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Alors, euh, chapitre seize, quoi... On va parler de jeu, hein, de sortir du temps, littéralement. J'ai une amie plus jeune, tu vois, qui organise, euh, au moins une fois par mois, une espèce de "Sunday Funday", comme ils disent, avec d'autres mamans qui bossent et qui ont des enfants, petits ou ados. Chacune apporte quelque chose à manger, à boire, mais surtout, le plus important, c'est qu'elles arrivent sans aucune attente, sans plan précis. Elles se retrouvent juste pour, bah, pour éviter le stress du dimanche soir, tu vois, la veille de reprendre le boulot et l'école.
Mais, bon, un soir, les deux plus jeunes, cinq et six ans, ils ont insisté pour faire une soirée dansante après le dîner. Ils ont mis la musique à fond, leurs chansons préférées, et, pfiou, ils se sont déchaînés ! D'habitude, pendant ces "Sunday Funday", les mamans, elles ont plutôt tendance à envoyer les enfants dans une salle de jeux pour qu'ils s'occupent, pendant qu'elles sirotent tranquillement leur verre de vin. Mais, là, ce soir-là, non. Les enfants voulaient jouer avec leurs mamans. Et alors, elles ont joué, quoi ! Bras en l'air, la musique à fond, elles ont dansé dans le salon, elles ont dansé, elles ont dansé... jusqu'à ce que tout le monde, mamans et enfants, soient trempés de sueur, rouges comme des tomates et morts de rire. Elles se sont couchées épuisées, mais heureuses, et elles ont dormi comme des bébés.
On sait que le jeu, c'est essentiel au développement de l'enfant. Mais on a tendance à penser que devenir "mature", ça veut dire laisser tomber les jeux. Alors qu'en fait, le fun, sans structure, c'est vital pour les adultes aussi. Ça réduit notre ego, ça diminue notre stress et ça améliore notre bien-être.
Mais, au fait, c'est quoi le jeu ?
Le jeu, c'est n'importe quelle activité qu'on fait de son propre chef et qui nous procure du plaisir pendant qu'on la fait, plus que pour le résultat. S'il y a des règles, elles doivent laisser de la place à la créativité. Ces moments de fun de tous les jours, ils n'ont pas besoin de matériel, de stades, de terrains, de règles écrites, tu vois. Ils ont juste besoin d'imagination. La seule "règle", c'est de trouver de la joie dans un moment qui, sinon, serait passé inaperçu. Par exemple, moi, à chaque fois que je tonds ma pelouse, j'imagine un nouveau motif que je veux dessiner. Et du coup, la corvée de la tonte, ça devient une forme de jeu. Ça s'appelle "lawn striping", et moi, ça m'éclate, et c'est ça qui compte, hein, finalement.
Le jeu, ça nous sort du temps, même si c'est juste pour quelques minutes. Que ce soit faire de la calligraphie, apprendre à faire des dessins sur les cafés, euh, devenir un peu fou avec une planche de charcuterie, expérimenter avec des bijoux en argile, conduire jusqu'à la ville d'à côté pour découvrir un nouveau magasin d'antiquités, collectionner des timbres, refaire un maquillage de star, tirer les cartes de tarot, faire du roller, jardiner ou écrire un livre pour enfants. Ça peut impliquer, mais c'est pas obligé, hein, de rejoindre une équipe de sport ou d'organiser une soirée jeux de société chaque semaine, même si ça devient super compétitif. J'adore les jeux de société, autant que n'importe qui, mais quand le règlement est plus long qu'un roman de Tom Clancy, moi, je vois du travail, pas du jeu. Même s'attaquer à un projet de bricolage ou une corvée, si on le fait en s'amusant, bah, ça passe plus vite. Le temps, c'est plus un facteur quand je tonds ma pelouse comme un artiste.
J'ai lu récemment un article touchant dans le New York Times, une maman qui parlait de la tristesse de sa fille après la mort de ses plus vieux, de ses meilleurs amis : ses peluches, avec lesquelles elle avait joué toute sa vie, toute son enfance, quoi. D'un coup, à onze ans, elle avait perdu son imagination et ses amis de toujours n'étaient plus réels pour elle. Elle avait oublié comment jouer.
