaient plantés avec amour étaient morts.

Ça peut paraître idiot, une maison mobile, c'est pas vraiment un truc permanent. Mais quand même, je me suis senti perdu, déconnecté, coupé du monde. Sans cette maison où j'avais passé mon enfance, ma ville natale ne me semblait plus la même. Encore aujourd'hui, j'aurais préféré ne jamais avoir vu ça. J'aurais préféré garder le souvenir de quelqu'un d'autre qui grandissait dans cette maison qui avait été le plus bel endroit de mon enfance.

En fait, j'ai passé ma vie à essayer d'oublier que, pour la plupart des gens, j'étais considéré comme un déchet. On a plein d'autres mots pour désigner les gens qu'on considère comme "moins que rien". Ces mots peuvent affecter notre estime de soi, notre dignité. Ils nous donnent l'impression de pas être à notre place, nulle part. Et on finit par attendre la permission d'exister. Faut pas laisser les autres gagner en intériorisant ces messages négatifs.

J'ose pas imaginer à quel point mon enfance aurait été plus dure si mes grands-parents ne m'avaient pas montré que j'étais important. Et puis, plus tard, dans ma carrière, j'ai eu la chance de vivre une expérience similaire. Un de mes mentors à l'université, un professeur que j'admirais beaucoup, m'a dit qu'il se reconnaissait en moi. J'étais stupéfait. Dans mes meilleurs moments, j'avais l'impression de me reconnaître en lui aussi. Malgré nos différences d'origine, de parcours, de reconnaissance, peut-être qu'un jour je pourrais devenir comme lui. Et peut-être que moi aussi, je pourrais changer la vie d'étudiants comme moi, en leur faisant sentir qu'ils sont égaux et qu'on les voit vraiment. Ça a changé ma vie.

Quand on reçoit le message qu'on est un étranger, surtout quand on est jeune, ça peut fausser l'image qu'on a de soi-même. Quand on croit qu'on sera jamais à notre place, notre cerveau cherche inconsciemment des preuves pour le confirmer. Par exemple, on interprète un texto un peu court d'un ami comme un signe de rejet. Et on a du mal à croire que les gens nous accepteront si on baisse notre garde.

Si on a de la chance, quelqu'un comme mon professeur peut briser ce mur. Mais pour la plupart des gens, il faut faire un travail intérieur profond pour remettre en question cette fausse croyance qu'on est pas digne de dignité ou de respect, pour apprendre à s'aimer inconditionnellement, et pour construire une image de soi basée sur notre valeur fondamentale et notre égalité.

Alors, faut prendre le temps d'écouter son dialogue intérieur, et de trier les messages extérieurs qu'il faut éliminer. Faut se rappeler aussi souvent que possible que les gens qui nous disent qu'ils nous aiment, et qui le prouvent par leurs actes, le pensent vraiment. Faut essayer de se détendre, en sachant qu'ils nous accepteront dans les bons et les mauvais moments, et qu'on n'a pas besoin de "jouer un rôle" pour être intéressant ou aimable. Et quand on souffre, faut pas attendre que nos amis devinent ce qu'on a. Faut commencer par demander de l'aide, et proposer son aide en retour.

Et tous ceux qui ont de l'autorité ou du pouvoir peuvent envoyer des messages d'égalité dans leurs interactions avec les gens qui ont pas toujours entendu qu'ils étaient à leur place. On oublie trop souvent qu'on a eu la chance d'être né au bon endroit, ou qu'on a eu la malchance d'être né au mauvais endroit. Ça peut avoir une influence énorme sur notre capacité à nouer des liens, et sur le temps qu'il faut pour y arriver.

J'ai une amie qui passe beaucoup de temps en Suède, et elle revient toujours frappée par les différences culturelles. Là-bas, les enfants appellent leurs professeurs par leur prénom, et les jeunes saluent les amis de leurs parents de manière décontractée. Au début, elle trouvait ça choquant : "Est-ce qu'ils ne respectent pas leurs aînés, là-bas ?"

Mais elle a vite compris que c'était une des raisons pour lesquelles les Suédois ont un mode de vie égalitaire. Par exemple, le déjeuner est un repas très populaire en semaine, et dans n'importe quel restaurant branché, on voit des hommes et des femmes en costume cravate à une table, un couple de retraités en tenue décontractée à côté, et une équipe de chantier en gilet fluo juste en face, tous au même endroit, avec les mêmes attentes. Ce mélange de gens de différents milieux, avec des boulots différents, et à différentes étapes de leur vie, est partout. On dirait que les Suédois ont compris que l'égalité est une forme de respect sur laquelle ils ne veulent pas transiger. Leurs relations sociales reflètent cette idée, et d'après mon amie, tout le monde en profite.