La fille est allée voir sa mère, furieuse : "Mon imagination a disparu et tu ne m'as jamais dit que ça arriverait !". Elle était désemparée. Toutes les conversations, toutes les émotions, de l'amitié à l'amour, que la fille avait vécues avec ses peluches, elle ne pouvait plus les ressentir. Il ne restait que des souvenirs. Elle a dit à sa mère qu'elle allait donner toutes ses peluches, parce que, disait-elle, "Je ne sais plus comment jouer avec".
Trop souvent, on associe le jeu à la remise en forme, mais après, on stresse pour programmer la remise en forme, et ce qui aurait pu être du jeu devient une tâche à faire sur notre liste, au lieu de ça. Oubliez les calendriers et les tableaux de score. Jouer pour finir ou pour gagner, c'est prendre le chemin extérieur. Même dans le jeu, spontané, sans soucis, sans objectif précis, on peut essayer de rester fidèle au chemin intérieur. Jouer pour le plaisir de chercher la joie, de laisser son imagination s'envoler, de profiter de la liberté de vagabonder... voilà, c'est ça, le jeu. Peut-être que le jeu, au final, c'est la plus égoïste de toutes nos vitamines pour s'épanouir, et c'est peut-être pour ça que c'est si difficile pour nous de le faire.
Est-ce qu'on doit VRAIMENT jouer ?
Les chercheurs sur le jeu, oui, ça existe, ils se battent depuis un moment. La définition même du jeu inclut généralement le fait que ce doit être facultatif, pas un truc obligatoire sur votre liste de choses à faire. Alors, on pourrait dire : si c'est facultatif, est-ce qu'on doit vraiment le faire ? Est-ce que le simple fait de le mettre sur notre liste, ça n'enlève pas tous les bénéfices ?
Stuart Brown, psychiatre et directeur du National Institute for Play, il dit que le fun sans structure, c'est essentiel à notre épanouissement en tant qu'adultes. Brown, il a étudié des preuves qui montrent qu'être privé de jeu pendant les dix premières années de sa vie, c'est lié à plein de problèmes : dépression, agressivité, impulsivité, pensée rigide, dérégulation émotionnelle et manque de relations importantes.
La liste complète des bénéfices du jeu est longue, mais je vais insister sur ceux qui combattent clairement les symptômes de la stagnation :
Le jeu, ça nous reconnecte avec des parties essentielles de nous-mêmes, qu'on perd dans les responsabilités de l'âge adulte. Si vous rigolez encore, c'est que l'enfant est toujours vivant en vous.
Le jeu, ça nous reconnecte à notre imagination, un muscle qui s'affaiblit quand on ne l'utilise pas.
Le jeu, ça nous aide à aborder la vie avec excitation, énergie et humour.
Le jeu, ça nous aide à redécouvrir l'appréciation de la beauté.
Le jeu, ça améliore notre satisfaction générale dans la vie.
On parle d'un besoin profondément biologique, là, un besoin qui a évolué chez de nombreuses espèces animales, dont la nôtre, parce que ça contribue à notre survie. Ça peut même aider à attirer des partenaires, tu vois. Un adulte joueur, c'est peut-être un prétendant plus attirant qu'un adulte agressif.
Le jeu comme résistance
Mes bonnes journées, elles commencent dans le calme incroyable du petit matin, genre très tôt. J'aime bien me réveiller vers quatre heures et demie du mat', laisser ma femme et mes chiens dormir, et aller dans mon bureau pour réfléchir et écrire. Tout est pur et possible le matin. Je pense plus clairement et l'écriture, elle vient facilement. Je prépare mon café, je m'assois devant mon ordi et je commence à triturer des idées, des mots. Les e-mails, c'est pour plus tard. Les matins, c'est sacré : c'est le moment du jeu. Je joue en assemblant des idées, des concepts, des théories, des statistiques, pour trouver comment raconter une bonne histoire. C'est comme ça que j'aborde mon "travail" de prof, et j'adore ça.
Le travail et la vie, ça peut devenir du jeu. Le jeu et la vie, ça peut devenir du travail. S'amuser, c'est un choix, pas une obligation.
J'ai un ami qui déteste passer l'aspirateur. Mais quand il a compris que son chien, il considérait l'aspirateur comme son ennemi mortel et son jouet préféré en même temps, la corvée qu'il détestait le plus, c'est devenu un moment pour faire le pitre avec son chien.
Un autre ami, il me dit que quand il se promène le matin, il invente des chansons sur ce qu'il voit autour de lui et il les fredonne à voix basse. Dès qu'il sent que quelqu'un va l'entendre chanter, il ne peut pas s'empêcher de rire.
Pendant les longs trajets en voiture, une amie à moi, elle s'achète un paquet géant de chewing-gum Hubba Bubba, toujours au raisin, elle me dit, et elle s'entraîne à faire les plus grosses bulles possibles, juste pour être sûre qu'elle sait encore le faire.
Je connais un ingénieur qui a de la schizophrénie qui va dans sa chambre d'amis tous les matins avant d'aller bosser. Lui aussi, comme moi, il prend du temps pour jouer avec des idées, et il préfère discuter de ses idées avec Albert Einstein, avec plein de détails. Au lieu de l'empêcher de faire ça, on l'encourage à continuer ses "réunions" avec Albert. Pourquoi ? Parce qu'il s'amuse, il dit que c'est du jeu, et ces "réunions" avec un génie, ça l'inspire à aborder son travail avec autant de joie que de détermination.
Si j'aime autant jouer à penser, c'est en partie parce que c'est une façon de me rebeller contre la culture du travail, qui peut enlever tout le plaisir d'être prof. On peut tous considérer le jeu comme un acte de résistance. On peut utiliser le jeu comme une façon de protéger notre santé mentale dans un monde où on nous encourage sans cesse à privilégier les activités qui ont un but utilitaire. Le temps, paraît-il, c'est de l'argent. Notre valeur, on peut la définir en termes d'heures facturables, et tout le temps qu'on gaspille, c'est une perte d'opportunité de monétiser chaque compétence qu'on possède.
Vous vous souvenez, dans un chapitre précédent, j'ai parlé de la possibilité que des sentiments d'anxiété et de joie puissent coexister ? Et bien, le travail et le jeu, c'est pareil. Prenez un moment pour enregistrer votre travail, éteindre votre écran pendant une seconde et faire voler un avion en papier dans le bureau d'un collègue. Organisez une petite chasse au trésor pour votre collègue préféré, celui qui enseigne deux salles plus loin, en l'envoyant à la recherche de sa barre chocolatée préférée, que vous avez cachée dans un endroit secret.
Même un petit tour au café du coin en milieu de matinée pour un mocha glacé, oui, avec de la crème fouettée en plus, c'est un moment à reprendre pour vous. Arrêtez de penser que c'est une pause café pour améliorer votre productivité de l'après-midi. Pensez plutôt que c'est une pause que vous prenez pour vous, pour laisser votre esprit se détendre et se sentir libre. Changer vos attentes face à un moment, ça change tout.
Plan d'action : Si vous voulez enlever tout le fun de quelque chose, appelez ça du travail et faites en sorte que ce soit quelque chose que vous devez faire. J'ai vu des gens transformer les vacances en famille en travail : l'organisation, le programme strict, les interactions forcées, la détermination à s'amuser à tout prix, bref, tout ce qui tue la joie. Quelles sont les petites façons d'ajouter un esprit de jeu à certaines tâches que vous devez faire tous les jours ?
Essayez d'adopter un état d'esprit de jeu pour tout, de passer l'aspirateur, comme mon ami, à tondre la pelouse, comme moi. Prenez les tâches quotidiennes obligatoires, celles qui vous semblent souvent une corvée, et retournez-les complètement. Pourquoi pas créer de nouveaux plats élaborés à cuisiner pour le dîner en famille, bonus si vous les présentez comme si vous étiez un candidat à Top Chef ? Ou prendre le temps de faire des décorations rigolotes sur les biscuits que vous devez faire pour la vente de gâteaux des scouts de votre enfant ? Vous pouvez aussi essayer de vous entraîner à jouer de la batterie avec des cuillères en bois sur votre plan de travail quand votre chanson préférée passe à la radio pendant que vous faites la vaisselle. Changez votre état d'esprit de journée en état d'esprit de jeu.