Alors, concrètement, faut travailler sur sa vision, faut voir les gens clairement, même ceux qui ont l'air différents de nous, ou qui viennent d'un milieu différent. Faut se demander ce qu'on peut faire pour améliorer la journée de quelqu'un, même si ses besoins sont différents des nôtres. Comment on peut lui faire sentir qu'on est présent, qu'on est égaux, qu'on le comprend. Et puis, faut le faire. Faut imaginer ce dont on aurait eu besoin de la part d'un ami dans un moment difficile, et essayer de l'offrir à l'autre. Ça peut être un plat cuisiné apporté en cas de deuil, mais ça peut aussi être une promenade silencieuse le soir, où peu de mots sont échangés, mais où le sentiment de soutien est immense.

Et tout ça, ça me fait penser au fait de compter, d'avoir de l'importance. Ce prof d'université qui a cru en moi, il a changé ma vie. Ses mots, son attention, m'ont montré que j'avais de l'importance, pas seulement pour lui, mais peut-être aussi pour ma profession. Et c'est vital, de sentir qu'on compte.

En sociologie, on appelle ça "mattering", et c'est un élément essentiel de la "contribution sociale", qui est un des aspects du bien-être. "Matter", c'est pouvoir vivre une vie où on peut apporter des choses utiles aux autres et au monde. Toutes les créatures sociales, des fourmis aux abeilles, des loups aux éléphants, ont un rôle spécifique dans leur société.

Il existe un test pour mesurer le "mattering", avec cinq questions :

Est-ce que les gens dépendent de vous ?
Est-ce que les gens écoutent ce que vous avez à dire ?
Est-ce que vous avez l'impression que les gens vous prêtent attention ?
Est-ce que vous avez l'impression que vous êtes une partie importante de la vie des autres ?
Est-ce que vous manqueriez si vous disparaissiez soudainement ?

Les chercheurs qui ont créé ce test expliquent que deux groupes de personnes se sentent particulièrement concernés par le "mattering" : les enfants et les adultes d'âge mûr, avant la retraite. Les enfants ont l'impression d'être le centre du monde, ou du moins, ils le pensent ! Et les adultes d'âge mûr, qui sont souvent des parents, des conjoints, et des employés, se sentent responsables des autres et de faire en sorte que tout fonctionne bien.

Mais du coup, les jeunes adultes et les personnes âgées vivent un choc. Quand les ados deviennent de jeunes adultes, ils ont plus l'impression d'être le centre du monde. Et quand les personnes âgées prennent leur retraite, ils doivent trouver de nouvelles façons d'être utiles au monde, sinon ils risquent de se rendre compte que la partie de leur vie où ils comptaient... est terminée.

La famille et le travail peuvent être des sources importantes de "mattering" pour beaucoup de gens. Mais ça peut aussi être l'inverse. La famille et le travail peuvent nous donner l'impression d'être insignifiants, inutiles, dévalorisés, invisibles.

Quand le monde ne te traite pas comme si tu comptais, quand tu as subi une négligence émotionnelle prolongée, ou quand tu fais partie d'un groupe marginalisé, tu es vulnérable à ce que le professeur de psychologie Gordon Flett appelle "la double peine" de se sentir seul et inutile. Flett a passé une grande partie de sa carrière à étudier le rôle du sentiment d'anti-mattering sur la santé et le bien-être. Il a découvert des liens avec une faible estime de soi, une faible extraversion, une faible compétence, une incapacité ou un manque de volonté à prendre soin de soi, et des taux plus élevés de névrosisme et d'attachement insécure.

En fait, le manque de "mattering" peut mener à l'isolement, et ce sentiment de solitude peut s'aggraver. On se replie sur soi-même au moment où on aurait besoin de s'ouvrir. Si on a l'impression qu'on compte pas, on se retire des activités qui nous donnent un sentiment de contribution sociale. Et quand on n'est pas utile aux autres, on a l'impression qu'on compte pas. Une étude a montré que plus on a l'impression d'avoir de l'importance, moins on se sent seul.