Le jeu, c'est protecteur
Le jeu, c'est un microcosme de l'enfance, une coquille protectrice comme la chrysalide du papillon, qui protège les enfants des coups durs de la vie, qui leur permet de grandir. Mais qu'est-ce qui se passe quand, sans que ce soit de votre faute, vous naissez dans des conditions, pauvreté, racisme, et d'autres difficultés, qui préparent les enfants à de mauvais résultats ? Est-ce que le jeu, si on l'encourage et qu'on le soutient dans ces conditions difficiles, ça peut créer de la résilience ? Est-ce que le fait d'augmenter les opportunités de jeu, ça peut encourager des résultats de vie meilleurs que prévu, et peut-être même servir de bouclier contre les chances que le cycle de la pauvreté se perpétue ?
Je repense à ma propre enfance. Quand la violence et les abus ont commencé, je crois que j'ai complètement arrêté de jouer jusqu'à ce que je réussisse à m'échapper de cette maison. Pour moi, comme pour tellement d'autres enfants, l'école, c'était pas un endroit pour jouer non plus. Une fois que j'ai perdu le sentiment de sécurité pour jouer à la maison, je n'avais plus d'autres endroits pour ça.
Les classes où j'ai été scolarisé, de la maternelle à la terminale, elles ressembleraient à celles que vous connaissez, pour la plupart : des rangées de bureaux où les élèves sont assis face au tableau, très peu de mouvements physiques, beaucoup de temps à écouter le professeur, et puis trop de temps calme à faire le cahier d'exercices obligatoire ou l'activité pédagogique seul à son bureau.
L'enseignement direct, c'était un cauchemar pour moi, mais encore plus pour mes professeurs, qui me suppliaient régulièrement d'arrêter de tambouriner sur mon bureau ou de faire bouger mes jambes de haut en bas, ce qui faisait vibrer mon bureau et rendait le professeur fou. Je finissais souvent en retenue, où j'écrivais des centaines de phrases sur le tableau ou sur des feuilles de papier, en griffonnant la même phrase encore et encore avec mon écriture illisible : "Je ne vais pas...".
Et puis, une année, quand j'avais environ huit ans, on a déménagé dans une nouvelle ville. Là, on m'a mis dans ce qu'on appelait une "classe ouverte", et pour la première fois, je me suis épanoui. J'étais pas en retenue, mes notes étaient presque parfaites et j'ai sauté deux classes en lecture et dans d'autres matières. Et puis, un an plus tard, on a redéménagé. Mon père était poseur de cloisons sèches, et on devait déménager en Floride, où il y avait plus de construction. Et là, je suis revenu dans la classe à enseignement direct, et je suis redevenu l'enfant à problèmes.
Cette année bénie dans la classe dite ouverte, qui était une libération totale pour moi quand j'étais enfant, ça ressemblait beaucoup à un modèle d'enseignement qui avait été testé dans une étude très connue, la HighScope Perry Preschool Study, qui a été menée au milieu des années 1960. L'étude, c'était un programme d'intervention pédagogique préscolaire qui se concentrait sur les enfants "à risque", tous des jeunes Noirs et tous vivant dans la pauvreté. Les enfants ont été répartis au hasard soit dans un groupe d'"enseignement direct", soit dans l'une des deux conditions d'enseignement "auto-initié".
Le programme d'enseignement direct, il se concentrait sur l'enseignement des compétences scolaires. Les enseignants, ils menaient des courtes leçons planifiées en langue, en maths et en lecture, en utilisant du matériel préparé, comme des cahiers d'exercices. Dans les deux modèles auto-initiés, dans un des modèles, la classe, elle était organisée en différents domaines d'intérêt thématiques, par exemple, la lecture, l'écriture, les maths. L'expérience centrale, elle était basée sur l'encouragement de l'initiative de l'enfant, la création et le maintien de relations sociales, la promotion de l'expression de soi à travers la créativité, la musique, le mouvement, la langue et l'alphabétisation, et les opérations mathématiques de base, comme la classification et le comptage d'objets.
La deuxième approche auto-initiée, c'était le programme traditionnel de l'école maternelle, où l'objectif principal était que les enfants apprennent des compétences sociales plutôt que des compétences scolaires. Là, les enseignants, ils organisaient parfois des activités de classe, des discussions et des sorties sur le terrain. Souvent, les enfants avaient la liberté de choisir leurs activités, de passer d'une activité à l'autre et d'interagir avec leurs camarades ou des adultes. Contrairement aux deux autres modèles d'apprentissage, l'approche de l'école maternelle encourageait le jeu. C'était une activité centrale et bienvenue, et les enfants, ils étaient à l'initiative de différentes formes de jeu.
Les résultats ? Les enfants qui ont appris, ou du moins qui ont essayé d'apprendre, dans la classe à enseignement direct, ils ont été victimes des mêmes mauvais résultats que tant d'enfants qui grandissent pauvres aux États-Unis. Les enfants qui ont appris dans les classes auto-initiées, ils ne sont pas devenus une statistique de plus qui grandit dans la pauvreté en Amérique. Au contraire, en fait.
Dans la plupart des cas, ça n'avait pas d'importance dans quelle classe auto-initiée les enfants étaient placés. Ce qui comptait, c'est qu'ils soient dans l'un de ces deux environnements, et pas dans la classe à enseignement direct. Et la différence, elle était énorme. Parmi les résultats malheureux qui caractérisaient les enfants qui avaient été instruits dans la classe à enseignement direct, il y avait des taux d'abandon scolaire plus élevés, plus d'arrestations pour trafic de drogue, un casier judiciaire avec cinq arrestations ou plus, des enfants nés hors mariage, vivre de l'aide sociale, ne pas être propriétaire de son logement et le chômage. Même si ces enfants pouvaient rester employés à l'avenir, ils n'étaient parfois pas capables de gagner 2 000 dollars ou plus par an, ce qui équivaut à environ 17 500 dollars aujourd'hui, en tenant compte de l'inflation.
Ces résultats malheureux, ils n'étaient pas gravés dans le marbre. Les enfants des autres classes, ceux qui avaient la chance d'être instruits avec une mentalité axée sur le jeu, dans l'ensemble, ils ont pu devenir des adultes qui ont réussi. À vingt-sept ans, ils étaient plus susceptibles de posséder leur propre logement et de bien gagner leur vie. Dans l'ensemble, ils n'étaient pas des décrocheurs scolaires, des parents célibataires élevant des enfants avec l'aide sociale, des détenus ou des anciens détenus.
La prévention, elle a fonctionné. Donner aux enfants une certaine autonomie et leur permettre de jouer dans un environnement enrichi, ça a fait toute la différence pour interrompre le cycle de la pauvreté.
Joe Frost, un des principaux chercheurs sur le jeu, il a découvert des résultats similaires : les enfants qui sont privés de jeu quand ils sont jeunes, ils montrent une résilience réduite dans les situations difficiles, des niveaux de maîtrise de soi plus faibles et des difficultés à entrer en relation avec les autres, sur le plan social et émotionnel. Le jeu, c'est pas une blague, surtout quand on a montré que ça aidait à construire un avenir meilleur pour nos enfants.
Pourquoi on arrête de jouer ?
Quand les enfants grandissent, ils commencent à perdre le sentiment que le jeu, c'est nécessaire, c'est approprié pour leur âge et c'est vital. Ils jouent moins pour le plaisir et ils participent plus à des jeux. Le jeu et les jeux socialisent les enfants en leur apprenant à coopérer et à coordonner leurs activités s'ils veulent que l'activité continue. Le jeu et les jeux encouragent les compétences d'empathie, surtout prendre le point de vue des autres et réagir avec sympathie aux moments où on a blessé, intentionnellement ou non, un autre participant. Mais les jeux, comme les notes à l'école, ils commencent à encourager la motivation externe, faire des choses à cause du résultat souhaitable possible, et ils découragent la motivation interne, faire quelque chose juste parce qu'on aime ça.
Les jeux, c'est un microcosme de l'âge adulte. Parfois, les enfants se font mal en jouant à des jeux, parfois physiquement, mais aussi parfois émotionnellement. Parfois, la douleur ou la blessure causée par les jeux, c'est psychologique ou social, parce que les enfants peuvent avoir honte de leurs performances, surtout dans les jeux où il y a du public. Ça me brise le cœur à chaque fois que je vois un enfant qui quitte le terrain de jeu, la tête baissée, avec honte, en regardant le sol, les larmes aux yeux. Dans les jeux, les enfants commencent à comprendre que leur estime de soi, elle est conditionnelle. Elle se mérite parfois en fonction de la qualité de leurs performances, pas de leurs efforts. Leur estime de soi, elle est basée entièrement sur les résultats plutôt que sur les contributions.