Il y a peut-être pas de douleur plus grande que le sentiment de n'avoir plus rien à donner. Et chaque fois qu'on laisse quelqu'un ressentir ça, on échoue. Tout le monde, absolument tout le monde, peut être important et utile. Pendant trop longtemps, on a confié le travail de prendre soin aux femmes. C'est injuste, et ça nous appauvrit tous. Prendre soin des autres quand ils souffrent, quand ils échouent, quand ils perdent quelque chose, c'est le cœur de la connexion humaine. C'est là qu'on peut être gentil, attentif, soutenir et aider, et prendre notre place dans ce réseau complexe d'interdépendance.

Alors, faut pas croire qu'on a besoin d'une permission, qu'on doit être invité, pour participer et aider. C'est pas vrai. Quand on voit quelqu'un qui a besoin d'aide, faut tendre la main. Faut le voir, et se faire voir en retour.

Une amie m'a raconté un conseil de sa mère. Sa mère lui disait d'arrêter de demander si elle pouvait aider à mettre la table. Elle lui disait d'aller directement à l'évier, de prendre une éponge, et de commencer à faire la vaisselle. En gros, elle lui disait qu'il servait à rien de demander comment on peut aider, qu'il fallait juste se lancer. S'intégrer, participer, et on se sentira toujours utile, et on aura l'impression de faire partie de quelque chose de plus grand.

Ça me rappelle les bals du collège. Les filles et les garçons se tenaient de chaque côté du gymnase. La musique commençait, mais personne ne dansait. On se regardait timidement, en espérant secrètement que quelqu'un vienne nous inviter à danser. De peur d'être rejeté, on attendait, on attendait, on attendait. Et puis, tout à coup, quelqu'un traversait le gymnase, et invitait quelqu'un d'autre à danser.

Je me souviens la première fois où j'ai lu un article sur le "biais de sympathie". L'idée que les gens nous apprécient moins qu'ils ne le font en réalité. En gros, ça veut dire que tout ce temps où on s'est inquiété que personne ne veuille traîner avec nous, ben, ils voulaient peut-être bien, en fait ! Alors, faut essayer d'inviter quelqu'un à danser, au sens propre ou au sens figuré. On a tous tellement envie de recevoir cette invitation.

Dans mon bureau, j'ai accroché un "mur d'amour". Un collage de photos de toutes les personnes qui ont été importantes dans ma vie. Récemment, j'ai envoyé une photo à mon ancien prof d'université. Il a été et il reste un peu comme un père pour moi. Il apparaît sur deux photos de mon mur d'amour. Je l'aime comme si c'était mon père.

"Salut toi,

J'ai fait un collage de photos de toutes les personnes qui ont été importantes pour moi et dans ma vie et je voulais te montrer les deux photos où tu figures.

Bon week-end du 4 juillet. Je t'aime et tu me manques. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je le pense vraiment, toi ou Joan, faites-le moi savoir et je serai là en un clin d'œil.

Corey"

Et il m'a répondu :

"Je suis vraiment touché, ému, heureux et, en y pensant, les larmes aux yeux devant ton expression généreuse d'amour et de préoccupation pour Joan et moi.

Je t'ai toujours considéré comme mon étudiant préféré, et j'ai raconté et répété mon histoire de menace de t'adopter tout en me vantant de ta brillante carrière et de ton succès.

Mais ça va au-delà de tout ça. Cela dit que quelque chose chez toi a touché quelque chose en moi qui m'a rendu meilleur et m'a permis de vivre la vie plus intensément et de faire et d'être plus que je n'aurais pu l'être autrement.

Alors moi aussi, je t'aime Corey Keyes, tel que tu étais et tel que tu es - nous avons tous les deux fait une assez bonne affaire avec ce qui aurait pu n'être "rien de spécial". Quelques heures de cours, un gribouillage sur un relevé de notes... peut-être une lettre de recommandation... mais nous avons eu de la chance, nous nous sommes trouvés et tout s'est bien passé pour nous et, de ce fait, probablement pour d'autres en cours de route. On ne peut pas acheter ça dans les magasins ou le commander sur Amazon !

Merci de m'avoir mis sur ton mur de personnes qui ont été "importantes" dans ta vie. Tu es aussi sur le mien. Merci aussi pour ta proposition d'"aider si/quand" car je sais que tu le penses.

Continue comme ça, mon ami, et ne te retourne jamais, car quelque chose pourrait te rattraper (c'est de Satchel Paige).

Le vieux T-bird et Joan aussi"

Alors, faut pas gâcher l'occasion de dire aux gens à quel point ils comptent dans votre vie. Faut faire une liste de gratitude, peut-être une fois par semaine, des gens qui ont enrichi votre vie, de près ou de loin. Faut leur dire.