D'une certaine façon, les jeux sont par définition distincts du jeu. Les jeux, ils ont des résultats clairs et ils couronnent des gagnants et des perdants. Celui qui accumule le plus de points ou qui arrive le plus vite à destination, il gagne. Entre le début et la fin d'un jeu, il y a des règles prédéterminées.
Malgré tout ça, les jeux, ils peuvent être considérés comme du jeu s'ils sont joués de la "bonne" façon. Certains jeux sont conçus pour offrir du divertissement plus que de la compétition, en mettant l'accent sur le plaisir du processus et en encourageant l'expérimentation et l'imagination. Certains jeux vidéo, par exemple, ils sont plus axés sur la construction d'un monde que sur la domination d'une mission. Du coup, c'est plus facile de se perdre dans les petits moments de beauté ou d'émerveillement sans avoir à se soucier du but final ou du nombre de points.
Le professeur de philosophie C. Thi Nguyen, un spécialiste des jeux, il a écrit que les jeux de société comme Cards Against Humanity, ils sont conçus pour "l'arbitraire, l'absence de compétence et le chaos intentionnel". Au lieu de jouer en se concentrant sur le nombre de points et les statistiques de victoires et de défaites, la pratique sociale d'un jeu comme celui-là "exige qu'on y joue avec un esprit de légèreté".
De cette façon, le jeu et les jeux, ils peuvent se chevaucher. J'ai regardé récemment un film super, Pinball : The Man Who Saved the Game. J'ai appris que le flipper avait été interdit dans de nombreuses villes, parce qu'on le considérait comme un jeu de hasard plutôt que comme un jeu d'habileté, et donc comme une forme de jeu d'argent qui ciblait les enfants. En fait, les flippers, ils ont été créés pour aider les Américains à ressentir un sentiment d'accomplissement et de bonheur pendant une période très difficile de l'histoire de notre pays, la Grande Dépression.
Un des créateurs du flipper, apparemment, il avait des décennies d'avance sur les chercheurs sur le bonheur, parce qu'à l'époque, il avait décidé de concevoir le jeu autour de l'objectif de développer des compétences, pas seulement d'accumuler des points et de courir après les victoires.
Dans le film, l'architecte du flipper, il pose la question "Qu'est-ce qui fait qu'un jeu est bon ?". Sa réponse ? Un jeu est bon quand :
Il donne aux gens un sentiment d'accomplissement.
Il a des causes et des effets, ce qui veut dire qu'il oblige le joueur à utiliser et à développer des compétences pour atteindre des objectifs.
Il donne aux gens le sentiment que ce qu'ils font compte.
Selon les concepteurs de jeux à succès, des flippers aux jeux vidéo modernes qui comptent des millions de joueurs, c'est ça qui rend les gens heureux et qui leur donne envie de revenir jouer. Il faut avoir un sentiment d'accomplissement, vivre le fait d'être à l'origine des résultats qu'on veut atteindre, sentir que notre présence compte. De cette façon, les jeux, ils peuvent vous offrir tous les avantages du jeu. On veut tous savoir que ce qu'on fait compte. Quelle belle métaphore de la vie !
Oublier comment jouer trop tôt
En tant que prof, j'essaie toujours d'appliquer le principe que si mes étudiants et moi, on ne s'amuse pas au moins de temps en temps, c'est que je ne fais pas bien mon travail. Travailler avec des jeunes, c'est amusant, parfois agaçant, pour plein de raisons, bien sûr, mais finalement amusant. Mes étudiants, pour la plupart de jeunes adultes entre dix-huit et vingt-trois ans, ils sont pas dans une situation où ils sont considérés comme des adultes à part entière, ni par la société, ni par eux-mêmes. Ils ont encore la permission, si on veut, d'être des enfants, de s'amuser, de jouer.
Mais on dirait que les étudiants, ils s'amusent pas beaucoup, ces temps-ci. Et c'est pas seulement le fait que tout est surchargé. Avant, pendant et juste après le cours, mes étudiants, ils sautent invariablement sur leurs iPhones pour prendre des nouvelles de leurs amis et de leur famille. Du fun ? Pas vraiment. Ils vérifient ce qui se passe, ce qui va se passer, mais surtout, ils vérifient ce qu'ils ont manqué. Ils font des plans, ils se font aider pour prendre des décisions, et bien sûr, ils programment du fun pour leurs soirées ou leurs week-ends.
Mais même le concept de fun du week-end, il a pris une tournure plus sombre. Dernièrement, mes étudiants, ils me parlent de sujets très inquiétants : les overdoses ou les risques d'overdose, pas seulement d'alcool, mais d'une liste vertigineuse de drogues illicites et dangereuses, de la consommation excessive d'alcool à l'héroïne, la cocaïne, l'OxyContin, la kétamine, le fentanyl, la méthamphétamine, les hallucinogènes et toute une série d'autres amphétamines. L'époque où on fumait juste un joint et on buvait quelques bières tièdes, elle a été dépassée depuis longtemps par ce que mes étudiants appellent les "soirées sérieuses".
Moi, j'en suis arrivé à la conclusion que mes étudiants, ils font ce qu'ils peuvent pour échapper temporairement à "l'excès" d'être un jeune étudiant à l'université, où leurs performances, si elles descendent en dessous de B plus, ça veut dire l'échec, un plan d'avenir, devenir médecin, avocat ou homme d'affaires, déjà anéanti. Ce sont tous juste des enfants, effrayés, apeurés, qui essaient de devenir des adultes, mais qui oublient comment s'amuser en cours de route.
Quand j'ai commencé à être prof à la fin des années 1990, j'avais pas de mal à organiser des rendez-vous avec mes étudiants. Mais depuis une dizaine d'années, essayer d'organiser un rendez-vous avec un étudiant, c'est devenu un cauchemar, et c'est pas à cause de moi. Pour organiser un seul rendez-vous, il faut échanger cinq à dix e-mails. Ils sont occupés à 9 heures, occupés à 11 heures, le déjeuner, c'est hors de question, toujours occupés, les cours, c'est tout l'après-midi, et puis il y a une fenêtre de 17 heures à peut-être 19 heures, au moins pour ceux qui ne font pas de sport ou d'activités extrascolaires l'après-midi. Être occupé, surchargé et stressé, c'est un signe de reconnaissance sur les campus universitaires. Ces étudiants, ce sont pas encore des adultes, mais ils n'agissent certainement plus comme des enfants.
Comment se souvenir de ce qu'on n'a jamais appris ?
C'est peut-être pas une surprise si, quand on sort de l'université et qu'on devient officiellement des adultes, on a oublié comment jouer. Quand les enfants entrent dans une piscine pendant une chaude journée d'été, ils se lancent des ballons à la tête, ils font la course d'un bout à l'autre, ils créent des équipes et ils inventent des défis. Les adultes, bah, ils se trempent pour se rafraîchir, ou ils font des longueurs. Après, ils se sèchent et ils allument le barbecue pour faire le dîner. Où est le fun, là-dedans ?
Je pourrais dire que les adultes qui travaillent dans des domaines très créatifs, par exemple, écrire des livres ou des pièces de théâtre, ou écrire ou réaliser des films, ils se rapprochent probablement beaucoup du fait de jouer grâce à leur travail. Peut-être que les athlètes professionnels ou les ingénieurs LEGO, ils ont l'impression, les meilleurs jours de travail, que leur vie est remplie de jeu. C'est peut-être ce qui se rapproche le plus du jeu pour les adultes : on joue à travers notre travail, en gagnant de l'argent et en divertissant les autres qui consomment les produits qu'on crée grâce à notre forme adulte de jeu.
Pour les autres, le jeu qu'on connaissait quand on était enfants, ça devient des loisirs quand on est adultes. On fait de la récréation. C'est un mot intéressant, récréation. En latin, recreare, ça veut dire "créer à nouveau ou renouveler". En moyen anglais et en vieux français, récréation, ça voulait dire essayer d'apporter "une consolation mentale ou spirituelle". Consoler, c'est réconforter quelqu'un dans sa perte.
Loisirs, c'est un mot qu'on trouve aussi en moyen anglais, qui vient du latin licere, qui veut dire "être autorisé". Pratiquer un loisir, c'est être autorisé à quelque chose, peut-être à être libre du travail et libre de choisir de faire ce qu'on veut.