Et puis, faut faire une liste de gratitude pour vous-même. Faut se rappeler toutes les façons dont vous avez fait sentir aux gens qu'on les voyait, qu'on prenait soin d'eux, qu'on les soutenait. Faut pas attendre, faut le faire tout de suite.

Et y'a l'histoire de Denise, une jeune maman, qui déménage avec son mari dans une banlieue tranquille. Ils peuvent tous les deux travailler à distance, et ils viennent d'apprendre qu'ils attendent un bébé, donc le moment semble parfait. Ils auront plus d'espace, plus de calme, et leurs salaires modestes leur permettront de vivre plus confortablement en dehors de la ville.

Mais après la naissance du bébé, et quand son mari reprend le travail, Denise commence à se sentir épuisée. Pas seulement l'épuisement normal d'une maman de nouveau-né, mais aussi l'impression qu'il y a pas de lumière au bout du tunnel.

Elle s'imaginait son congé maternité rempli de moments agréables, de longues promenades avec d'autres mamans, de discussions sur les couches et les horaires d'alimentation. Mais elle est surtout seule avec son bébé, pendant des heures et des heures chaque jour. Elle a pas encore réussi à rencontrer d'autres mamans dans sa ville. Les cours de yoga "Maman et moi" sont trop chers. L'heure du conte gratuite à la bibliothèque est bondée, et tout le monde semble déjà se connaître et repartent toujours précipitamment après sans elle.

Sa famille vit à quelques heures de route, et ne peut pas venir la voir souvent. Ses amis proches sont toujours à Austin, et aucun d'entre eux n'a encore d'enfants, donc il est presque impossible de rester en contact. Le soir, quand ils rentrent du travail et de leurs sorties, elle est déjà prête à aller se coucher. Quand elle a envie de discuter pendant sa promenade du matin ou pendant la sieste de son fils, ils sont occupés au bureau. Est-ce que tout le monde passe un meilleur moment qu'elle ? Où sont les nouvelles amies magiques qui lui apporteraient le sentiment de communauté dont elle a tant besoin ? Pourquoi n'est-elle pas satisfaite de trouver de la joie dans cette magnifique nouvelle famille qu'elle et son mari ont créée ?

Denise est très honnête à propos de cette période de sa vie. Elle en a parlé à son médecin, qui a confirmé qu'elle ne répondait pas aux critères de la dépression post-partum. Elle adorait son bébé et n'avait pas peur de lui faire du mal. Elle ne pleurait pas de manière incontrôlable, elle n'avait pas de crises de panique, et elle se sentait parfaitement capable d'assumer ses responsabilités de jeune mère. Mais elle se sentait faible et vide. Elle était déconnectée, incertaine, elle avait l'impression de ne plus être à sa place nulle part.

En fait, il manque un mot pour décrire ce que Denise a vécu, ce que beaucoup de jeunes mamans vivent : "le marasme post-partum". Un sentiment de déception, et aussi de culpabilité. Pourquoi je suis pas heureuse, joyeuse, et épanouie avec ce nouveau bébé ? Est-ce que je n'aime pas assez mon bébé ? Qu'est-ce que je fais de mal ? Il faut faire plus pour aider les mères pendant cette période de transition vulnérable.

On a tous besoin de sentir qu'on appartient à une communauté plus vaste, d'avoir des relations chaleureuses et de confiance, et de croire qu'on est capable de contribuer au monde qui nous entoure. Beaucoup de jeunes mères se voient privées de ces besoins fondamentaux, et elles en souffrent.

Denise avait très envie de rencontrer d'autres mamans comme elle, et ça l'aurait certainement aidée. Mais ces amitiés ne se sont pas concrétisées. Au lieu d'abandonner tout espoir de connexion, elle aurait pu chercher ailleurs. Elle aurait pu se sentir vue d'une manière différente si elle avait trouvé des moyens de se connecter avec des personnes dont la vie était complètement différente de la sienne : une jeune femme qui commence sa carrière, une cadre retraitée qui fait du bénévolat à la bibliothèque. Eux aussi, ils cherchent de nouvelles connexions.

En fait, on a tendance à limiter son cercle social aux gens qui font exactement les mêmes choses que nous. Mais est-ce que ça limite pas notre capacité d'apprentissage ? Récemment, je parlais avec un homme de 70 ans qui m'a raconté une histoire surprenante. Il avait grandi dans un quartier blanc, de classe moyenne supérieure, à Cleveland, dans l'Ohio. Après le lycée, il avait fait ses études sur la côte est, puis il avait intégré Harvard Business School. Quand il est arrivé sur le campus, il avait 22 ans,

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