Les Danois, qui sont connus pour privilégier un mode de vie sain et un équilibre entre le travail et la vie privée, ils appellent leur temps libre fritid. Ça veut dire "temps libre", et il y a des rayons entiers de magasins qui portent ce nom, consacrés aux choses qu'on peut utiliser pendant son fritid : des cannes à pêche, des chaussures de randonnée, du matériel de camping. Au Danemark, le fait de nommer et de poursuivre ses loisirs, ça commence tôt. Les programmes de garderie après l'école, ils s'appellent aussi fritid, et pendant ces moments-là, les enfants choisissent les activités qu'ils veulent faire, généralement en plein air, sous l'œil distant mais attentif des instructeurs, mais les activités, elles sont dirigées par les enfants et centrées sur les enfants, et elles sont considérées comme absolument essentielles au développement de l'enfant pour développer l'empathie, les compétences sociales et l'autonomie. En Scandinavie, les enfants, ils ne commencent même pas l'école avant l'âge de sept ans, pas avant d'avoir passé les premières années de leur vie à jouer, généralement en plein air, qu'il neige ou qu'il pleuve, sans même un cahier d'exercices en vue.
Le philosophe allemand Josef Pieper, dans son livre Loisirs, base de la culture, il dit que pour retrouver les loisirs, il faut retrouver notre humanité et que "Le loisir se situe dans une position perpendiculaire par rapport au processus de travail... Le loisir n'est pas là pour le bien du travail, même si celui qui reprend le travail peut en tirer une nouvelle force. Le loisir, au sens où nous l'entendons, n'est pas justifié par le fait d'apporter un renouveau physique ou même un rafraîchissement mental pour donner une nouvelle vigueur au travail futur... Personne qui veut le loisir uniquement pour se "rafraîchir" n'en ressentira le fruit authentique, le rafraîchissement profond qui vient d'un sommeil profond."
Le rafraîchissement, il ne vient que du vrai loisir. La première qualité du vrai loisir, c'est d'avoir du temps libre par rapport au travail, aux obligations domestiques, familiales et personnelles. Avec ce temps libre, vient la possibilité de choisir de faire quelque chose parce qu'on veut le faire plutôt que parce qu'on doit le faire, comme ces enfants au Danemark. Ça, comme le jeu, c'est un aspect commun des loisirs. C'est vous qui déterminez ce que vous allez faire.
Les loisirs, ça peut être lire un livre, faire un passe-temps préféré, de nouer des mouches pour la pêche à la truite à faire des bougies, du quilting, du jardinage, du vélo, de la randonnée, regarder la télé ou des films, chanter dans une chorale, aller voir une pièce de théâtre ou un musée, voyager, aller au restaurant, etc. La liste des activités de loisirs, elle est presque infinie.
Ce que vous considérez comme un loisir, c'est pas forcément ma forme de loisir. Personnellement, j'adore la pêche à la mouche, mais nouer des mouches pour la pêche à la truite, je trouverais ça du travail plutôt qu'une forme de récréation. Le point important, c'est que les loisirs, comme le jeu, ils sont pas seulement choisis librement, mais ils sont choisis parce qu'ils vont vous apporter du plaisir, à vous et à vous seul.
Les loisirs, ils ont pas tous besoin d'être pratiqués uniquement parce que c'est une source de fun. Pour les adultes, les activités de loisirs, elles peuvent être choisies parce qu'elles répondent à des motivations supplémentaires, comme le désir de développement personnel, comme j'en ai parlé au chapitre cinq. Là, on a appris que les gens, ils trouvent de la satisfaction à s'améliorer dans ce qu'ils font, pas parce que c'est basé sur le résultat, mais parce que le processus de pratiquer quelque chose, c'est intrinsèquement valorisant, que ce soit jouer d'un instrument de musique ou apprendre à peindre.
Une bonne amie à moi, qui vient d'avoir quatre-vingts ans, elle s'est mise à la peinture à l'huile il y a plusieurs mois. Malgré son âge relativement avancé, sa peinture, elle devient de plus en plus belle. Il faut de la concentration, des heures à rester immobile, une dextérité incroyable, de la souplesse, de la force dans les bras et